Rapport 2016 du CESE : La croissance crée de moins en moins d’emplois
Durant la période 2003-2006, un point de croissance additionnel permettait de créer plus de 38.000 emplois. Cette performance a baissé de façon continue pour atteindre 25.000 emplois par point de croissance entre 2007 et 2011, puis 12.000 entre 2012 et 2015.
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient de rendre public son apport annuel 2016 dans lequel il évalue la situation économique, sociale et environnementale du pays. Par les prérogatives qui lui sont octroyées, le CESE jette un regard sans compromission sur les problématiques auxquelles le Maroc est confronté sans faire l’impasse sur les aspects positifs. Il faut dire aussi que le CESE est une institution qui se veut indépendante dans le sens où elle n’est soumise à aucun lobbying gouvernemental ou autre. Cela aide à montrer le cap aux politiques publiques très souvent prises dans l’étau de l’urgence et des considérations politiciennes. Le fait de savoir par exemple que la demande intérieure en 2016 a joué le rôle d’amortisseur pour l’économie nationale devrait inciter le gouvernement à renforcer les mesures d’encouragement et pour les entreprises qui investissent et pour les contribuables qui consomment. À plus forte raison au vu de la contribution des exportations nettes à la croissance, comme étayé dans le rapport, qui a été négative en 2016 (- 4,7 points), après une contribution positive en 2015. En revanche, la demande intérieure a augmenté à un rythme soutenu, de l’ordre de 5,5%, contre 1,9% un an auparavant et sa contribution à la croissance a connu une progression de 5,9 points, au lieu de 2,1 en 2015.
Crédit en hausse malgré la baisse de confiance
Dans ce sens, la consommation des ménages, l’investissement public et l’accélération des crédits à l’équipement (à partir du mois de septembre) ont été les principaux moteurs de la croissance de la demande intérieure en 2016. La consommation des ménages, en hausse de 3,4% en 2016, a bénéficié d’une inflation modérée, d’une augmentation de 3,4% des recettes MRE. L’on remarque aussi une progression de 5,4% des crédits à la consommation en dépit d’une légère baisse de l’indice de confiance des ménages en 2016 par rapport à 2015. On peut y voir une contradiction, mais si l’on tient compte de la psychologie du consommateur, les crédits à la consommation compensent souvent ce sentiment de doute. Parallèlement, le taux d’investissement a évolué de 30,8% du PIB en 2015 à 33,1% en 2016.
Difficile de sortir de la pluvio-dépendance
Tout de go, et rejoignant les conclusions d’autres institutions, celui du CESE débute sur une note négative. L’année 2016, tout le monde en convient a été une année de vaches maigres. La croissance du PIB a enregistré un ralentissement notable, à 1,2%, après 4,5% en 2015, suite à une contraction de la valeur ajoutée agricole. On ne le dira jamais assez, sans être anecdotique, l’économie marocaine dépend du ciel et le déficit en pluie durant l’année écoulée aura été le plus sévère en trente ans. Le plus dur dans l’histoire, c’est que les gouvernements successifs n’ont jamais pu réellement mettre les soupapes et leviers nécessaires pour sortir de cette pluvio-dépendance qui ne sied plus à un Maroc qui tend vers l’émergence. Car encore une fois, comme le soutient le rapport, la valeur ajoutée non agricole a évolué à un rythme très modéré et ceci malgré une légère accélération en 2016, atteignant 2,2% au lieu d’1,8% un an auparavant. Ce niveau résulte essentiellement d’un ralentissement significatif de l’industrie manufacturière, de faibles performances au niveau du BTP et de l’industrie extractive, en dépit de la reprise et de la légère accélération de la valeur ajoutée du secteur tertiaire.
Une croissance non inclusive
Qu’en est-il de l’emploi érigé aujourd’hui en priorité par le gouvernement El Othmani ? Il n’y a pas de secret, c’est le même chiffre désolant qui revient dans le rapport du CESE : 37.000 emplois ont été perdus en 2016 alors que 33.000 avaient été créés en 2015. Encore une fois, la pluie entre en jeu. Le secteur de l’agriculture, des forêts et de la pêche a enregistré une perte nette d’environ 120.000 emplois entre 2015 et 2016, sous l’effet d’une campagne agricole médiocre. Jouant l’effet de balance, l’emploi salarié a sauvé la mise en 2016. Il a enregistré une création nette de plus de 20.000 emplois salariés et de 100.000 dans le cadre de l’auto-emploi. Le nouveau cadre législatif sur l’auto-emploi ainsi que les mesures de promotion de ce type d’activité ont joué favorablement dans ce sens. Il n’en reste pas moins vrai que la faiblesse de la création d’emplois au Maroc revêt un caractère structurel qui s’accentue au cours des années. Le CESE n’y va donc pas par quatre chemins pour dévoiler les points faibles d’une politique de l’emploi qui peine à se mettre en marche. En atteste le rapport entre croissance et emploi qui ne cesse de faiblir. Justement, durant la période 2003-2006, un point de croissance additionnel permettait de créer plus de 38.000 emplois en moyenne. Cette performance a baissé de façon continue, pour atteindre 25.000 emplois par point de croissance entre 2007 et 2011, puis 12.000 entre 2012 et 2015. En d’autres termes, la croissance ne se répercute que faiblement sur la création d’emplois. Elle est donc moins inclusive alors que le contraire est aujourd’hui souhaité. Dans ce contexte, le taux d’activité de la population en âge de travailler s’est replié à 46,4%, au lieu de 47,4% en 2015. Le taux d’activité des femmes continue de se dégrader pour atteindre 23,6% (16,6% en milieu urbain) en 2016, contre 70,8% pour les hommes. Par ailleurs, plus des deux tiers des personnes en situation de chômage le sont depuis plus d’un an et 64,8% d’entre eux sont âgés de 15 à 29 ans. Il est nécessaire de préciser aussi que le taux de chômage des lauréats de l’enseignement universitaire est supérieur à 25% tandis que celui des diplômés de la formation professionnelle dépasse 22%.
Amélioration des finances de l’État
Malgré ce contexte défavorable, les finances de l’État se sont légèrement améliorées au cours de l’année 2016. Le déficit budgétaire a poursuivi sa tendance baissière, en passant de 4,2% du PIB en 2015 à près de 4% en 2016, tout en restant supérieur au niveau de 3,5% prévu par la loi de Finances. Il s’agit là encore de facteurs endogènes qui ont favorisé cette baisse du déficit, à savoir la maîtrise des dépenses courantes combinée à une meilleure mobilisation des recettes fiscales. C’est une prouesse dans un contexte de faible croissance, d’une hausse des remboursements du crédit TVA, d’entrées de dons CCG en deçà des prévisions et d’un rythme soutenu au niveau des dépenses d’investissement. Sur le plan des comptes extérieurs, le déficit commercial des biens a enregistré, en 2016, un creusement de 19,4% par rapport à l’année passée, pour s’établir à 184,6 MMDH. En conséquence, le taux de couverture des importations par les exportations a connu une inversion par rapport à la tendance haussière observée au cours des trois dernières années, déclinant de 58,6% en 2015 à 54,8% en 2016, malgré la bonne performance des recettes de voyage et des transferts des Marocains du monde. Quant aux IDE, ils ont reculé de 28,2% en une année et les investissements directs des Marocains à l’étranger ont quasiment stagné autour de 6,3 MMDH, après une hausse importante en 2015. Parallèlement, les réserves de change se sont renforcées de 12,1%, en glissement annuel, à 252 MMDH à fin 2016, soit l’équivalent de 7 mois d’importations de biens et services.
350.000 élèves décrochent chaque année
Sur le plan social, le niveau de vie moyen des Marocains a presque doublé entre 2001 et 2014, passant de 8.300 dirhams par an à 15.900 dirhams avec une certaine accélération de son rythme d’accroissement entre 2007 et 2014 (3,6%) contre 3,3% sur la période 2001-2007. Dans la même dynamique, le taux de pauvreté monétaire a été réduit de 15,3% en 2001 à 4,8% en 2014. Quant aux inégalités sociales en termes de niveau de vie, elles ont amorcé une tendance à la baisse depuis 2007, bien qu’elles demeurent à un niveau relativement élevé. En ce qui concerne l’éducation, sans surprise, le rapport pointe du doigt les lacunes structurelles dont pâtit le système éducatif. Ces lacunes qui ont défrayé la chronique se sont manifestées avec davantage d’acuité lors de la rentrée scolaire 2016. À cet égard, il y a lieu de citer une aggravation du phénomène de la surcharge des classes, le manque structurel d’enseignants, cumulé aux départs à la retraite. De surcroît et en dépit de son atténuation au cours des années, l’abandon scolaire reste un fléau qui touche 350.000 élèves par an. Pour sortir de l’impasse, le CESE préconise d’encourager les régions à jouer un rôle plus important dans le secteur de l’éducation, notamment en matière de financement ou en participant au contrôle de la gestion administrative des établissements scolaires. Une meilleure implication des associations de représentants des parents, de la société civile, dans la formulation des propositions, des orientations et l’évaluation du système éducatif est recommandée et ceci dans le cadre d’un processus institutionnalisé et régulier.
Les bons conseils du CESE
Partant du principe que la demande intérieure est une valeur sûre pour maintenir un équilibre économique soutenable, le CESE recommande d’éviter l’érosion de la demande domestique, étant donné ses effets stabilisateurs dans le cadre d’une politique contra-cyclique de stabilisation des prix et de soutien au pouvoir d’achat. Il s’agit aussi de mettre en place des mécanismes pour réduire la volatilité des revenus des ruraux en finançant des portefeuilles de projets non agricoles en milieu rural de nature à créer des emplois et une demande locale durant les mauvaises campagnes. Parallèlement, il est préconisé de soutenir l’élargissement de la base productive nationale, en termes de nombre d’entreprises créées, pour compenser le caractère intensif en capital des nouveaux secteurs et créer des emplois de qualité en nombre suffisant. Le conseil recommande par ailleurs de promouvoir une économie bleue intégrée qui aille au-delà du secteur de la pêche et qui se base sur une exploitation optimale des ressources maritimes dans différents secteurs liés à la mer (industrie navale, valorisation des algues, exploitation des ressources offshore…), parallèlement au développement de la R&D et de formations adaptées aux différents métiers de ce secteur.