Maroc

Pouvoir d’achat : les produits alimentaires dictent leur loi

Alors que l’indice de confiance des ménages affiche une timide remontée, la réalité du terrain demeure préoccupante. La flambée persistante des prix alimentaires, ressentie par la majorité écrasante, continue de fragiliser le pouvoir d’achat et d’alimenter un profond malaise social. Entre dette, épargne impossible et perspectives assombries, les ménages peinent à faire face, dans un contexte où les réponses politiques tardent à corriger les déséquilibres structurels du marché.

Comme nous l’annoncions dans notre édition du 21 juillet, l’amélioration récente de l’Indice de confiance des ménages semble à peine masquer une réalité plus sombre. Derrière les chiffres en légère progression publiés par le Haut-commissariat au plan (HCP) pour le deuxième trimestre 2025, se dessine une perception sociale profondément marquée par l’incertitude et la précarité.

Pour de nombreux foyers, le quotidien s’apparente de plus en plus à une course d’endurance face à l’envolée des prix des produits de première nécessité, en particulier ceux de l’alimentation. Alors que 76% des ménages déclarent une dégradation de leur niveau de vie au cours des douze derniers mois, la spirale inflationniste, conjuguée à l’absence de réponses structurelles, mine le pouvoir d’achat et aggrave un sentiment de déclassement largement partagé.

Un pouvoir d’achat mis à rude épreuve
Les chiffres livrés par l’enquête de conjoncture du HCP sont sans appel. Seuls 6,8% des ménages déclarent avoir vu leur niveau de vie s’améliorer, contre 76% qui observent une nette détérioration. Le pessimisme se prolonge dans les anticipations : 44,9% s’attendent à une poursuite de cette dégradation durant les 12 mois à venir. Cette tendance confirme une érosion lente mais constante du pouvoir d’achat, notamment pour la classe moyenne, de plus en plus fragilisée.

Pour Omar Kettani, professeur d’économie à l’université Mohammed V de Rabat, cette évolution traduit un basculement inquiétant. «Nous avons dépassé le stade de l’alerte. Si près de la moitié de la population s’endette pour subvenir à ses besoins, ce n’est pas seulement une question de conjoncture, c’est le modèle social lui-même qui est mis à mal.»

L’expert pointe une dynamique où la précarité ne touche plus uniquement les couches défavorisées, mais s’étend désormais à une part croissante des classes moyennes. Et l’élément central de cette détérioration reste la flambée continue des prix alimentaires.

D’après le HCP, 94,2% des ménages déclarent que les prix des denrées ont augmenté au cours des douze derniers mois, et 78,9% s’attendent à une nouvelle hausse. Cette perception d’une inflation persistante, bien que parfois en léger recul, renforce un climat de défiance vis-à-vis de la capacité des politiques publiques à en contenir les effets.

Pour Ouadie Madih, président de la Fédération nationale des associations de consommateurs (FNAC), le phénomène dépasse le cadre habituel de l’inflation. «Nous sommes confrontés à un problème structurel. Ce sont les circuits de distribution eux-mêmes qui posent problème. Les marchés de gros sont peu régulés, les intermédiaires se multiplient, et les marges s’accumulent au détriment du consommateur final.»

Il déplore par ailleurs l’absence d’une réaction à la hauteur des enjeux, malgré de nombreuses études alertant sur les dysfonctionnements du système. La pression sur les dépenses quotidiennes laisse peu de place à l’optimisme. Moins de 9% des ménages estiment pouvoir épargner dans les douze mois à venir, un chiffre qui reflète un état de tension budgétaire généralisé.

Pour les économistes, cette incapacité à se projeter au-delà des dépenses immédiates indique une forme d’essoufflement du tissu social. Cette fragilité s’étend à d’autres domaines essentiels comme la santé ou l’éducation. La privatisation croissante de certains services de base, combinée à la hausse des coûts, alimente un sentiment d’injustice.

«Cette situation va bien au-delà du panier de la ménagère. C’est le modèle de redistribution sociale qui vacille», insiste Kettani. Selon lui, l’État devrait non seulement réformer les politiques de subvention, mais aussi s’attaquer aux rentes économiques, qu’elles soient administratives ou informelles.

Mesures inefficaces
Face à ce constat, les mesures adoptées par les pouvoirs publics restent, aux yeux des experts, largement insuffisantes et inefficaces. Les aides ciblées ou les plafonnements ponctuels de prix ne semblent pas enrayer la mécanique inflationniste, ni corriger les déséquilibres de fond.

Kettani plaide pour une refonte du modèle économique. «Il faut rationaliser les dépenses de l’État, renforcer la concurrence dans les circuits de distribution, et surtout engager un véritable effort de moralisation économique. Sans cela, nous ne ferons que gérer l’urgence. Une politique d’austérité prévaut».

Le chômage, en particulier celui des jeunes, vient alourdir le fardeau. Si l’État investit dans de nouvelles infrastructures (sportives ou culturelles), leur utilité reste conditionnée à la capacité des citoyens, notamment les jeunes, à en bénéficier. Toutefois, l’absence de mobilisation citoyenne accentue le désarroi.

«Tant que les consommateurs resteront silencieux face aux abus, rien ne changera», prévient le président de la FNAC. La défense des droits des consommateurs reste balbutiante, freinée par le manque d’organisation et de relais institutionnels efficaces.

Omar Kettani
Économiste

«Alors que l’indice de confiance des ménages affiche une timide remontée, la réalité du terrain demeure préoccupante. La flambée persistante des prix alimentaires, ressentie par la majorité écrasante, continue de fragiliser le pouvoir d’achat et d’alimenter un profond malaise social. Entre dette, épargne impossible et perspectives assombries, les ménages peinent à faire face, dans un contexte où les réponses politiques tardent à corriger les déséquilibres structurels du marché.»

Ouadie Madih
Président de la FNAC

«Nous sommes confrontés à un problème structurel. Ce sont les circuits de distribution eux-mêmes qui posent problème. Les marchés de gros sont peu régulés, les intermédiaires se multiplient, et les marges s’accumulent au détriment du consommateur final. Tant que les consommateurs resteront silencieux face aux abus, rien ne changera.»

Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO



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