Prix des médicaments : le consensus contesté

Le gouvernement s’apprête à entériner un décret visant à faire baisser les prix de certains médicaments. Cette réforme suscite des tensions croissantes au sein de la profession pharmaceutique. Si le ministère de la Santé met en avant une démarche participative et des objectifs d’équité sociale, les pharmaciens s’inquiètent de l’absence de mesures compensatoires et redoutent un affaiblissement de leurs marges. En toile de fond, c’est tout l’équilibre entre accessibilité des traitements, production locale et viabilité du réseau officinal qui alimente le débat.
Dans le tumulte des débats sanitaires et économiques, la question des prix des médicaments reste un marqueur sensible de la relation entre l’État, les professionnels de santé et les citoyens. Annoncée comme une avancée majeure vers un meilleur accès aux soins, la réforme de la tarification des médicaments, amorcée par le ministère de la Santé, suscite pourtant des remous. Si les autorités se félicitent d’un consensus technique, les pharmaciens, eux, peinent à voir la traduction concrète de cette concertation, et s’inquiètent de son impact sur la viabilité de leurs officines.
Un décret en phase de finalisation
Le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Amine Tahraoui, a affirmé que son département est parvenu, en concertation avec les acteurs concernés, à un accord autour d’un nouveau décret encadrant la baisse des prix des médicaments. Ce texte, actuellement en phase finale avant soumission au Conseil de gouvernement, vise une réduction significative des prix tout en assurant un équilibre entre protection du consommateur et soutien à la production pharmaceutique nationale.
D’après le ministre, qui s’est exprimé à la Chambre des représentants, cette réforme a été conduite selon une démarche participative, avec plus de 30 réunions tenues avec les industriels, les représentants des pharmaciens et les assureurs. Le nouveau modèle proposé repose sur plusieurs leviers, un raccourcissement des délais de révision des prix, une mise en œuvre progressive afin d’assurer la stabilité du secteur, le maintien des médicaments à bas prix et un effort accru pour encourager la production locale.
Au-delà des considérations techniques, le gouvernement revendique une vision stratégique intégrant les enjeux sociaux. Cette réforme est ainsi présentée comme un choix souverain destiné à renforcer le pouvoir d’achat des citoyens, à garantir l’équité d’accès aux médicaments et à encourager les investissements dans un secteur jugé vital.
En parallèle, le ministère de tutelle travaille sur une plateforme logistique nationale dédiée à l’approvisionnement des établissements de santé publics, afin de réduire les ruptures de stock et le gaspillage liés à la péremption. Ce système, aligné avec les besoins des groupements sanitaires territoriaux, sera mis en place progressivement sur une période de 18 mois.
Sur le front vaccinal, un partenariat stratégique a été conclu avec la société Marbio, basée à Benslimane, pour la fourniture de vaccins majeurs (pneumococcique, méningocoque et hexavalent), avec un budget de plus d’un milliard de dirhams alloué pour la livraison de 5,4 millions de doses entre 2025 et 2026. Un comité scientifique a également été mis en place pour actualiser le calendrier vaccinal national et valider les premiers lots produits localement.
Un équilibre encore fragile
Mais ces avancées masquent difficilement la crispation croissante des pharmaciens d’officine. Si la réforme entend corriger certains déséquilibres, elle ne prévoit, selon les syndicats, aucune mesure d’accompagnement concrète pour les professionnels du secteur.
Le Conseil national des syndicats des pharmaciens (CNSP) alerte sur les failles d’un modèle économique qui risque d’affaiblir davantage un maillon déjà fragilisé. Une étude réalisée par le cabinet Southbridge, à la demande de la tutelle, révèle notamment les vulnérabilités de l’officine marocaine, notamment en matière de rentabilité et de résilience face aux réformes tarifaires. Les propositions de mesures compensatoires, telles que les droits de substitution, l’autorisation de la vaccination en officine ou la rémunération des actes pharmaceutiques, semblent pour l’instant écartées.
Selon Mohamed Lahbabi, président du CNSP, la baisse annoncée concerne à peine 150 médicaments sur les 5.400 commercialisés au Maroc, essentiellement dans la tranche de prix inférieure à 100 dirhams. Or, ces médicaments sont déjà peu rentables pour les industriels, ce qui alimente les ruptures de stock. En revanche, les produits de catégorie 4, bien plus coûteux pour les caisses de prévoyance comme la CNSS, représentent près de 54% des remboursements. C’est sur cette gamme que devrait porter, selon lui, l’effort principal de réduction.
Lahbabi redoute un effet pervers : en pénalisant les médicaments les moins chers, la réforme risque de restreindre leur disponibilité, poussant les patients vers des traitements plus coûteux. Une dérive qui irait à l’encontre des objectifs affichés de soutien au pouvoir d’achat et de rationalisation des dépenses de santé.
Le consensus annoncé par le gouvernement reste donc perçu comme flou par les professionnels de terrain, dans l’attente d’une traduction réglementaire concrète. Dans un secteur aussi sensible que celui du médicament, où se croisent impératifs de santé publique, logiques économiques et intérêts professionnels, l’équilibre reste à trouver.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO