Roman policier : Melvina Mestre fait du rififi dans la Ville blanche
À Casablanca, ce vendredi à la librairie Livre-moi, à 19 h, et samedi à celle du Carrefour des livres, à 18 h, avec Annie Devergnas, Melvina Mestre revient sur les lieux de son enfance et de ses romans policiers. Elle y présentera ses deux premiers volumes d’une trilogie annoncée. Leur description de la métropole à la veille de l’indépendance brille autant par son niveau de détails que par son contexte historique.
Le roman de gare était un genre très méprisé. Sous Napoléon III, l’éditeur Hachette avait obtenu l’exclusivité de la distribution de livres dans les gares. Il y a gagné beaucoup d’argent avec des livres superficiels et faciles à lire. On ne disait pas encore «objets de consommation», mais ils n’étaient censés que meubler l’attente ou le voyage des passagers. La critique ne s’abaissait pas à parler de ces opuscules imprimés sur papier bon marché, sinon pour insulter un texte jugé «indigne» de la haute littérature. Aux États-Unis, pays des grands espaces, le terme est «Airport novel», roman d’aéroport. Sans doute un peu plus tardif, son sens est le même, assez synonyme des «pulps», qui ont nourri l’imagination du cinéaste Quentin Tarentino.
Romans policiers et historiques
Mais, au XXe siècle, c’est précisément ce mépris qui a offert un espace de liberté à certains auteurs. Les critiques ne les lisant pas, les éditeurs en expédiant la relecture, d’obscures signatures se sont révélées d’audacieux prosateurs dans les genres du fantastique, comme le Belge Jean Ray, de la science-fiction, tel l’Américain Philip K. Dick, et du roman policier, ainsi les monuments Dashiell Hammett, Agatha Christie et Simenon, pour ne citer que les pionniers. Melvina Mestre, si elle ne réinvente pas le genre, se sert de son cadre. Mais son centre d’intérêt n’est pas celui des revenants ni des dictatures interplanétaires. Elle ne fait pas non plus de l’étude psychologique ni de la critique sociale à proprement parler.
Sa passion, autant que sa formation, est celle d’une historienne. Et l’histoire, dès lors qu’elle est étudiée avec un minimum d’attention, révèle des complexités humaines souvent fort loin des récits à l’eau de rose, des romans de gare, précisément, mais aussi des épopées politiciennes se voulant édifiantes pour les masses. Melvina Mestre offre donc des textes d’un abord facile, qui narrent les aventures d’une détective privée appelée Gabrielle Kaplan, dans un Maroc des années 1950 décrit dans ses petits détails. Si l’héroïne tend à user plus souvent de ruses et de sagacité que de coups poing, il arrive que les pneus des Studebaker crissent et que les balles sifflent. Ce sont celles de la grande histoire, dans un pays et à une époque où une société d’Européens se déchire en sentant confusément que son injuste ordre social est sur le point de basculer, sous la pression des indépendantistes. L’opération Torch, le débarquement américain de 1942 au Maroc et en Algérie, a passablement ébranlé les piliers de la fragile hiérarchie du petit monde colonial.
La Casablancaise et sa privée
Née à Nice en 1966, Melvina Mestre a grandi à Casablanca jusqu’à l’âge de 17 ans. Elle revient donc sur les lieux de son enfance, ce qui est loin d’être un crime, après une vie bien remplie. Elle a, durant celle-ci, étudié l’histoire et à Sciences Po Paris, travaillé à la radio et dans la presse féminine. Elle est maintenant à France Télévisions où elle a été notamment directrice de la programmation de France 3 et secrétaire générale de France Ô. Elle y occupe aujourd’hui le poste de déléguée générale adjointe de la Fondation Engagement Médias pour les jeunes. Ce n’est donc peut-être pas un hasard si la langue de ses romans historiques semble s’adresser particulièrement à une jeunesse francophone qui sait en général peu de choses de la décolonisation du Royaume.
«Crépuscule à Casablanca» (éd. Points, 2023), qui a obtenu le Prix du polar «Sud Ouest»-Lire en Poche, tourne autour de l’affaire Jacques Lemaigre Dubreuil. Cet industriel, dirigeant des huiles Lesieur, venait de l’extrême droite française. La guerre l’obligeant à délocaliser ses usines au Maroc, il entre dans la Résistance.
Après la guerre, il prend la tête d’un journal libéral, au Maroc, dans les colonnes duquel il se déclare de plus en plus ouvertement pour l’indépendance du Royaume. Il est assassiné le 11 juin 1955, au pied de l’immeuble Liberté, à Casablanca. Et en ouverture du livre de Melvina Mestre. Si des policiers ont été fortement soupçonnés par l’enquête officielle, cette dernière s’est conclue par un non-lieu en 1965.
De plus, on peut lire, page 106 : «Depuis l’armistice, des Européens de tous les acabits débarquaient à Casablanca ; les uns fuyaient les rationnements — les derniers tickets avaient disparu de la Métropole en décembre 1949 —, les autres la justice. Anciens déserteurs, rebuts de la collaboration — ceux qui n’avaient pas pu se fournir un certificat de résistant —, phalangistes ou républicains, gars du milieu, chacun pouvait rebondir, ici, grâce à l’absolution de fonctionnaires corrompus».
Autant dire que le lecteur aura bien besoin de Gabrielle Kaplan pour tenter de démêler les fils de cette affaire, ou au moins de comprendre les différentes hypothèses qui entourent ce meurtre non élucidé. Le nouveau tome des aventures de la détective privée s’intitule «Sang d’encre à Marrakech» (éd. Points, 2024). Kaplan y part sur les traces d’un tueur en série qui sévit notamment dans le milieu de la prostitution, en 1952. C’est l’occasion pour Melvina Mestre de nous parler du quartier Bousbir, de sinistre mémoire.
Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO