Opinions

Les réformes de l’enseignement supérieur au Maroc : un parcours complexe et des défis persistants

Par Radouane Mrabet
Professeur émérite, ancien président de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès et de l’Université Mohamed V Souissi de Rabat

& Brahim Akdim
Professeur à l’UPF, ancien vice-président et professeur honoraire à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès

Depuis son indépendance en 1956, le Maroc a érigé l’éducation en priorité nationale, multipliant les réformes pour renforcer son système d’enseignement supérieur. Ces efforts constants, souvent soutenus par des organismes internationaux, visaient à former le capital humain, à stimuler la recherche scientifique et à adapter le secteur aux mutations nationales et mondiales.

Pourtant, malgré ces initiatives et des investissements notables, le système universitaire marocain demeure confronté à des défis tenaces et alimente de nombreuses controverses. Il requiert aujourd’hui des réformes profondes pour devenir plus innovant et créatif, en phase avec les nouvelles ambitions du pays. La question centrale reste la suivante : pourquoi les réformes successives n’ont-elles pas produit les effets escomptés ? Depuis 1956, les tentatives de transformation ont révélé des dynamiques récurrentes : des problèmes bien identifiés, mais des solutions aux effets souvent limités.

Aperçu historique des réformes
L’histoire des réformes de l’enseignement supérieur au Maroc est marquée par plusieurs vagues. Les premières, après l’indépendance (1956-1970), ont vu naître l’Université Mohammed V à Rabat, en complément de l’université Al Quaraouiyine.

Entre 1970 et 1980, l’extension du réseau universitaire répondait à une demande croissante. Les années 1990 ont mis l’accent sur la qualité ainsi que sur la pertinence de la formation par rapport au marché du travail. Elles ont également vu l’émergence du secteur privé. Un tournant majeur fut la Charte nationale de l’éducation et de la formation (1999-2009), proclamant une «décennie de l’éducation» et proposant une réforme systémique. Cette charte visait la qualité, l’équité et l’adaptation du système aux besoins socio-économiques. La loi n° 01-00, promulguée en 2000, s’est attaquée à la gouvernance en renforçant l’autonomie universitaire.

À partir de 2003-2004, le Maroc a adopté le système Licence-Master-Doctorat (LMD), aligné sur les standards internationaux. Face aux lenteurs de mise en œuvre, un Programme d’urgence (2009-2012) fut lancé. Les initiatives récentes incluent la vision stratégique 2015-2030 et la loi-cadre n° 51-17 (2019), affirmant la nécessité d’une gouvernance partagée. L’instauration du «Bachelor» (licence en quatre ans) a été introduite, puis abandonnée.

Objectifs et résultats : quelques progrès mais des lacunes persistantes
Les priorités des réformes ont évolué : d’une logique de construction nationale et d’expansion, on est passé à une quête de qualité, d’adéquation au marché du travail, de compétitivité internationale et de gouvernance efficace. L’élargissement du réseau universitaire a favorisé l’accès et permis de former une main-d’œuvre nationale. La Charte nationale et le système LMD ont constitué des jalons structurants. Cependant, les résultats restent contrastés.

L’expansion a parfois mis à rude épreuve les ressources, entraînant surdensités et surcharges dans les campus. Des dysfonctionnements sont apparus, et certains objectifs sont restés inaboutis. La gouvernance, malgré la loi 01-00, reste fragile, l’autonomie des universités est relative et la redevabilité limitée. Les difficultés incluent des apprentissages faibles, un fort taux d’abandon, un chômage élevé des diplômés dû au décalage entre la formation et l’emploi, et des ambitions en recherche-innovation insuffisamment concrétisées.

Les facteurs d’échec
La plupart des nombreuses réformes menées n’ont donc pas atteint leurs objectifs. Les dissensions politiques et autres divergences syndicales ont contribué à ces difficultés. Les changements fréquents de ministres de l’éducation (environ vingt ministres entre 1956 et 1977) et les priorités gouvernementales fluctuantes entraînèrent souvent un manque de continuité et de cohérence dans les politiques éducatives.

Chaque nouveau gouvernement a parfois invalidé les politiques précédentes, rendant difficile la réalisation de progrès durables. Les réformes n’ont que rarement atteint leurs cibles. Les dissensions politiques et les tensions syndicales y ont fortement contribué. La succession rapide de ministres et les priorités changeantes des gouvernements ont nui à la continuité des politiques éducatives.

Chaque nouvelle équipe dirigeante tendait à déconstruire les acquis des précédentes, rendant difficile la réalisation de progrès durables.Les désaccords avec les syndicats, qui représentent les intérêts des enseignants-chercheurs et cadres, ont également constitué un frein majeur. Les divergences portaient souvent sur la méthode d’élaboration et de mise en œuvre des réformes. Les syndicats déploraient fréquemment un manque de consultation significative et une prise de décision unilatérale par le ministère, plaidant pour une approche plus participative. Des tensions ont persisté concernant la mise en œuvre de réformes comme la révision du statut des enseignants-chercheurs, ainsi que la satisfaction des revendications salariales et des conditions de travail. Le manque de confiance mutuelle et les divergences sur les priorités ont parfois rendu difficile la conclusion et la mise en œuvre effective d’accords durables.

D’autres facteurs cruciaux ont contribué aux difficultés de l’enseignement supérieur marocain. Ainsi, le financement a constitué un obstacle majeur, avec des ressources financières insuffisantes allouées au secteur, limitant la portée et l’efficacité des réformes.

Par ailleurs, les problèmes de gouvernance et de gestion, tels qu’une bureaucratie excessive et un manque d’autonomie réelle pour les universités, en ont également entravé la mise en œuvre. Le contexte socio-économique, notamment le chômage élevé des diplômés, a mis en évidence le décalage persistant entre la formation et le marché du travail. Enfin, la complexité de l’héritage linguistique et culturel du Maroc, avec la coexistence de la langue arabe et de la langue française, a soulevé d’épineuses questions de politique linguistique et a été source de tensions. Ces facteurs d’échec sont souvent interdépendants.

Leçons apprises et perspectives d’avenir
Les expériences passées sont riches de leçons. Il est crucial d’adopter une approche holistique et intégrée, impliquant tous les niveaux d’enseignement. L’engagement et l’adhésion de toutes les parties prenantes (gouvernement, syndicats, enseignants, étudiants, société civile) sont nécessaires au succès. Un investissement adéquat et soutenu en ressources financières et humaines est fondamental. La mise en place de mécanismes de suivi et d’évaluation continus est vitale.

Enfin, il est impératif de prendre en compte le contexte linguistique et culturel spécifique du Maroc ainsi que ses défis internationaux. Pour améliorer l’efficacité du système, il est recommandé de favoriser un dialogue plus inclusif et constructif entre les acteurs. Assurer une plus grande continuité dans les politiques éducatives, renforcer l’autonomie des universités, améliorer la gouvernance et allouer des ressources financières adéquates sont des conditions nécessaires. Les réformes des programmes devraient viser à améliorer l’employabilité et les compétences, en se concentrant sur les besoins du marché du travail et en intégrant des compétences pratiques et transversales.

L’investissement dans la formation des enseignants et le renforcement des mécanismes d’assurance qualité sont également essentiels. Tenir compte du contexte socio-économique et linguistique, tout en tirant le meilleur parti de la technologie, pourrait contribuer à des résultats plus positifs et durables. S’inspirer des réformes réussies par un benchmark international privilégiant l’alignement avec le marché du travail, l’amélioration de la qualité et l’autonomie des universités, soutenues par un engagement gouvernemental fort, peut aussi être bénéfique.

En conclusion, les oppositions politiques et les conflits syndicaux ont certes entravé les réformes de l’enseignement supérieur au Maroc, mais ils ne sont qu’un maillon d’une chaîne de défis plus large : financement, gouvernance, contraintes socio-économiques et complexités linguistiques. Réussir la mutation du système exige un engagement ferme, une exécution rigoureuse et une vision collaborative, nourrie par les leçons du passé et orientée vers les ambitions futures du Royaume.



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