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Finances : Faut-il s’inquiéter de la hausse de la dette publique ?

Face au diagnostic alarmant de la Banque mondiale, au rating rassurant des agences de notation et au constat frappant de la Cour des comptes quant aux crédits cumulés de TVA, la situation de l’endettement public doit interpeller les décideurs de l’économie marocaine. 

Le Maroc est endetté d’un montant équivalent à plus de 80% de la richesse produite au cours d’une année. Si l’on exclut la part revenant aux établissements et entreprises publics, le Trésor traîne, à lui seul, une dette de 629 milliards de dirhams à fin 2015, soit 64,1% du PIB, contre 63,5% en 2014 et seulement 47% en 2008. Voilà un constat amer qui donne à réfléchir sur ce qui attend le gouvernement El Othmani, au cours de la nouvelle législature. Ce dernier, pour rappel, ambitionne de réduire ce ratio à un niveau inférieur à 60% à l’horizon 2021. Les derniers rapports publiés, émanant d’institutions nationales et internationales, s’accordent à dire que la situation des finances publiques est alarmante au regard du niveau actuel de la dette souveraine. «Bien qu’il soit difficile de déterminer un seuil critique d’endettement public, plusieurs indicateurs laissent penser que le niveau actuel constitue une contrainte à une croissance de long terme tirée par la demande publique», prévient la Banque mondiale dans son dernier «Mémorandum économique pays 2017».

La dette freine la croissance
En comparant le Maroc à d’autres pays, l’équipe des chercheurs de la Banque mondiale, dirigée par l’économiste Jean -Pierre Chauffour, a constaté que le taux d’endettement est nettement supérieur à la moyenne des pays émergents, qui se situe autour de 40% du PIB (33% en Turquie, 40% en Roumanie, 47% en Thaïlande et 50% au Mexique). Cela sans compter la dette cachée ou invisible, dite aussi implicite, celle qui correspond aux engagements des régimes de sécurité sociale.

À elle seule, la dette implicite du système des retraites est estimée à environ 100% du PIB, dont la moitié est due à la Caisse marocaine des retraites (CMR). «Les perspectives à moyen et long termes font apparaître de nouvelles pressions budgétaires, liées notamment au vieillissement de la population», souligne la Banque mondiale en rappelant le fait que les pays qui ont jusqu’ici réussi leur décollage économique étaient très peu endettés quand ils avaient le même niveau de développement que celui actuel du Maroc.

Dans les pays d’Europe du Sud par exemple (Italie, Espagne, Portugal), le taux d’endettement était inférieur à 30% entre 1960 et 1980. Avec un niveau initial d’endettement public aussi élevé et confronté à une dette implicite importante, ajoute-t-on, le Maroc ne dispose pas des marges budgétaires dont ces pays avaient bénéficié pour stimuler leur processus de convergence. «Seul le recentrage des actions de l’État vers ses missions régaliennes, la poursuite de la consolidation budgétaire, et la modernisation de l’administration permettraient de reconstituer des marges de manœuvre budgétaires significatives», recommande la Banque mondiale.

L’évolution, sans cesse croissante de l’endettement public, ne semble pas avoir, pour autant, inquiété les agences de notation internationales. Il y a tout juste deux semaines, Fitch et Standard & Poor’s ont gardé au royaume son rang d’investment grade, en confirmant le rating de ses dettes à long terme en devises et en monnaie locale, avec perspectives stables. C’est dire que le Maroc a réussi à conserver la confiance des investisseurs et des créanciers internationaux. Aux yeux de l’universitaire et ancien ministre des Finances, Mohamed Berrada, cette confiance est liée à la structure de la dette publique en majorité libellée en dirhams, ainsi qu’à la discipline budgétaire des gouvernements qui se sont succédé depuis les années du Programme d’ajustement structurel (PAS). 


L’ampleur du butoir TVA inquiète Jettou

Dans son dernier rapport annuel, rendu public en début de semaine, la Cour des comptes a fait part de ses inquiétudes quant à la tendance de l’État à accumuler des arriérés de paiement. En effet, les dettes de TVA dues aux établissements et entreprises publics, non compris le secteur privé, ont atteint près de 25,18 milliards de dirhams à fin 2015, contre 8,7 milliards de dirhams en 2010, ce qui représente 48% des recettes de la TVA revenant au budget de l’État. «Ces montants constituent des dettes de l’État qu’il se doit de rembourser, du fait qu’elles concernent de grands établissements du secteur public jouant un rôle important dans le développement économique et social de notre pays», souligne la Cour des comptes. Pour rappel, en juin 2015, l’État, à travers la Direction générale des impôts, s’était engagé à rembourser la totalité des crédits TVA sur une durée de trois ans. Une année plus tard, le trio Banque centrale-GPBM-CGEM a envoyé un mémorandum au chef de gouvernement sortant, Abedelilah Benkirane, mettant en avant la possibilité pour les banques de financer le butoir non encore remboursé, en vue d’alléger la trésorerie des entreprises concernées.


Mohamed Berrada
Ancien ministre des Finances et président du Centre links

«Le volume de la dette reste soutenable»

Depuis les années 90, les gouvernements qui se sont succédé, après l’ajustement structurel, ont été relativement prudents dans la gestion des finances publiques. Or, le déficit du trésor a légèrement dérapé après la crise des subprimes. Le problème n’est pas dans le déficit lui-même, mais dans son financement. Actuellement, il est financé essentiellement en interne, contrairement à la situation dans les années 70 où le financement était, en grande partie, d’origine externe. Rapporté au PIB, le volume de la dette reste soutenable. L’enjeu n’est pas lié au numérateur (dette), mais plutôt au dénominateur (PIB). Quand le PIB n’augmente pas de manière significative, le taux d’endettement reste élevé. C’est là la problématique soulevée par la Banque mondiale. La croissance au Maroc n’est pas régulière. Elle n’est pas inclusive. La croissance dépend d’éléments exogènes (le climat, la situation économique chez les partenaires). Ce n’est pas le niveau de la dette qui inquiète, mais plutôt celui de la croissance et la non régularité de celle-ci. Si la dette résulte d’une augmentation des dépenses de fonctionnement, cela pourrait nous inquiéter.

En revanche, elle pourrait être acceptée si elle provient d’une accélération de l’investissement, voire même d’un dérapage budgétaire lié à l’éducation. L’éducation va provoquer la croissance à long terme. L’avenir du pays ne se construit pas sur deux ou cinq ans. Il implique toute une génération. Investir dans l’éducation, c’est investir dans la productivité. Par conséquent, la croissance serait plus forte et assez suffisante pour réduire le taux d’endettement. 



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