Marché obligataire : la détente se confirme, les taux s’ajustent

Sous l’effet conjugué d’un recul de l’inflation, d’un ajustement monétaire et d’un positionnement tactique des investisseurs, le marché obligataire marocain entre dans une phase de détente inédite. À la faveur de la baisse du taux directeur décidée par Bank Al-Maghrib en mars 2025, les rendements des maturités intermédiaires et longues ont amorcé une correction significative.
Après une année 2024 marquée par la prudence et la remontée des coûts de financement, les premiers mois de 2025 signalent une inflexion majeure sur le marché obligataire. Le repli des taux, amorcé avec la baisse du taux directeur par Bank Al-Maghrib, installe un nouveau paradigme pour le Trésor, les investisseurs institutionnels et la courbe des rendements.
Une dynamique de détente enclenchée
Le mois d’avril 2025 marque une étape significative dans l’ajustement du marché de la dette publique. Sous l’effet combiné d’un contexte désinflationniste, d’un excédent de trésorerie chez les banques, et surtout d’une orientation monétaire plus accommodante, les taux sur les lignes de maturités intermédiaires et longues se sont nettement repliés.
Selon les données de la société de recherches MSIN, les taux sur le marché primaire ont chuté de 53 points de base (pb) sur 5 ans, de 57 pb sur 10 ans, et de 70 pb sur 15 ans. Une correction d’ampleur, qui redonne de l’air au Trésor mais traduit aussi un repositionnement stratégique des investisseurs.
«Les niveaux de taux atteints en mars et avril intègrent déjà le mouvement de baisse du taux directeur et les anticipations de reflux durable de l’inflation», analyse MSIN dans sa note trimestrielle.
Taux directeur en baisse, inflation sous contrôle
La décision de Bank Al-Maghrib de réduire son taux directeur de 25 pb à 2,75% en mars 2025 a servi de catalyseur. Elle est intervenue après plusieurs mois de modération des prix à la consommation, avec une inflation stabilisée autour de 1%.
Pour MSIN, ce mouvement confirme que la Banque centrale «privilégie un soutien à l’investissement sans compromettre la stabilité macroéconomique». Ce tournant monétaire intervient alors que les tensions sur les prix de l’énergie se sont apaisées, et que le dirham reste globalement stable, facilitant la transmission des décisions de politique monétaire au marché domestique.
Moins de levées, plus de flexibilité pour le Trésor
Dans ce climat plus favorable, le Trésor a choisi la modération, seulement 39,2 milliards de dirhams levés à fin avril, en baisse de 39% par rapport à la même période de 2024. Cette stratégie, rendue possible par une bonne position de trésorerie et des rentrées fiscales dynamiques, lui permet de capitaliser sur la détente des taux pour lisser ses émissions. MSIN note toutefois que la demande sur le marché primaire reste modérée, en dépit de taux plus bas. Le taux moyen de satisfaction des adjudications atteint 67%, signe d’un appétit contrôlé des investisseurs, qui semblent attendre des niveaux encore plus attractifs pour allonger leurs engagements.
Secondaire, la détente s’installe
Le mouvement de repli des taux n’est pas resté cantonné au marché primaire. Sur le marché secondaire, les baisses sont tout aussi marquées, -57 pb sur 5 ans, -60 pb sur 10 ans, et -70 pb sur 15 ans, selon MSIN. Les flux observés traduisent un regain d’intérêt pour les obligations longues, dans un environnement désormais perçu comme moins incertain.
La profondeur du marché reste cependant à consolider. Si la liquidité bancaire a progressé, les opérateurs demeurent attentistes face à une économie encore en phase de redressement post-choc externe (ralentissement mondial et instabilités géopolitiques).
Vers un second semestre décisif
Les perspectives à moyen terme restent constructives. MSIN anticipe une poursuite du cycle de détente sur les taux, à condition que les fondamentaux se stabilisent, «Une inflation maîtrisée, une politique monétaire prudente et une gestion active de la dette publique pourraient renforcer la confiance et relancer plus nettement la demande sur le compartiment obligataire».
En parallèle, les attentes vis-à-vis des prochaines réunions de Bank Al-Maghrib se cristallisent. Un nouveau geste de baisse du taux directeur n’est pas à exclure, surtout si les projections de croissance restent prudentes et si les tensions inflationnistes restent contenues.
Enjeux pour les investisseurs institutionnels
Pour les gestionnaires d’actifs, le moment est stratégique. Le repositionnement progressif vers les maturités longues pourrait s’accélérer dans les mois à venir, avec à la clé un retour du portage et des gains en capital. Mais la prudence reste de mise : le marché reste exposé aux révisions des anticipations macroéconomiques mondiales, à la politique de la BCE et à l’évolution des taux US.
MSIN souligne que les institutions marocaines devront composer avec une volatilité de fond, «Le défi reste de concilier duration, rendement et flexibilité, dans un univers de taux plus bas mais encore instable.»
Une courbe des taux à surveiller
Le principal signal de ce printemps 2025 reste la recompression de la courbe des taux, particulièrement sur le segment 5-15 ans. Cette configuration, observée également dans d’autres économies émergentes, traduit un marché qui parie sur la stabilité des prix à moyen terme et une inflexion durable de la politique monétaire.
Pour le Trésor, il s’agit d’une fenêtre d’opportunité. Pour les investisseurs, d’un point d’équilibre à affiner. Et pour les intermédiaires comme MSIN, d’un moment clé de réajustement stratégique.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO