Énorme brouillon
On a libéralisé un secteur pour lui donner les chances de décoller, lorsque les efforts publics ont atteint leurs limites, mais le résultat final est un véritable fiasco. La levée des barrières du secteur de l’enseignement devant les opérateurs privés a, certes, allégé la charge des finances publiques en le domaine. Cependant, cette stratégie n’a eu pour effet que de «déshabiller Pierre pour habiller Paul». Multitude de systèmes pédagogiques, disparités flagrantes entre les niveaux de performances de ces systèmes, faible productivité du corps enseignant, anarchie totale dans les normes de construction des établissements scolaires, puissant diktat des opérateurs du secteur privé en matière de tarifications appliquées, contribution de ces entreprises à l’effervescence de la spéculation foncière…
Le tout, couronné et encouragé par une absence de régulation, un contrôle des plus approximatifs et un cadre juridique bien chétif. La copie de l’enseignement privé, aujourd’hui, n’est ni plus ni moins qu’un énorme brouillon où les gouvernements successifs ont griffonné, tout à tour, des ambitions et des promesses avant de baisser les bras devant la robustesse du lobby du secteur. Des millions et des millions de dirhams sont, en effet, brassés chaque année, dans cette activité fort lucrative, et pour ses investisseurs, et pour les caisses de l’État. Les ménages, quant à eux, n’ont d’autre choix que de prendre leur mal en patience et payer, payer, payer… autant qu’il leur est demandé de le faire. Devant une école publique malade, la catégorie de ménages optant pour le privé s’est de plus en plus élargie, jusqu’à englober même les populations les plus nécessiteuses.
Or, la Covid-19 a fait l’effet d’une gifle lorsqu’elle a poussé l’école publique à se renouveler et à mettre à niveau sa prestation. Le défi a été relevé tant bien que mal, mais il reste encore beaucoup à faire. Le public doit, coûte que coûte, réussir sa mue, pour garantir le devoir de l’État envers les citoyens. Le privé, lui, doit urgemment faire l’objet d’un grand ménage et un recadrage de ses missions doit impérativement être opéré. Suffit, le bazar !
Meriem Allam / Les Inspirations ÉCO