Culture

Cinéma. Gena Rowlands tire sa révérence

L’actrice s’est éteinte chez elle, en Californie, mercredi 14 août, à 94 ans. Figure majeure du cinéma indépendant, son nom est indéfectiblement lié à celui de son premier mari, le réalisateur John Cassavetes, disparu en 1989. 

«Vous savez ce qui est merveilleux dans le fait d’être actrice ? Vous ne vivez pas qu’une seule vie», avait-elle expliqué en recevant son Oscar d’honneur, en 2015, pour l’ensemble de sa carrière. Des vies, elle en a eu, en effet, et quelles vies !

Née en 1930, Virginia Cathryn «Gena» Rowlands était la fille d’un banquier et sénateur de l’État de Wisconsin et d’une mère «très artiste» qui a soutenu sa fille. Celle-ci quitte l’université en 1950 pour aller à New York étudier à l’American Academy of the Dramatic Arts, qu’elle abandonne assez vite pour commencer à jouer au théâtre, à Broadway et à la télévision. Elle rencontre John Cassavetes, qu’elle épouse quatre mois plus tard, en 1954. Tandis qu’elle brûle les planches, elle et son mari font de la télévision, parfois ensemble, mais pas toujours.

Débuts new-yorkais

La série «Johnny Staccato», où il joue le rôle d’un jazzman détective privé, rapporte à John Cassavetes suffisamment d’argent pour éponger les dettes dues à son premier film «Shadows», en 1959, beaucoup plus réaliste, sur le milieu des joueurs de jazz noirs. Le budget est minuscule, le tournage est «en décors naturels», c’est-à-dire dans les appartements, rues et bars fréquentés par les acteurs. La liberté laissée à l’improvisation de ces derniers sera la signature de Cassavetes dans toute son œuvre, mais aussi l’origine du film.

Dans le magazine Playboy, de juillet 1971, il explique : «Lors d’un cours de théâtre, j’avais été si impressionné par une des improvisations que je me suis dit “Mais cela pourrait faire un film superbe !” C’était l’histoire d’une noire qui se fait passer pour blanche et qui perd son petit ami blanc quand il rencontre son frère noir.» Le film n’est d’abord reconnu que par la critique, mais Hollywood s’intéresse au réalisateur.

Après plusieurs expériences frustrantes, le point de rupture est atteint lorsque la Paramount l’écarte du montage de son film sur l’autisme, «A Child Is Waiting» (1963), avec Gena Rowlands, Burt Lancaster et Judy Garland, changeant le sens du film. Il décide de travailler en indépendant. Gena Rowlands avait conquis le grand écran dans le film de José Ferrer «L’amour coûte cher» («The High Cost of Loving») en 1958. Hollywood l’avait remarquée, mais elle demande à rompre son contrat avec la MGM.

L’indépendance toujours sur le fil

C’est donc assez logiquement que sa femme va tenir le haut de l’affiche de «Faces» en 1968, où elle joue une call-girl recevant un mari, interprété par Cassavetes lui-même, qui n’arrive plus à communiquer avec son épouse. Le réalisateur aime ses acteurs, ils sont toujours au centre de ses projets et l’improvisation fait partie intégrante de l’écriture, tout de même un peu plus maîtrisées.

Le film est sélectionné aux Oscars dans trois catégories, ainsi qu’à la Mostra de Venise dans la catégorie meilleur film et meilleure interprétation masculine, l’acteur John Marley obtenant cette dernière récompense. Le couple entre définitivement dans l’histoire du cinéma. Il est assez remarquable que Gena Rowlands n’est alors plus une jeune première, mais une femme au fait de sa maturité.

En 1974 sort «Une Femme sous influence» («A Woman Under the Influence»), écrit à la demande de Rowlands. L’action se situe dans le milieu ouvrier et met en scène ce l’on ne nomme pas encore la «charge mentale» qui conduit une mère de famille toute simple à un effondrement psychologique sous le regard d’un mari désemparé, Peter Falk. Ce sera, pour Cassavetes, une sorte de revanche sur Hollywood, en ce sens qu’il réussit à mettre les spectateurs dans la peau du personnage confronté à la pression sociale et à l’institution psychiatrique, ce qu’il aurait voulu faire à propos des enfants autistes.

Ce rôle sera comme la signature, la clef de la carrière magistrale de Rowlands. Elle va étoffer les personnages les plus fragiles avec force et ardeur, et Cassavetes s’impose comme l’un des réalisateurs les plus singuliers de son époque.

Maîtrise et chefs-d’œuvre

L’argent, bien sûr, ne coule pas à flots et les travaux ultérieurs seront toujours réalisés avec des budgets très serrés, le plus souvent «en décors naturels». Le couple Cassavetes-Rowlands est peut-être l’héritier américain le plus direct de la nouvelle vague française et du néoréalisme italien, mais à sa propre façon.

On ne peut citer tous les longs-métrages qu’ils ont produits ensemble, mais il n’est pas possible de passer sous silence «Opening night», en 1977. Gena Rowlands y interprète une actrice de théâtre qui doit jouer une pièce de théâtre dont le personnage central passe difficilement le cap de la quarantaine. Le metteur en scène, joué par Cassavetes lui-même, et l’autrice de la pièce regardent avec effarement ce qui ressemble à une suite de caprices de diva effrayée par l’âge. Pourtant, le personnage joué par Gena Rowlands ne fait que rentrer dans la peau de son personnage, en cherchant ses peurs et – peut-être – ses joies secrètes. Bref, son humanité. «Opening night» est un somptueux chef-d’œuvre.

Gena Rowlands obtient un Ours d’argent au festival de Berlin, mais Cassavetes a toujours des problèmes de financement. Il accepte d’écrire un scénario pour la MGM. La Columbia rachète le script et propose à Cassavetes de le réaliser. Ce sera «Gloria», sorti en 1980. Ce film atypique pour le réalisateur, qui le qualifie «d’accident» dans sa carrière, porte à l’écran une extraordinaire Gena Rowlands dans le rôle d’une prostituée sur le retour qui ne peut s’empêcher de protéger un enfant poursuivi par la mafia, qui l’emploie. Rowlands, cigarette au bec et (brièvement) pistolet à la main, est au sommet de son art.

Un art toujours tiré de la vie même

L’actrice a aussi tourné avec d’autres réalisateurs. Ainsi, Woody Allen la met en scène en 1988 dans «Une autre femme» («Another Woman»), avec Mia Farrow. En 1991, Rowlands partage l’affiche de «Night on Earth», de Jim Jarmusch, avec Winona Ryder. Elle continue de faire de la télévision et, en 2004, revient sur le grand écran, dirigée par son fils, Nick Cassavetes, dans «N’oublie jamais» («The Notebook»), sur la maladie d’Alzheimer. Ce rôle rapporte un Emmy Award à Gena Rowlands. En 2007, ce sera au tour de sa fille, Zoe Cassavetes, de faire jouer sa mère, dans «Broken English».

Sur le plan privé, elle se remarie en 2012, mais les années passant, c’est précisément la maladie d’Alzheimer qui vient emporter l’artiste. En juin 2024, Nick Cassavetes confiait à Entertainment Weekly que son état se dégradait et concluait : «Nous l’avions vécu, elle l’a joué, et maintenant c’est sur nous». Cette fois, l’expérience est venue après la fiction.

Pour autant, la magnifique actrice nous laisse autant de «vies» que d’images d’elle. «Parfois, pendant ces nuits blanches où je ne trouve pas le sommeil, j’ai beaucoup de temps pour réfléchir et j’examine les diverses possibilités des différents personnages et ce qu’ils pourraient faire aujourd’hui», avait-elle déclaré en 1992. L’actrice gardait vivants les rôles qu’elle a incarnés. C’est aujourd’hui au tour de son public de le faire.

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO

 


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