Culture

Littérature : Mohammed Serifi-Villar sous “Le Ciel carré”

Le 26 février, Mohammed Serifi-Villar présentait à Casablanca son livre «Le Ciel carré» (éd. Le Fennec), récit d’une vie dont près de18 ans ont été passés en incarcération.

«En prison, il faut être consciemment “schizophrène”, apprendre à être deux : celui qui souffre parce qu’il ne peut pas éteindre la douleur et celui qui écoute l’autre qui, ce jour-là, souffre davantage. Tu vis dans un ventre de pierre, mais tu dois, en permanence, te poser la question de savoir ce qui va sortir de ce ventre et essayer de faire en sorte que ce soit un humain !» écrit Mohammed Serifi-Villar dans «Le Ciel carré» (éd. Le Fennec), le récit d’une vie dont près de 18 ans ont été passés en incarcération, à Derb Moulay Chérif puis à la centrale de Kénitra. Il continue : «Les roches m’ont toujours fasciné. Parce qu’elles sont faites de poussières agglomérées, mais, comme nous les humains, elles peuvent se désagréger et redevenir poussière.»

Tolérance et vivre-ensemble
Lors de la présentation de l’ouvrage dans une librairie de Casablanca, le 26 février, la modératrice de la soirée, Kenza Sefrioui, soulignant ce passage, demande à l’auteur s’il pense que la société marocaine était «schizophrénique», comme certains le disent.

La réponse de l’auteur a la profondeur de son expérience et de son ouvrage : «Je pense que c’est une société en ébullition, une société qui vit ses propres contradictions et qui les dépasse. Il y a un mode de vie, un mode de production, un mode relationnel qui est beaucoup plus paysan, et un mode citadin qui se développe de façon différente, mais la société marocaine n’est pas du tout schizophrène».

Et Mohammed Serifi-Villar étaye son affirmation : «Il y a des personnes réellement croyantes, pratiquantes, d’autres qui le sont moins et elles se tolèrent et vivent ensemble. Nous sommes arrivés réellement à nous séparer de tout ce radicalisme intégriste négatif qui se refuse à l’autre et aux différences d’avec l’autre. Je ne pense pas que nous soyons une société schizophrène, pas du tout, nous formons une société très saine, avec nos contradictions. Nous avons survécu à des années de terreur et nous sommes debout et nous sourions.» Qu’il puisse publier et présenter son livre, où il n’euphémise pas ses opinions, en est l’une des preuves, ajoute-t-il, avec le même sourire.

Une enfance contre Franco et le protectorat
Car la soirée est aussi gaie que remplie d’émotions, dans une librairie pleine à craquer, où se pressent beaucoup d’anciens prisonniers politiques, compagnons de détresse ou passés dans des cellules similaires. L’assistance est bouleversée, la chaleur humaine, palpable et l’humour, une pudeur vraie.

Dans la salle, Mouhcine Ayouche tient ainsi à préciser qu’il «se force à lire lentement pour savourer le livre». Témoignage carcéral, «Le Ciel carré» offre au lecteur un regard à la fois très humain et très érudit sur l’histoire des femmes et des hommes d’une génération marocaine.

Mohammed Serifi-Villar, arrêté en 1974, raconte en effet combien et comment il a lu, dans sa prison, même des livres interdits, en trompant les gardiens. L’histoire familiale de l’auteur est poignante : son père, pêcheur analphabète a épousé une veuve espagnole, déjà mère de trois enfants. Elle avait fui la dictature de Franco.

À Tanger, le couple et ses six enfants vivent parmi d’autres républicains espagnols, communistes ou anarcho-syndicalistes. Les valeurs de résistance (au protectorat), de générosité et d’attention aux plus vulnérables sont donc inculquées par l’exemple au jeune Mohammed, qui, étudiant, va tout naturellement, pour son époque, rejoindre le groupe marxiste-léniniste Ilal Amam. Celui-ci, insiste l’auteur, n’a jamais prôné de lutte armée ni de quelconque violence. L’injustice du supplice de ses membres n’en sera que plus grande. Ce 26 février, Serifi-Villar reconnaît que «les convictions changent, mais pas les valeurs universelles».

Pour soutenir des camarades sur le point de craquer, «nous leur rappelions que nous étions là pour défendre des valeurs de justice, des valeurs d’humanité et que la question politique était secondaire. Nous accusions en effet l’URSS de révisionnisme à cause du goulag, grâce à Soljenitsyne, à cause de l’Afghanistan ou de la Tchécoslovaquie de Jan Palach qui s’était immolé par le feu en 1969.

Nous ne pouvions pas non plus accepter l’attitude molle des Soviétiques face à l’agression israélienne.» Le récit de sa découverte de ce qu’était devenu le Royaume à sa libération, en 1991, frappe par la calme lucidité avec laquelle il reconnaît ne plus être en phase, alors, avec la société marocaine. Mais qui le serait après un tel isolement ?

Reprendre la transition démocratique
L’homme libre, cependant, a gardé un esprit vif dans un corps traumatisé par la torture. Il n’a pas complètement recouvré l’usage d’un de ses bras, l’un de ses reins ne fonctionne plus correctement et il a dû réapprendre à marcher. Il porte toutefois un regard incisif sur le Maroc actuel, qui dispose d’une intelligentsia capable de soutenir des débats de société bien supérieurs à ceux des pays européens, estime-t-il.

Elle se doit de participer davantage à la vie du pays, qui bénéficie de nombreux acquis, fruits des combats de sa génération. «L’État réprime, mais pas comme avant. Il faut davantage de séparation des pouvoirs» soutient l’ex-révolutionnaire, qui voudrait retrouver le souffle des années 1999-2005.

«Il faut oser réfléchir, reprendre les éléments fondateurs de la transition démocratique», précise-t-il.

Après sa sortie de prison, il avait commencé à travailler comme interprète avant de devenir directeur administratif et financier d’une zone industrielle de 127 entreprises. Devant la réticence de certains patrons, au vu de son passé, «le président du Conseil, Me Alami Abdelwahed, leur avait déclaré : “Comment ne pas admettre parmi nous quelqu’un qui fut hôte de Sa Majesté le roi durant presque dix-huit ans ?”».

Dans son avant-propos, Mohammed Serifi-Villar voudrait nous «inviter à apercevoir l’intensité de la lumière dans les tunnels les plus ténébreux, les plus sombres, de partager la joie d’être là, et de sentir dans le sourire d’un enfant à Gaza, dans la broussaille africaine, ou dans les mines colombiennes, l’espérance et la soif de justice.» Assurément, c’est bien un être toujours humain qui est ressorti du «ventre de pierre».

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO



Maroc Telecom : ce qui va changer avec Benchaâboun


Recevez les actualités économiques récentes sur votre WhatsApp Suivez les dernières actualités de LESECO.ma sur Google Actualités

Rejoignez LesEco.ma et recevez nos newsletters




Bouton retour en haut de la page