Culture

Subventions : ce que les artistes reprochent au ministère de la Culture

Après le lancement, en juillet dernier, d’un programme exceptionnel de soutien aux acteurs culturels des mondes de l’art et du livre, la répartition des subventions a été dévoilée en début de semaine. Des voix s’élèvent critiquant le mécanisme de ce programme.

Les aides publiques octroyées aux artistes ont toujours donné lieu à des controverses, mais aucune n’a été aussi virulente que la dernière en date. Aujourd’hui, le débat s’est intensifié et a pris une nouvelle tournure, notamment en relation avec le contexte économique et social induit par la crise sanitaire. Après le lancement, en juillet dernier, d’un programme exceptionnel de soutien aux acteurs culturels des mondes de l’art et du livre, personnes physiques, associations et entreprises, en vue d’atténuer l’impact socio-économique de l’état d’urgence sanitaire, la répartition des subventions a été dévoilée en début de semaine. Aussitôt, une première voix s’est élevée, celle de la diva de la chanson Latifa Raafat, qui a fait une virulente sortie – contrairement à ses habitudes – pour critiquer le mécanisme de ce programme. Un coup de gueule qui a fait le buzz, certes, mais qui a davantage touché la corde sensible de la situation de l’artiste au Maroc.

Après l’appel à projets du ministère de la Culture, visant à soutenir les domaines de la musique, des chansons, des arts de la scène et des arts chorégraphiques avec une enveloppe prévisionnelle de 12 MDH (jusqu’à 250.000 DH par projet), la chanteuse crie au scandale.

Dans une vidéo live postée sur les réseaux sociaux, celle qui n’a jamais sollicité de subvention dit avoir exigé cette fois-ci de connaître les noms des bénéficiaires. «Qui sont ces gens qui ont reçu les aides ? Comment se fait-il qu’une société de construction et qu’une artiste domiciliée au Caire figurent sur cette liste ?», dénonce la représentante de l’âge d’or de la chanson marocaine. «J’ai vu circuler ce matin sur les réseaux sociaux une série de contenus venant d’internautes qui pointent du doigt, ce qu’ils appellent à tort, «l’appui aux artistes» du ministère de la Culture. Pour vous permettre de relativiser, je vous explique de quoi il s’agit, car manifestement, M. le ministre a parlé de cette opération en la qualifiant d’appui exceptionnel aux artistes», souligne pour sa part Nouamane Lahlou sur sa page Facebook. «Premièrement, il ne s’agit en aucun cas d’un appui, mais d’un programme d’aide à la production dont bénéficient les artistes depuis 11 années. Ce programme s’articule de la sorte : l’État marocain participe à hauteur de 60% au coût de production des produits artistiques, à condition que le producteur gère par ses propres moyens les 40% restants. Cela passe évidemment par une pré-sélection qui consiste à présenter le projet artistique à un comité du ministère de la Culture, en présence d’artistes venant de divers horizons.» Après avoir expliqué la démarche et son projet artistique, le musicien conclut : «J’ai pris la décision d’arrêter la production de mon projet actuel, refusant ainsi de bénéficier de cette aide et je demande au ministère de la Culture de bien vouloir reverser le montant dédié à l’appui de mon projet au Fonds spécial de gestion de la Covid-19.»

Une carte d’artiste, pour quoi faire ?
Dans sa sortie, Latifa Raafat est revenue sur la carte d’artiste et son rôle. «Cette carte est symbolique. Où est la mutuelle, la couverture sociale, la retraite?», s’indigne la chanteuse qui se dit heureuse d’avoir été l’une des premières à recevoir la carte des mains du roi en 2008. «Ces aides sont distribuées depuis 2008. À quoi ont-elles servi ? Où sont les œuvres, où est la chanson marocaine ?» Une question en suspens et un avis que ne partage pas totalement Majid Bekkas, musicien et membre de la commission cette année. «Nous avons été attentifs aux projets. Je suis d’accord avec beaucoup de points abordés par Madame Raafat, mais je ne suis pas d’accord pour dire que l’on ne doit donner qu’aux artistes connus. Il y a de jeunes artistes inconnus qui travaillent et qui proposent de belles choses, parfois meilleures que celles des anciens», reconnaît Bekkas. Selon lui, l’origine du problème réside plutôt dans l’octroi aléatoire de la carte d’artiste. «Certaines personnes n’ont rien à voir avec l’art et sont détentrices d’une carte d’artiste, quand des artistes qui font le bonheur du public, ambassadeurs des traditions marocaines, ne l’ont pas. Voilà le vrai problème, sachant qu’il faut disposer de cette carte pour obtenir les aides en question», lance-t-il. Justement, la catégorie d’artistes qui a fait sortir Latifa Raafat de ses gonds est celle des instrumentalistes, des musiciens d’orchestre, etc. qui, dans la conjoncture sanitaire actuelle, en raison des mesures restrictives, se retrouvent parfois contraints de vendre leurs instruments pour nourrir leurs familles. «Ce sont eux qu’il faut aider !», a lancé Raafat. Selon le président du Syndicat marocain des professionnels des arts dramatiques (SMPAD), Massoud Bouhsin, la situation est beaucoup plus complexe et il ne faut pas tomber dans le populisme. «Avec tout le respect que j’ai pour Latifa Raafat, qui est une grande artiste, il y a eu un appels à projets et des dossiers ont été soumis et étudiés. Il ne s’agit pas d’une aide Covid mais d’un appel à projets.» D’autres artistes se sentent également lésés et disent ne voir aucun projet se réaliser au fil des années.

«J’ai envoyé un dossier en béton pour un projet d’album. J’ai une carte d’artiste et je ne suis même pas au courant que les résultats sont sortis. J’ai bossé sur le dossier comme un fou. Ils auraient au moins pu envoyer un mail avec les résultats», confie Khalil Belamalem, DJ de renom qui sillonne le monde en mettant en avant la musique traditionnelle marocaine. «Mon projet met en avant les traditions musicales et l’artisanat. Comme Latifa Raafat, on veut voir qui sont ces porteurs de projets et quels projets ils ont», poursuit le DJ. «14.000.000 DH répartis entre des gens qui ne sont pas dans le besoin», se révolte Yousra Mansour, du groupe Bab L’Bluz, qui vient de sortir un album dans la douleur.

Les bénéficiaires des subventions
Qui sont les bénéficiaires de ces subventions? «Avec tout le respect dû aux artistes, il y en a qui n’ont aucun lien avec la musique !», riposte Latifa Raafat. Pour Majid Bekkas, il y a un réel manque d’organisation, un constat qu’il n’a pas manqué de faire lors de la commission de sélection. «J’ai tenu à souligner quelques incohérences en tant que musicien, qui seront transmises au ministre. Il faut que les choses changent.» En effet, le musicien qui a fait voyager la musique gnaouie d’un continent à l’autre n’a jamais bénéficié de ces aides. Selon lui, les aides vont toujours aux mêmes personnes. «Il y a des gens spécialisés dans les demandes de subventions, qui passent leur temps au café à remplir des dossiers. Cela n’a rien à voir avec la musique», confie Bekkas. «Comment se fait-il que ce soient les mêmes qui demandent chaque année des aides, alors qu’un projet musical peut mettre deux ans à voir le jour ?», critique le musicien, qui dresse le même constat que Latifa Raafat. «Sur le papier, il est impossible de demander des aides deux années de suite. Je peux vous assurer qu’il y a des noms qui obtiennent l’aide chaque année.» Pour Messaoud Bouhcine, le réel problème, ce sont les 14.000.000 DH justement. «Ce n’est pas assez! Les gens voient le montant global, mais que dire de toutes les personnes qui travaillent, les dépenses ? Quand on fait le compte, on est à 1.000 DH par individu à peu près. Ce n’est rien pour la musique!», continue-t-il. Même si Latifa Raafat parle de musique, tous les domaines artistiques sont touchés. «Cela fait trois ans que je dépose mon dossier et je ne reçois rien. Je suis une actrice culturelle indépendante. On sait qu’il y a des dépassements, mais je garde espoir. La liste d’il y a deux jours m’a choquée. Seules les galeristes privés ont perçu les aides. Aucun indépendant ? Nous ne sommes subventionnés que par les étrangers», s’inquiète Bouchra Salih, galeriste indépendante. La liste des bénéficiaires, qui circule depuis le 28 septembre, a donc suscité bien des réactions dans le domaine de la musique, mais pas seulement. Les langues se délient, les artistes ne veulent plus se taire à l’heure de la pandémie. Du côté du ministère de tutelle, aucun commentaire, aucune explication officiels n’ont jusqu’à présent été donnés. Nos appels sont restés infructueux.

Jihane Bougrine / Les Inspirations Éco

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