Modernisation des Etablissements et entreprises publics : comment le Maroc intègre les lignes directrices de l’OCDE

Alors que le Maroc s’engage dans une refonte ambitieuse de la gouvernance de ses entreprises publiques, les discours de Nadia Fettah Alaoui et Abdellatif Zaghnoun esquissent une feuille de route combinant alignement sur les standards OCDE, renforcement de la transparence et intégration des critères ESG. Un équilibre délicat entre modernité et héritage institutionnel. Détails.
Derrière les discours sur la transparence et l’OCDE, se cachent des enjeux de pouvoir et des résistances ancrées. Le Maroc saura-t-il dépasser les mots pour agir ? Un séminaire de haut niveau sur le thème «la gouvernance des entreprises publiques à la lumière des lignes directrices révisées de l’OCDE en 2024» a eu lieu le 20 mai à Rabat.
Les discours de Nadia Fettah Alaoui, ministre de l’Économie et des Finances, et d’Abdellatif Zaghnoun, directeur général de l’ANGSPE, lors de ce séminaire, révèlent une ambition commune : ancrer la gouvernance des entreprises publiques marocaines (EEP) dans une dynamique de modernisation, alignée sur les standards de l’OCDE tout en répondant aux enjeux socio-économiques nationaux.
À travers une analyse de leurs allocutions, décryptons les fondements d’une réforme structurelle, ses implications stratégiques et les défis de sa mise en œuvre.
Entre continuité et rupture
Les deux intervenants inscrivent explicitement leurs propos dans le sillage des orientations royales, rappelant que la création de l’ANGSPE et l’adoption de la loi-cadre 50-21 (2021) répondent à la dynamique impulsée par le Souverain.
Cette référence récurrente souligne la dimension politique et centralisée de la réforme, typique des réformes institutionnelles marocaines, où l’impulsion royale légitime et accélère les transformations. Cependant, une rupture se dessine dans l’approche : il ne s’agit plus seulement de restructurer des entités publiques, mais de repenser leur rôle dans l’économie nationale.
Fettah Alaoui insiste sur la nécessité de «faire bouger les lignes de la gouvernance» pour répondre à des «attentes citoyennes croissantes» et à des «contraintes budgétaires fortes». Un discours qui traduit une évolution vers une logique de performance et de redevabilité, rompant avec une tradition de gestion administrative centralisée.
Zaghnoun complète cette vision en évoquant la «professionnalisation des organes de gouvernance» et la «culture de la performance», éléments clés de la feuille de route de l’ANGSPE. La création du label Guide (Governance upgrading initiative for development and excellence), structuré autour de quatre axes – gouvernance stratégique, contrôle interne, droits des actionnaires, critères ESG –, illustre cette volonté de standardiser les pratiques tout en les adaptant aux spécificités sectorielles.
L’OCDE comme référentiel
Les deux discours accordent une place centrale aux lignes directrices révisées de l’OCDE (2024), présentées comme un «cadre d’action robuste et reconnu à l’échelle internationale». Un alignement qui répond à un double objectif : légitimer les réformes internes via une norme internationale, renforçant la crédibilité du Maroc auprès des investisseurs et partenaires ; et structurer une gouvernance hybride, combinant principes universels (transparence, neutralité concurrentielle) et priorités nationales (développement territorial, inclusion).
La ministre de l’Économie et des Finances souligne que les lignes directrices «viennent conforter les principes que nous avons déjà commencé à mettre en œuvre», citant la politique actionnariale de l’État et le Code révisé des bonnes pratiques (avril 2025).
Cette rhétorique suggère une appropriation sélective des standards de l’OCDE, adaptés aux réalités locales. Par exemple, l’accent sur la «maîtrise du coût du risque» pour l’État-actionnaire reflète une préoccupation budgétaire spécifique, dans un contexte de dette publique relativement élevée, estimée autour de 68% du PIB en 2025.
Toutefois, le directeur général de l’ANGSPE nuance cet optimisme en rappelant que «c’est bien la mise en œuvre des lignes directrices qui constituera le véritable marqueur de progrès». Un enjeu majeur réside dans la tension entre le modèle de l’OCDE – fondé sur une séparation claire entre État et entreprises – et la réalité marocaine, où les EEP restent des outils de politique industrielle et sociale. La référence à la «neutralité concurrentielle», évoquée par Nadia Fettah Alaoui, interroge ainsi sur la capacité du Maroc à concilier mandats d’intérêt général (ex : services publics en zones rurales) et équité de marché.
Les piliers d’une gouvernance renouvelée
Les allocutions mettent en lumière trois axes structurants : la professionnalisation et contractualisation, la durabilité et responsabilité sociétale, ainsi que la parité et l’inclusion. La ministre évoque une «doctrine claire en matière d’actionnariat de l’État», visant à «créer de la valeur à long terme» tout en protégeant les finances publiques. Ce discours marque un tournant : l’État se positionne moins comme un gestionnaire que comme un investisseur exigeant, s’appuyant sur des outils comme la contractualisation pour «aligner les attentes et rendre les dirigeants redevables».
L’ANGSPE incarne cette transition. Zaghnoun détaille des «dispositifs d’évaluation périodique» et un «projet de digitalisation des organes de gouvernance», visant à rationaliser la prise de décision. La création du label Guide, intégrant les critères ESG, renforce cette logique de standardisation mesurable. Les deux intervenants insistent sur l’intégration des enjeux de durabilité, «transitions écologiques, numériques, sociales». Le Code de gouvernance et la charte Guide intègrent explicitement ces critères, reflétant une tendance globale où les EEP sont perçus comme des leviers des ODD.
Au terme de son discours, Zaghnoun a fait un clin d’œil à la journée mondiale des abeilles célébrée chaque année le 20 mai. Une référence aux abeilles «modèle d’organisation collective et de résilience», qui symbolise cette volonté d’ancrer la gouvernance dans une perspective écosystémique, où performance économique et responsabilité environnementale sont indissociables. Une convention a été signée avec le Club des femmes administrateurs d’entreprises (CFA Maroc) pour renforcer la parité dans les organes de gouvernance des EEP, soulignant un engagement pour une gouvernance inclusive et durable. Une signature présentée comme un engagement pour «une gouvernance inclusive».
Une gouvernance en transition, entre héritage et innovation
Les discours d’ouverture révèlent une réforme à deux visages : d’un côté, une volonté affirmée de rupture avec les pratiques opaques, via l’adoption de standards internationaux et d’outils innovants (digitalisation, label Guide) ; de l’autre, une continuité dans la centralisation étatique et les mandats politiques des EEP.
Comme le résume Nadia Fettah Alaoui, «il ne s’agit plus seulement de gérer l’existant, mais d’interroger nos modèles».
Le succès de cette ambition dépendra de la capacité à concilier exigences de l’OCDE et réalités socio-économiques marocaines, tout en garantissant une appropriation par les acteurs locaux. La référence aux abeilles, en clôture du discours de Zaghnoun, rappelle que la gouvernance idéale est autant une question d’organisation que de symbole, un équilibre que le Maroc devra incarner dans les faits.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO