Finance durable : pas de carotte sans bâton
![](https://leseco.ma/wp-content/uploads/2024/09/Finance-verte.jpg)
La finance verte s’impose comme un vecteur majeur de la transition écologique. Pourtant, au-delà des engagements affichés, son efficacité repose sur un subtil équilibre entre incitations fiscales et contraintes réglementaires, à même de bousculer les fondements de pans entiers de l’économie.
Il y a dans l’expression «finance durable» une ambition, presque une promesse, celle d’orienter les flux financiers vers des modèles économiques respectueux de l’environnement et socialement responsables. Un engagement indispensable à l’heure où l’économie mondiale continue d’émettre plus de gaz à effet de serre qu’elle n’en compense, et où la transition écologique s’impose comme un impératif autant politique qu’économique.
Réunis à l’occasion du Sustainability Finance Forum, organisé par la BMCI, dirigeants d’entreprises, experts internationaux et décideurs publics ont débattu des leviers financiers capables d’accélérer la mutation vers une économie bas carbone.
Car la question n’est plus tant de savoir s’il faut décarboner, mais comment s’en donner les moyens. Une interrogation qui pèse d’autant plus lourd sur les industries les plus émettrices. Certaines filières se retrouvent en première ligne. La sidérurgie, le ciment ou encore les transports concentrent, à eux seuls, une part considérable des émissions de CO₂.
À titre d’exemple, les aciéries représentent 8% des émissions mondiales, dépassant l’industrie cimentière (7%). Réduire cette empreinte suppose des transformations profondes, qui reposent sur trois piliers : innovation technologique, investissements massifs et régulation incitative.
«Nous vivons actuellement une période charnière où le monde change et se transforme, et où le rôle des entreprises, des institutions financières et des citoyens est déterminant pour bâtir une économie marocaine durable», a rappelé Hicham Seffa, président du directoire de la BMCI.
Les solutions existent : électrification des hauts fourneaux via les énergies renouvelables, recours accru à l’hydrogène, ou encore urbanisme repensé pour minimiser la demande énergétique. Mais leur mise en œuvre se heurte à une réalité économique contraignante.
En Europe, par exemple, la décarbonation de la filière de l’acier nécessiterait, selon Eurofer, l’association des aciéristes européens, 31 milliards d’euros d’investissements pour mener à bien les 60 projets identifiés.
Mécanismes incitatifs
Dans un tel contexte, les entreprises se trouvent tiraillées entre les incitations financières et les pressions réglementaires. Les crédits carbone permettent à certaines industries d’obtenir des compensations financières lorsqu’elles réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre. Ces mécanismes incitatifs poussent des secteurs comme l’aviation ou l’énergie à investir dans des technologies propres et dans des procédés de production plus respectueux de l’environnement.
Par ailleurs, les subventions publiques ou les avantages fiscaux accordés aux entreprises engagées dans des projets verts – comme la construction de parcs solaires ou l’adoption de flottes de véhicules électriques – encouragent également ce virage écologique.
Cependant, à côté de ces incitations, se dressent des contraintes réglementaires croissantes. De nouvelles normes environnementales imposent des seuils d’émission plus bas et des certifications obligatoires pour accéder à certains marchés. Les exigences du Green Deal européen ou de la taxonomie verte influencent directement les décisions stratégiques des entreprises.
Ces enseignes doivent non seulement se conformer aux normes pour éviter des pénalités financières, mais également pour conserver leur compétitivité à l’échelle internationale. Les secteurs manufacturiers et l’industrie chimique, particulièrement exposés, sont ainsi contraints de revoir leurs chaînes d’approvisionnement et de rendre compte de leurs efforts en matière de développement durable.
Ainsi, la finance verte n’est plus perçue comme simple engagement marginal en assurant à la fois l’accès à des ressources financières et le maintien de la compétitivité sur des marchés mondialisés où la durabilité est désormais un critère clé. Cette transformation se reflète dans les modèles d’évaluation des banques et investisseurs, qui intègrent désormais le risque climatique dans leurs analyses.
«Les financements verts, l’investissement responsable et l’innovation financière sont des outils essentiels pour répondre aux enjeux environnementaux et sociaux», souligne Hicham Seffa.
Mais financer la transition ne suffit pas, encore faut-il l’accompagner d’une refonte des pratiques.
«Les entreprises sont appelées à fournir des bilans carbone détaillés, mesurant à la fois leurs émissions directes et celles issues de leur chaîne d’approvisionnement et des usages finaux de leurs produits», précise un expert.
Cela dit, la transition nécessitera un effort commun. Investisseurs, industriels, régulateurs et consommateurs devront, dès la conception, privilégier sobriété et efficacité énergétique. Le Sustainability Finance Forum l’a rappelé avec force, seule une mobilisation concertée permettra à la finance durable de remplir ses promesses.
Ayoub Ibnoulfassih & Yann Daryl / Les Inspirations ÉCO