Intégrité des affaires. Plusieurs pistes sont à explorer
La corruption pèse lourdement sur l’attractivité économique du Maroc et constitue un obstacle majeur au développement. Le royaume peut mieux faire pour juguler le fléau. L’action collective s’impose pour renforcer l’intégrité des affaires.
La corruption entrave le développement au Maroc malgré les efforts consentis au cours des dernières années. Ce constat ne date pas d’aujourd’hui, mais à chaque fois, il sonne comme un signal d’alarme pour l’ensemble des acteurs concernés. Le royaume peut mieux faire pour lutter contre le fléau qui freine son développement économique, comme vient encore une fois de souligner Nicola Ehlemann, chef du programme MENA-OCDE pour la compétitivité. Les efforts doivent se multiplier pour renforcer l’intégrité des affaires, l’un des axes sur lesquels se penche l’OCDE avec les acteurs marocains concernés. Une réunion s’est tenue jeudi autour de ce programme qui s’assigne trois principaux objectifs, selon Ahmed Laamoumri, secrétaire général du ministère de la Réforme de l’Administration et de la Fonction publique : l’appui au renforcement du cadre juridique et institutionnel pour l’intégrité au Maroc, la promotion de la transparence et de l’intégrité dans les marchés publics et la sensibilisation aux méthodes et avantages de l’action collective par des entreprises privées en vue de déploiement de projets pilotes dans les secteurs cibles. Le Maroc gagnerait à renforcer la transparence et améliorer son score en matière de perception de la corruption afin d’attirer les IDE et booster les investissements nationaux .
La concrétisation de cet objectif passe par le traitement de toutes les faiblesses détectées. Un diagnostic détaillé de la situation de l’intégrité au Maroc est élaboré par l’OCDE et les acteurs concernés dans le cadre du programme Pays. La réponse ne peut être efficace qu’en agissant sur de multiples volets. Au niveau du secteur privé, il faut sensibiliser toutes les organisations patronales aux moyens et outils de lutte contre la corruption. Les entreprises devraient être encouragées à élaborer des outils pour évaluer les risques auxquelles elles s’exposent lorsqu’elles investissent ou s’engagent dans des transactions commerciales. La révision du code de gouvernance d’entreprises doit aussi se poursuivre en consultation avec le secteur privé. À cela s’ajoute la nécessité de réglementer certaines activités de type lobbying et encourager la dénonciation de la corruption. Une grande responsabilité incombe aux pouvoirs publics pour passer à la vitesse supérieure et mettre en place les mesures qui s’imposent. Plusieurs actions se font toujours attendre en dépit de leur plus haute importance. On peut citer notamment l’Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption qui n’est pas encore activée bien que la loi y afférent ait été adoptée et publiée au bulletin officiel en 2015. Il est ainsi recommandé de mettre en œuvre le nouveau mandat de cet organe qui devrait développer un plan stratégique pour cibler ses activités.
Dans le cadre de la réforme en cours de l’administration, le gouvernement ne doit pas reléguer au second plan un point important dans le renforcement de l’intégrité : l’adoption d’un code de conduite pour les agents publics pour que les fonctionnaires exécutent leurs fonctions en toute transparence. Actuellement, aucune référence aux règles éthiques et aux valeurs des services publics ne figure dans le statut général de la fonction publique. Le gouvernement est appelé à combler ce vide dans les plus brefs délais. Il faut également adopter des mécanismes concrets pour gérer les conflits d’intérêt dans le secteur public. Les dispositions légales ne concernent que les gains économiques. Les déclarations doivent comporter les activités et les intérêts susceptibles de présenter un conflit d’intérêts en vue de faciliter la détection précoce des activités illicites. Le Maroc a déjà fait la demande d’adhésion au mécanisme juridique de l’OCDE relatif aux lignes directrices pour la gestion des conflits d’intérêts.
Sur le plan budgétaire, le Maroc a certes fait des progrès, mais il reste beaucoup à faire notamment en matière d’élargissement de la nature des contrôles sur les opérations financières du gouvernement, d’utilité et d’accessibilité de la documentation budgétaire pour les parlementaires et la société civile. S’agissant de la criminalisation de la corruption, la réforme de la législation pourrait porter sur l’augmentation du niveau des sanctions pécuniaires et la garantie de leur caractère efficace, proportionné et dissuasif. L’établissement de la responsabilité des personnes morales – y compris les entreprises publiques-, pour les infractions de corruption est parmi les pistes que le Maroc est appelé à explorer. Par ailleurs, le renforcement de la politique de concurrence s’impose en mettant en œuvre les réformes juridiques adoptées en 2014. Il est proposé de réviser et modifier les seuils de contrôle des fusions en vue de refléter les meilleures pratiques internationales.
Bachir Rachdi
Président de la commission Climat des affaires à la CGEM
Que faut-il faire sur le plan législatif pour favoriser l’intégrité des affaires ?
Agir sur les textes est élément important, mais il n’est pas suffisant. Au niveau de la législation, il s’agit à titre d’exemple de la loi sur l’accès à l’information qui est un des outils les plus importants. Malheureusement, cette loi, telle qu’elle a été promulguée, a des failles et ne permet pas d’exploiter toutes les capacités de cette législation en matière de transparence, de renforcement des capacités et de développement de l’éthique des affaires.
Comment se manifeste la corruption dans le monde des affaires au Maroc ?
La corruption fait mal au développement du secteur privé à cause d’un manque d’intégrité et d’une concurrence qui ne se joue pas sur l’investissement et la création des valeurs. Il existe des éléments structurels de la corruption à travers le monde entier dans les transactions commerciales dans les marchés publics. Il faut dire que quand les règles de transparence et la réglementation ne sont pas suffisantes et quand les acteurs de régulation ne sont pas présents pour prendre en charge les doléances des victimes et des dénonciateurs, la commande publique constitue un foyer fertile pour la corruption. Il ne s’agit pas seulement d’une question de pots de vin et de corruption, mais aussi de trafic d’influence, de clientélisme et de privilèges indus. Donc, la corruption est multidimensionnelle, et quand il faut l’aborder, il faut prendre en considération toutes ces dimensions pour pouvoir la traiter. La stratégie doit, ainsi, être cohérente, globale et effective pour pouvoir lutter efficacement contre la corruption.
Marchés publics : la transparence s’impose
Le système réglementaire marocain est jugé complexe car il est réglementé par, outre le décret sur les marchés publics, plus de 40 autres décrets, lois et ordonnances. En outre, l’absence d’un organe spécifique en charge du système de passation des marchés publics ne facilite pas la situation et ne favorise pas la transparence. Ainsi, il faut unifier le cadre juridique et clarifier le cadre institutionnel afin d’améliorer l’efficacité et l’intégrité du système de passation des marchés publics. À cela s’ajoute l’impératif de rendre obligatoire la publication d’informations relatives aux contestations des décisions de marchés publics, aux contrats et à leurs modifications.