Salons professionnels dédiés au textile : opportunité ou menace ?

Dans le secteur textile marocain, les salons commerciaux attisent la discorde. Une série d’évènements soutenus par des opérateurs étrangers suscite des tensions dans le secteur. Accusés de favoriser une concurrence déloyale, ces événements divisent industriels, institutions et partenaires. En première ligne, l’AMITH dénonce un affaiblissement de la souveraineté industrielle, tandis que d’autres y voient une opportunité d’ouverture pour les PME marocaines.
C’est une scène désormais familière dans les arcanes du textile marocain, une foire internationale, un afflux d’exposants étrangers, des accusations de concurrence déloyale, et une association professionnelle vent debout contre ce qu’elle considère comme une menace pour la souveraineté industrielle du pays.
À quelques mois d’intervalle, deux événements, le Salon Morocco Fashionstyle et la 10e édition du Salon international du textile ont ravivé une guerre feutrée mais bien réelle. En toile de fond, une bataille pour le contrôle de l’image, du marché et de la légitimité dans un secteur hautement stratégique pour l’économie nationale.
Un soutien jugé contre-productif
En première ligne, l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH) multiplie les alertes. Son dernier cheval de bataille, empêcher, ou à défaut délégitimer, un salon soutenu par la Chambre de commerce de Casablanca, perçu comme une vitrine des productions turques et égyptiennes.
Dans une lettre adressée à la CCISC, l’AMITH appelle au retrait du soutien institutionnel accordé à ce qu’elle considère comme un cheval de Troie commercial. Le ton est grave. L’association dénonce une «inondation du marché par des produits à bas coût, une concurrence «faussée» et une atteinte directe au label Made in Morocco, fruit de «longues années de structuration industrielle».
Plus encore, dans une affaire précédente, elle reprochait à des opérateurs d’utiliser indûment cette mention pour valoriser des produits d’origine étrangère. Une situation qui, selon Anass El Ansari, président de l’AMITH, va à l’encontre des efforts du ministère de l’Industrie pour promouvoir le Made in Morocco et renforcer la souveraineté industrielle du pays. Mais ce n’est pas la première fois que l’AMITH s’oppose à ce type de manifestations.
Lors de la 7e édition du Salon Morocco Fashionstyle, l’association avait intenté une action judiciaire devant le tribunal de commerce de Casablanca pour en obtenir l’annulation, avançant une concurrence frontale avec son propre événement, le Morocco Style Fashion and Tex, dont la marque est déposée à l’OMPIC depuis 2016.
La procédure a été rejetée par le tribunal, qui a estimé que le salon contesté était lui aussi enregistré, et que les conditions d’interdiction n’étaient pas réunies. L’AMITH reprochait à l’organisateur de vouloir promouvoir massivement des produits turcs, certains étant même étiquetés à tort «Made in Morocco» selon les propos du président de l’association.
Une cause louable
Face aux critiques, Hassan Berkani, président de la CCISC (Chambre de commerce d’industrie et de services Casablanca – Settat), défend une initiative en faveur des petites et moyennes entreprises marocaines. Il affirme que l’événement permet à ces acteurs, qui n’ont pas toujours les moyens de se déplacer à l’international, d’exposer leur savoir-faire sur place et de rencontrer des clients potentiels.
«Ce sont près de 400 exposants, émanant de 140 pays, qui participent à cet événement d’une grande ampleur pour les petites entreprises en quête d’une visibilité à l’international. À travers ce genre d’événement, dont l’organisateur bénéficie d’une grande expérience au niveau mondial, une opportunité grandiose leur est offerte pour prospecter en masse des clients à fort potentiel», défend Berkani.
Et d’ajouter qu’en principe, cette tâche incombe à l’Amith qui devrait promouvoir également les petites entreprises lesquelles pour l’heure ne bénéficient d’aucun appui de l’association professionnelle, à en croire des adhérents. Sur les accusations de concurrence déloyale, le président de la CCISC souligne que le Maroc ne dispose pas d’un amont textile suffisamment développé pour que l’exposition à des intrants étrangers constitue une menace directe.
Il affirme également que les organisateurs n’ont pas sollicité l’égide du ministère de l’Industrie, ce qui selon lui montre leur volonté de rester dans un cadre privé. Même son de cloche du côté du ministère de tutelle. Selon nos informations, aucun soutien officiel à cet événement n’a été accordé. Le soutien ministériel, rappelle une source proche du dossier, suppose un impact économique significatif pour les professionnels du secteur. En l’espèce, l’absence de promotion directe du produit marocain justifie la distance prise par la tutelle, qui, néanmoins, souligne qu’elle n’a pas vocation à interdire les initiatives privées.
Dans les deux cas, les organisateurs affirment ne pas exposer de produits finis, mais des accessoires ou des équipements destinés à renforcer la chaîne de valeur locale. L’AMITH, elle, reste sur ses gardes, jugeant que ces événements fragilisent le label national et entretiennent une confusion stratégique, notamment lorsqu’ils utilisent des marques similaires ou prétendent représenter l’industrie locale.
Hassan Berkani
Président de la CCISC
«Ce sont près de 400 exposants, émanant de 140 pays, qui participent à cet événement d’une grande ampleur pour les petites entreprises en quête d’une visibilité à l’international. A travers ce genre d’événement, dont l’organisateur bénéficie d’une grande expérience au niveau mondial, une opportunité grandiose leur est offerte pour prospecter en masse des clients à fort potentiel»
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO