Opinions

Business : entreprendre et innover dans un monde en transitions

Par Dimbi Ramonjy & Philippe Schäfer & Thibault Cuenoud
Professeurs associés, chez Excelia Business School

Comment les dirigeants transforment-ils leur activité dans un monde incertain, alors que les consommateurs réclament aux marques du sens et de l’engagement ?

Le monde contemporain est traversé par de nombreuses crises (économique, sociale, écologique…) et de profondes transformations (numérique, post-covid, géopolitique…) qui bouleversent aussi bien notre quotidien que l’avenir des acteurs socio-économiques. Ce monde peut être caractérisé comme étant vulnérable, incertain, complexe et ambigu, rendant plus difficile la prise de décision pour les dirigeants et les prévisions de développement des entreprises pour assurer leur viabilité. L’une des transitions qui nous intéressent dans cet article est celle qualifiée de transition sociale et écologique. Nous sommes entrés, en effet, dans l’ère de l’anthropocène, qui se caractérise par l’influence prééminente de l’être humain sur l’environnement (notamment sur le climat et la biosphère), amenant à un dérèglement climatique et à la sixième extinction des espèces.

Création de la norme ISO 26000
Le dernier rapport du GIEC alerte sur les catastrophes et les désastres – chaleurs extrêmes, fortes précipitations, sécheresses, conditions météorologiques propices aux incendies… –, pour notre planète, notre société et nos économies, si nous n’arrivons pas à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, comme le prévoient les accords de Paris signés lors de la COP21 en 2015. Cette même année, les pays membres de l’Organisation des Nations Unies ont signé et adopté les Objectifs de développement durable pouvant nous guider dans cette transition. Au nombre de 17, ces objectifs donnent, partout dans le monde, un cadre d’actions pour tous les acteurs socio-économiques, afin de mettre fin à la pauvreté, de lutter contre les inégalités et l’injustice, et de faire face au changement climatique d’ici à 2030. Pour les entreprises, une approche permettant de contribuer à ce modèle de développement durable (DD) est d’engager une démarche de responsabilité sociétale. Elle se définit, selon la norme ISO 26000, comme «la responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui :

– Contribue au développement durable, y compris à la santé et au bien-être de la société ;
– Prend en compte les attentes des parties prenantes ;
– Respecte les lois en vigueur tout en étant en cohérence avec les normes internationales de comportement ;
– Est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en oeuvre dans ses relations».

Des entreprises réfractaires à celles qui deviennent «société à mission»
Face à la nécessaire transition de notre économie vers un DD par la responsabilité sociétale, les dirigeants d’entreprise et les entrepreneurs adoptent plusieurs comportements. Les réfractaires restent nombreux malgré les preuves scientifiques et continuent à miser sur une croissance illimitée de leurs activités, dans un monde fini, avec comme finalité ultime la maximisation de leurs profits au service des actionnaires. Certains réagissent pour adapter a minima leurs activités et leurs pratiques sans remettre en cause leurs modèles d’affaires et tombant souvent dans du «greenwashing». D’autres, plus proactifs (ré)inventent de nouveaux modèles d’affaires, entrepreneuriaux et managériaux responsables. Une entreprise existante peut devenir sociétalement responsable en cherchant à atteindre une performance globale tout en conciliant objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Dans ce cadre, le dirigeant voit, en la responsabilité sociétale, un projet stratégique pensé sur le long terme, un engagement intégral de son entreprise. En l’intégrant à son management stratégique, le dirigeant anticipe les changements, reconfigure ses ressources et ses compétences, et pilote son organisation et sa structure en conséquence. Il associe aussi les parties prenantes dans la gouvernance et les activités de l’entreprise. La responsabilité sociétale, c’est donc une transformation en profondeur du modèle d’affaires de l’entreprise et un réalignement de celle-ci aux enjeux de soutenabilité en adoptant un comportement éthique. Pour pousser plus avant cet engagement sociétal, le législateur français a récemment introduit, via la loi Pacte de 2019, une qualité de «société à mission». Nous pouvons prendre comme illustration le cas de la MAIF, une mutuelle qui a choisi de pousser encore plus loin son engagement en modifiant ses statuts, pour endosser cette qualité. Ce nouveau dispositif facilite l’intégration d’une «raison d’être» où l’entreprise doit poursuivre des «objectifs sociaux et environnementaux» en complément de sa finalité économique.

Les caractéristiques de l’entrepreneuriat responsable
D’autres exemples pionniers se retrouvent dans la création d’une entreprise responsable. Trois caractéristiques permettent de comprendre cet entrepreneuriat responsable. Premièrement, au niveau du contenu, l’entrepreneur qui crée cette nouvelle entreprise fait appel à ses valeurs éthiques, liées à sa personnalité et à son comportement, pour entreprendre autrement. Deuxièmement, l’organisation ainsi créée va intégrer la responsabilité sociétale dès son origine en considérant l’impact de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement. Et troisièmement, cette nouvelle entreprise vise la création d’une valeur sociétale renouvelée, car non adossée à la seule quête du profit, et partagée avec les parties prenantes. Nous illustrons cet entrepreneuriat responsable dans le secteur textile avec, par exemple, les entreprises VEJA ou le Slip français qui démontrent que d’autres modèles d’affaires sont possibles et réussissent à s’imposer sur ce marché face à des concurrents dominants aux effets destructeurs du modèle de «fast fashion».

Définition de l’innovation responsable
Enfin, la responsabilité peut aussi se penser à l’appui de l’innovation. L’innovation responsable se définit comme «l’intégration volontaire et proactive des considérations sociales et environnementales, dans les stratégies, les comportements et les processus, produisant des solutions nouvelles et plus performantes par le développement et l’utilisation productive de ressources et ayant pour résultat la création de valeur «sociétale» (économique, sociale et/ou environnementale)». Elle peut être portée par une entreprise établie ou nouvelle. Ses formes sont variées, comme une innovation de produit , de service ou d’organisation. Cette innovation n’est pas une démarche close dans l’entreprise mais suppose, au contraire, des pratiques sociales associant les parties prenantes. Elle ne vise pas uniquement la réussite économique de l’entreprise, mais ambitionne une finalité au service de l’intérêt général, des communautés ou des territoires dans lesquels elle s’intègre.

Le pouvoir du «consomm’acteur»
Ainsi, dans un monde en transition sociale, environnementale et économique, les entreprises et les entrepreneurs peuvent être des vecteurs principaux de construction du monde de demain, meilleur et plus soutenable. Les entreprises que nous avons citées dans cet article l’ont bien compris et leur réussite démontre une adhésion de leurs parties prenantes et, en premier lieu, de leurs consommateurs. Ceux-ci deviennent en effet plus engagés et utilisent leur droit d’acheter pour influencer les entreprises et notre société. Ces «consomm’acteurs» sont de plus en plus nombreux, impliqués et exigent des entreprises de pouvoir consommer mieux et moins. Ils peuvent en retour boycotter pour protester contre les comportements des entreprises peu ou pas responsables. Ils peuvent également boycotter, c’est-à-dire acheter et préférer une marque plutôt qu’une autre parce qu’elle serait plus conforme à leurs critères d’engagement et à leurs valeurs éthiques. S’engager vers un DD par la responsabilité sociétale est donc une opportunité pour les entreprises, à la condition qu’elles s’en donnent réellement les moyens.



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