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Rapport Plan Bleu : un tournant durable à portée de main… si le Maroc sait saisir l’urgence

Alors que le bassin méditerranéen fait face à des pressions environnementales croissantes, le dernier rapport du Plan Bleu établit un diagnostic sans concession mais porteur d’espoir, soulignant que le Maroc dispose des clés pour opérer une transition économique et écologique réussie, sous certaines conditions impératives

«Un tournant significatif vers des pratiques économiques plus durables est à portée de main, pour autant que des cadres nationaux et régionaux appropriés soient mis en place et soutenus activement, permettant ainsi aux outils verts de se développer pleinement».

Telle est la citation clé à retenir du volume II du rapport que vient de publier le Plan Bleu. A cela s’ajoute la voie à suivre, que recommande le rapport, qui offre une feuille de route cruciale aux pays du pourtour méditerranéen. Des conclusions qui constituent un miroir lucide des défis et opportunités que le Maroc rencontre dans sa quête de durabilité. C’est dans cette dynamique que nous nous attelons à dégager les enseignements clés pour le Royaume.

L’impératif de réforme des subventions nuisibles
Le rapport souligne avec force que «la suppression ou la réforme progressive des subventions nuisibles à l’environnement […] apparaît comme [un] levier incontournable de réforme écologique et économique ». Ce point résonne particulièrement au Maroc.

Les subventions aux carburants fossiles, bien qu’ayant été réduites, représentent encore un poids budgétaire colossal et un signal économique contre-productif à la transition énergétique et à l’efficacité. Leur réforme ciblée, accompagnée de mesures d’accompagnement social (transition juste), est non seulement une recommandation méditerranéenne mais une nécessité nationale pour libérer des ressources et corriger les distorsions de marché pénalisant les solutions vertes.

Ainsi, l’«alignement des politiques fiscales sur les objectifs de développement durable» implique pour le Maroc de renforcer sa fiscalité environnementale (taxes sur la pollution, sur les déchets, incitations vertes) dans un cadre cohérent.

Gouvernance et adaptation locale des outils verts
Le rapport reconnaît le «réel potentiel» des instruments comme la tarification carbone, les obligations vertes ou les fonds fiduciaires pour la biodiversité. Le Maroc explore ces voies : cadre volontaire de compensation carbone, émission d’obligations vertes (notamment pour l’énergie et l’eau), initiatives de conservation.

Cependant, le Plan Bleu met en garde : leur «efficacité dépend fortement d’une gouvernance robuste, d’une coordination entre ministères, et d’une adaptation fine aux réalités locales». C’est là que le bât blesse souvent. Notamment en matière de gouvernance et coordination, du fait de la fragmentation institutionnelle et le manque de coordination, qui affaiblissent la mise en œuvre et le suivi de certaines politiques environnementales et instruments financiers verts. En matière d’adaptation locale, les solutions ne peuvent être copiées-collées.

«Les écarts persistants entre les pays […] en termes de capacité institutionnelle, de marge de manœuvre budgétaire et de maturité réglementaire soulignent la nécessité d’approches différenciées», souligne le rapport.

Le Maroc, avec ses disparités régionales marquées, ses contraintes hydriques exacerbées, sa vulnérabilité climatique accrue et le poids économique de secteurs comme l’agriculture ou le tourisme, gagnerait à adapter ces instruments. Par exemple, un mécanisme carbone efficace pour l’industrie côtière différera de celui pour l’agriculture oasienne. Les obligations vertes doivent financer des projets répondant aux priorités nationales et locales (stress hydrique, érosion côtière, énergies renouvelables décentralisées), pas seulement aux standards internationaux génériques.

La taxonomie méditerranéenne : une opportunité pour le Maroc
C’est peut-être la recommandation la plus pertinente pour l’avenir financier vert du Maroc : «l’urgence de doter la région d’une taxonomie méditerranéenne des activités durables, accompagnée de lignes directrices opérationnelles». Pourquoi est-ce crucial ? Pour trois raisons essentielles.

La première est d’orienter les flux financiers. Une telle taxonomie, «adaptée aux réalités économiques, sociales et environnementales du bassin méditerranéen, permettrait de mieux orienter les flux financiers vers des projets véritablement durables dans la région». Elle définirait ce qui est «vert» et «durable» dans le contexte méditerranéen, incluant les spécificités marocaines (efficacité hydrique, gestion côtière adaptée, énergies renouvelables résilientes, agriculture climato-intelligente).

La deuxième raison est à un dessein de clarté et de lutte contre l’éco-blanchiment. Elle «aiderait à clarifier les signaux adressés aux investisseurs» et à «limiter les risques d’éco-blanchiment». Actuellement, l’absence de référentiel clair et adapté crée de la confusion et freine les investisseurs potentiels.

Et, enfin, pour une transition juste et cohérente. L’enjeu étant de garantir des transitions «à la fois justes, efficaces et cohérentes avec les spécificités locales, comme la dépendance à certaines ressources, les vulnérabilités climatiques ou les structures économiques».

En effet, intégrer la dimension sociale et de «transition juste» dans la définition même des activités durables est essentiel pour le modèle marocain. Le Maroc, acteur clé en Méditerranée et leader africain sur le climat, a tout intérêt à être un fervent promoteur et contributeur actif à l’élaboration de cette taxonomie. Ce qui renforcerait sa crédibilité, attirerait des investissements réellement adaptés et influencerait les standards régionaux en phase avec ses réalités.

Défis persistants et nécessité d’engagement
Le rapport est lucide : «Un tournant significatif […] est à portée de main, pour autant que des cadres nationaux et régionaux appropriés soient mis en place et soutenus activement».

Pour le Maroc, cela signifie un renforcement institutionnel qui passe par l’amélioration des capacités techniques et de coordination des administrations concernées (finances, environnement, énergie, eau, intérieur, collectivités territoriales); un cadre réglementaire encore plus clair, en affinant et rendant opérationnelle la réglementation encadrant la finance verte, la fiscalité environnementale et les nouveaux instruments économiques (ex : cadre juridique solide pour la compensation carbone volontaire ou réglementée).

Concrètement, cela signifie un engagement politique soutenu. Comme le dit le Plan Bleu, la volonté politique, combinée à une recherche continue, une collaboration étroite et l’innovation, sont essentiels.

Ainsi, la révision de la Stratégie méditerranéenne de développement durable (SMDD 2026-2035) et les processus nationaux (Plan Climat, Stratégie Eau, etc.) doivent intégrer et opérationnaliser ces recommandations avec ambition.

Un plaidoyer pour une approche contextuelle

Le Volume II du Plan Bleu n’est pas un simple catalogue d’outils. C’est un plaidoyer pour une approche contextuelle, bien gouvernée et régionalement coordonnée de la finance durable.

Pour le Maroc, il souligne l’impératif de réformer les subventions contre-productives, d’adapter finement les instruments verts à ses spécificités (eau, littoral, énergie, vulnérabilités), de renforcer de manière drastique la gouvernance environnementale et financière, et de saisir l’opportunité stratégique de co-construire une taxonomie méditerranéenne.

La balle est désormais dans le camp des décideurs politiques et financiers marocains pour transformer ce cadre analytique en actions concrètes, faisant du Royaume un véritable laboratoire de la transition juste et durable en Méditerranée. Le succès nécessitera, comme le rappelle le Plan Bleu, «un effort collectif, un engagement soutenu et une action coordonnée entre tous les secteurs et parties prenantes».

Bilal Cherraj / Les Inspirations ÉCO



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