“Tron : Arès”. Plein les yeux et les oreilles pour pas grand-chose

Cette troisième séquelle de l’univers Tron, créé par Disney en 1982, est portée par Jared Leto, Greta Lee et Jeff Bridges. Certes spectaculaire, ce film sur la traversée entre mondes réel et numérique sous-exploite malheureusement son thème.
Deux sociétés dominent l’industrie de la technologie : les groupes Encom et Dillinger Systems. Encom est la petite entreprise de jeux vidéo de Flynn (Jeff Bridges) du premier Tron, devenue un conglomérat de taille mondiale (pensez à n’importe lequel des GAFAM). Dillinger Systems est dirigé par Julian Dillinger (Evan Peters), petit-fils de son fondateur.
Ce jeune Dillinger est un codeur habile, très sûr de lui, insensible à autrui et passablement mégalomane. Sa mère (Gillian Anderson, oui, de «X-Files») est le personnage dont la seule raison d’être est de tenter de raisonner un vieil adolescent qui ne respecte personne, pas même sa maman. Un célèbre milliardaire américain pourrait se sentir visé par cette caricature.
Dillinger est tatoué, ce qui n’est pas très gentil de la part de Disney pour les tatoués, car c’est dans ce film clairement la marque d’une méchanceté qui dépasse du costume et du col de la chemise. Bref, Julian Dillinger utilise une nouvelle technologie qui permet d’imprimer dans le monde réel, avec des lasers, ses programmes conçus dans le monde virtuel («the grid», dans le film, en version originale).
Il propose ainsi des armes et le «soldat du futur», Arès (Jared Leto), à l’armée américaine. Mais, lui fait remarquer sa mère, il est malhonnête de ne pas prévenir les généraux que ces «créations» numériques ne durent que 29 minutes dans la vraie vie, et qu’il va finir par avoir des ennuis avec son conseil d’administration.
«Good Tech, bad Tech»
Chez Encom, la PDG Eve Kim (Greta Lee) possède cette même technologie, mais l’utilise pour créer des arbres fruitiers afin de lutter contre la faim dans le monde, lutter contre le changement climatique, etc. Elle cherche donc, elle aussi, à les faire durer plus longtemps. Nous sommes bien dans une production Disney où les «bons» et les «méchants» sont clairement identifiés, y compris par le code couleur des vêtements des programmes (lumières rouges chez Dillinger, blanc-bleu chez Encom).
Le scénario repose sur une bonne idée, malgré tout. Le très belliqueux Arès va désobéir à son créateur. C’est-à-dire qu’il va comprendre et faire preuve d’empathie (Elon Musk est notamment célèbre pour avoir dit que, selon lui : «La faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale est l’empathie»). Eve Kim, la patronne d’Encom, réalisant l’étrangeté de ce programme, l’exprime ainsi : «Et si son principal dysfonctionnement n’était autre que sa bienveillance ?» Une étrange relation va donc s’instaurer entre les deux personnages, laissant d’ailleurs la porte ouverte à toute une franchise.
On voit donc ici le paradoxe amusant : la machine devenant plus humaine que son programmeur. Malheureusement, et même si les scénarios des films «Tron» n’ont jamais été très élaborés, les qualités du script s’arrêtent là. Les acteurs, tous de grands professionnels, font de leur mieux pour habiter des personnages plats et unidimensionnels, paradoxe moins amusant pour un film à voir en 3D.
Seul Jared Leto aurait de quoi faire, puisqu’il cite le conte de Pinocchio et le roman «Frankenstein» dans le texte (c’est une IA, après tout), mais, à part quelques étonnements d’homme-enfant, il maintient un visage de marbre le plus souvent. Le réalisateur, Joachim Rønning, avait tourné le cinquième opus de «Pirate des Caraïbes» (dont les trois premiers étaient excellents). Il ne faudrait pas qu’il se spécialise dans les séquelles de trop.
Son et lumière
Visuellement, en revanche, le film est plutôt réussi. Une des attentes majeures était de voir un «Tron» avec les effets spéciaux d’aujourd’hui. Action, effets, cascades, lasers et courses de motos dans la vraie ville sont livrés. Toutefois, l’ensemble tire un peu trop sur la corde de la nostalgie des années 1980, ce qui pourrait plaire à la génération X, mais pas forcément au public plus jeune qui, lui, devrait porter l’avenir d’une telle franchise.
De plus, cette nostalgie fait l’impasse sur la meilleure qualité du premier «Tron», qui était que les costumes avaient été dessinés par le génial Moebius. Celui-ci s’était inspiré des films muets des années 1920, époque «Metropolis». Placer une référence à la musique de Depeche Mode dans la bouche de l’IA Arès n’est pas tout à fait du même niveau.
La bande-son est cependant très bonne, puisqu’elle a été confiée à Trent Reznor et son groupe Nine Inch Nails (NIN). Mais, avis aux salles de cinéma casablancaises : la musique de NIN est toute dans les nuances et les finesses cachées dans son «gros son». Et si le volume n’est que poussé au maximum dans la salle, tout sature et devient inaudible. Ce qui devient alors très désagréable pour les spectateurs.
Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO