Maroc

Production artistique : un projet de loi en gestation pour contrer le faux

Alors que les pratiques frauduleuses dans le marché de l’art se sophistiquent et menacent à la fois créateurs, collectionneurs et rayonnement culturel national, le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication lance un chantier législatif axé sur cet enjeu. À travers une étude juridique à concevoir, il prépare un avant-projet de loi destiné à combler un vide juridique et à doter le Royaume d’un cadre clair et spécifique contre le faux artistique.

Le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication vient de lancer un appel d’offres national pour la réalisation d’une étude juridique qui doit aboutir à la rédaction d’un avant-projet de loi visant à lutter contre le faux et les fraudes dans le domaine artistique. Une initiative inédite, qui s’inscrit dans un contexte où les pratiques frauduleuses se multiplient et gagnent en sophistication, menaçant à la fois la crédibilité du marché de l’art marocain, son rayonnement international et la confiance des acquéreurs.

Le document de référence, un cahier des prescriptions spéciales, précise que cette mission s’articulera autour de trois étapes majeures. La première consiste en un diagnostic détaillé des pratiques actuelles, doublé d’un exercice de comparaison internationale et d’échanges avec les équipes du ministère. Il s’agira d’identifier les failles du droit existant, de comprendre les mécanismes de fraude les plus courants et de déterminer les bonnes pratiques déjà expérimentées ailleurs.

Le Maroc souhaite s’inspirer d’au moins cinq juridictions étrangères, parmi lesquelles figurent des pays disposant d’une législation avancée en matière de lutte contre le faux artistique, comme la France, les États-Unis ou la Suisse. La deuxième étape prévoit la rédaction d’un avant-projet de loi, en arabe et en français, qui devra non seulement traiter du faux artistique dans toutes ses dimensions, mais aussi s’articuler avec l’ensemble des textes déjà en vigueur.

Le futur texte est appelé à définir plus précisément la notion de faux artistique, à en identifier les différentes catégories, à encadrer la responsabilité des experts et à créer, si nécessaire, une infraction spécifique dans le code pénal. L’objectif est de combler les lacunes juridiques actuelles, qui rendent difficile la poursuite et la sanction des fraudeurs.

Enfin, la troisième étape portera sur l’élaboration d’un tableau explicatif et d’une note détaillée permettant de mettre en perspective les arbitrages retenus. Ce document, véritable clé de lecture de l’avant-projet, devra exposer les choix opérés par les rédacteurs, expliciter les limites du droit en vigueur et montrer en quoi les nouvelles dispositions apportent des réponses adaptées.

Il devra également démontrer comment le texte marocain se positionne par rapport aux standards internationaux, en mettant en avant les inspirations et les adaptations opérées. Le cahier des charges fixe des délais stricts : trente jours pour l’ensemble de la mission, répartis en trois phases de dix jours chacune.

Le travail devra être conduit par une équipe pluridisciplinaire, comprenant des juristes spécialisés en propriété intellectuelle et en légistique, avec une expérience confirmée dans le conseil aux industries culturelles et créatives. Cette exigence illustre la volonté des autorités de doter le pays d’un cadre juridique solide et crédible, en phase avec les réalités du marché de l’art.

Ce projet de loi répond à une préoccupation largement partagée par plusieurs institutions nationales, notamment le Ministère public, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, la Fondation nationale des musées et le Secrétariat général du gouvernement. Toutes reconnaissent la nécessité d’une action concertée et plus efficace pour endiguer un phénomène qui menace la valorisation du patrimoine culturel et la confiance des collectionneurs, qu’ils soient nationaux ou étrangers.

Au-delà de la dimension répressive, l’avant-projet ambitionne de créer les bases d’une régulation plus globale du marché de l’art au Maroc. En introduisant une définition claire du faux artistique, en encadrant les responsabilités et en fixant des règles précises, il devrait contribuer à renforcer la transparence et la crédibilité du secteur. Pour les artistes, il s’agit d’une garantie de protection accrue de leurs œuvres.

Pour les collectionneurs et les galeries, c’est une assurance de sécurité juridique. Et pour l’État, c’est un instrument supplémentaire de valorisation de l’image du Maroc en tant que marché émergent et attractif dans le domaine artistique.

Un cadre juridique encore fragmentaire
Si le processus aboutit, le Maroc rejoindra ainsi le cercle restreint des pays dotés d’un dispositif juridique spécifique contre le faux artistique. Il faut dire que, pour l’heure, le Royaume ne dispose pas d’une législation spécifique au faux artistique. Plusieurs textes de loi permettent de sanctionner certaines pratiques frauduleuses, mais de manière indirecte et souvent insuffisante.

Le Code pénal réprime la falsification, l’escroquerie et l’usage de faux, mais sans aborder la spécificité du marché de l’art. Le Code des obligations et contrats peut sanctionner la tromperie dans une transaction commerciale, mais ne fournit pas de garanties adaptées aux collectionneurs ou aux institutions culturelles.

De son côté, la loi n° 2.00 sur les droits d’auteur et droits voisins protège la création artistique, mais elle vise avant tout la reproduction et la diffusion non autorisées, et non la circulation d’œuvres falsifiées. À l’international, le Maroc est signataire de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, de la Convention de l’Unesco de 1970 sur la lutte contre le trafic illicite des biens culturels et de la Convention d’Unidroit de 1995 sur la restitution des biens volés ou illicitement exportés.

Ces instruments offrent une base utile mais ne traitent pas spécifiquement du faux artistique. Ce morcellement juridique rend difficile la poursuite des faussaires et fragilise la crédibilité du marché de l’art. C’est précisément ce vide que le futur avant-projet de loi ambitionne de combler, en définissant clairement le faux artistique, en instaurant une infraction pénale spécifique et en encadrant la responsabilité des experts et intermédiaires.

Perspectives régionales : où en sont les pays voisins ?

Alors que le Maroc s’apprête à élaborer une loi spécifique contre le faux artistique, peu de pays africains disposent d’un cadre légal clair en la matière. En Tunisie, la législation repose essentiellement sur le droit d’auteur, sans dispositif ciblant le faux artistique. En Algérie, les fraudes sont réprimées par le code pénal mais sans mécanisme spécialisé.

L’Égypte, plus avancée, a mis en place des dispositifs de contrôle du marché de l’art via son ministère de la Culture et ses institutions muséales. Cette comparaison souligne le caractère pionnier de la démarche marocaine, susceptible de devenir une référence régionale et d’offrir un modèle d’inspiration pour d’autres pays africains en quête de régulation de leur marché artistique.

Le rôle des conventions internationales

Le Maroc est signataire de plusieurs instruments internationaux qui peuvent constituer un socle pour la nouvelle législation. La Convention de Berne encadre la protection des œuvres artistiques et littéraires, tandis que la Convention de l’Unesco de 1970 et celle d’Unidroit de 1995 traitent de la circulation illicite des biens culturels et du retour des objets volés.

Si ces textes ne visent pas directement le faux artistique, ils offrent des outils juridiques utiles pour la coopération internationale, notamment en matière de traçabilité et de restitution. Leur intégration dans l’avant-projet de loi marocain pourrait donner au dispositif une assise plus robuste et faciliter la collaboration avec les grandes places mondiales du marché de l’art.

Les plateformes et intermédiaires, maillons faibles du marché

Avec la montée en puissance des ventes d’art en ligne et l’expansion du marché secondaire, la question de la responsabilité des intermédiaires devient cruciale. Galeries, maisons de ventes et plateformes numériques jouent un rôle clé dans la circulation des œuvres, mais les mécanismes actuels leur imposent peu d’obligations en matière de vérification d’authenticité.

Dans de nombreux cas, ces acteurs se contentent de reproduire les certificats fournis par les vendeurs, sans expertise indépendante. La future loi marocaine pourrait s’inspirer des législations étrangères qui imposent une diligence renforcée aux intermédiaires, allant jusqu’à prévoir leur responsabilité civile, voire pénale, en cas de diffusion de faux.

H.K. / Les Inspirations ÉCO



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