Les magistrats plaident pour moins de collégialité
Informatiser les procédures, réformer les voies de recours, encadrer les contre-expertises… Pour améliorer l’efficacité judiciaire, chacun y va de sa petite recette. Dans une réunion rassemblant les 4 principales associations représentatives du corps des juges (Club des magistrats, Amicale hassanienne, Association des femmes juges et celles des juges-chercheurs) avec le ministre de la Justice Mohamed Aujjar, les magistrats ont plaidé, eux, pour la «généralisation des tribunaux à juge unique», formule qui a «donné des résultats probants, même dans les juridictions de deuxième degré, dans plusieurs pays comme la Grande-Bretagne et la Grèce», indiquent les associations dans un mémorandum présenté à l’Exécutif. «Dans un contexte d’insuffisance chronique de magistrats, l’abondance toujours accrue du contentieux doit pousser à le législateur limiter le principe de collégialité, qui ne doit plus constituer la norme». Outre les juridictions de proximité exercées exclusivement à juge unique, la loi prévoit que certaines formations de jugements des juridictions collégiales – comme le tribunal de première instance ou le tribunal correctionnel – peuvent être composées d’un seul juge, pour les affaires ne dépassant pas un certain seuil ou une certaine gravité.
Les magistrats plaident ainsi pour étendre cette sphère, notamment en matière pénale. Selon eux, les délits routiers ou les violences peu graves doivent relever de la compétence du juge unique. Les poursuites par procédure simplifiée (ordonnance pénale, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), qui ont connu un développement continu depuis leur création, «doivent également faire intervenir un juge statuant seul». Néanmoins, que ce soit pour les auxiliaires de justice ou l’Exécutif lui-même, un recours massif au juge unique pose quelques problèmes. D’une part, le juge unique est dénoncé comme un juge «isolé», et davantage sujet à l’erreur, à la partialité ou au manque d’indépendance que ses collègues siégeant à plusieurs. Ne pouvant user du délibéré pour confronter son appréciation, ou pour se retrancher derrière le caractère collectif de la décision, le juge unique est en effet un juge exposé. Le débat récurrent sur la solitude du juge d’instruction confirme ces critiques. D’autre part, les critères retenus pour déterminer la compétence du juge unique paraissent parfois discutables. En effet, la faible valeur financière d’un litige ou la moindre gravité d’une infraction ne sont en aucun cas des gages de la simplicité d’une affaire. «La faible importance des contentieux traités par le juge unique est d’ailleurs parfois toute relative: en matière pénale par exemple, il peut prononcer des peines d’emprisonnement dont la durée peut atteindre 5 ans», témoigne un avocat du barreau de Casablanca.
Face à ce scepticisme, les représentations professionnelles des magistrats opposent le principe de responsabilité. Le juge unique est en effet un juge directement responsable de ses décisions: tandis que les membres d’une collégialité «peuvent user du caractère collectif du délibéré comme d’une décharge, le juge unique est toujours comptable de la décision rendue», expliquent-ils. En outre, le recours au juge unique peut s’accompagner d’une plus grande spécialisation des magistrats, ce qui constitue une garantie de qualité de la décision rendue. Ils citent à ce titre la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui s’est prononcé à plusieurs reprises sur cette question. Celui-ci estime en effet que le recours au juge unique, qui n’est contraire à aucun principe constitutionnel de collégialité des juridictions, «ne porte pas atteinte au principe de l’égalité devant la justice». Quels que soient les arguments favorables ou défavorables au recours au juge unique, le fonctionnement quotidien des juridictions témoigne de ce qu’il ne s’agit plus d’une question de principe mais d’une nécessité pratique: les magistrats ne sont pas assez nombreux pour juger collégialement de l’ensemble des litiges. La collégialité présente plusieurs garanties, surtout pour les justiciables, leur assurant une décision mesurée, peu susceptible d’avoir été influencée par la partialité d’un juge et dotée d’une plus grande autorité.