Filières d’excellence : une nouvelle génération industrielle se dessine

Piliers de la dynamique industrielle, les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique et de l’électronique amorcent une nouvelle phase. L’objectif ne se limite plus à l’assemblage ou à l’export, mais s’oriente vers une intégration plus locale, des compétences plus pointues et des solutions technologiques à haute valeur ajoutée. Ce virage stratégique s’appuie sur des investissements ciblés, des partenariats industriels et une volonté politique affirmée de hisser ces filières au rang de véritables écosystèmes d’innovation.
Longtemps portées par leur vocation exportatrice, les filières automobile, aéronautique et électronique s’imposent désormais comme les piliers d’un nouveau cycle de développement industriel au Maroc. Si leur montée en puissance a largement contribué à faire du Royaume une plateforme industrielle compétitive, les enjeux du moment appellent un repositionnement plus ambitieux.
Il ne s’agit plus seulement d’attirer les chaînes d’assemblage, mais de créer de la valeur en local, de stimuler la recherche appliquée et de consolider un tissu industriel capable d’innover, concevoir et produire dans des conditions concurrentielles.
Automobile, un virage stratégique déjà engagé
Premier secteur exportateur du pays, l’automobile incarne la trajectoire industrielle du Maroc. De l’installation de Renault Group à Tanger en 2012 à celle de Stellantis à Kénitra, le pays a su s’imposer comme une base de production fiable aux portes de l’Europe. Mais la phase actuelle dépasse les seuls volumes. Le ministère de l’Industrie ambitionne d’élever le taux d’intégration locale à 80 %, contre environ 65 % aujourd’hui.
Cette montée en gamme passe par l’implantation de fournisseurs de rang 1 et 2 dans les composants électroniques, la plasturgie technique, les faisceaux intelligents ou les batteries de nouvelle génération. Des entreprises comme Yazaki, ou Lear Corporation renforcent leur présence industrielle et technologique. Le parc industriel Atlantic Free Zone, à Kénitra, accueille désormais des projets de production de calculateurs électroniques embarqués, un segment autrefois réservé aux sièges européens.
La bascule vers l’électromobilité crée également une opportunité d’ancrage. Des projets sont en cours autour de la fabrication de bornes de recharge, de modules batteries et de systèmes de gestion thermique, qui pourraient positionner le Maroc dans la chaîne de valeur du véhicule électrique.
Aéronautique, le défi de la conception intégrée
Aussi stratégique, la filière aéronautique poursuit sa montée en technicité. Depuis sa structuration dans la zone de Nouaceur, près de Casablanca, elle a attiré des leaders mondiaux comme Safran, Stelia Aerospace ou Daher.
Cette présence a permis de développer des capacités en fabrication de pièces mécaniques, en assemblage de sous-ensembles et en maintenance aéronautique. Mais la nouvelle ambition vise désormais la conception intégrée et l’ingénierie de haute précision. Plusieurs établissements d’enseignement supérieur et centres de recherche participent déjà à des programmes internationaux de simulation, de modélisation ou de conception assistée.
Les entreprises du secteur réclament un environnement renforcé en talents techniques, mais aussi un accès facilité à des plateformes de prototypage, à la recherche collaborative, et à des incitations ciblées. Le soutien de structures comme le Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (GIMAS) et l’Institut des métiers de l’aéronautique contribue à accélérer cette transformation. Nouaceur devient un pôle d’innovation industrielle ouvert sur l’ingénierie mondiale.
Électronique, une filière en réveil stratégique
L’électronique, longtemps perçue comme un segment de soutien pour les autres filières, prend aujourd’hui une importance nouvelle. L’essor de l’électromobilité, la diffusion de l’IoT industriel et les besoins croissants en équipements embarqués donnent à ce secteur une place stratégique dans la réindustrialisation technologique du Maroc.
Le pays accueille déjà plusieurs sites de production électronique, notamment pour les systèmes de gestion moteur, les capteurs ou les circuits imprimés. Des acteurs comme STMicroelectronics ou TE Connectivity ont initié des projets industriels autour de l’assemblage de composants pour l’automobile et l’aéronautique. Plus récemment, de nouveaux entrants s’intéressent à la fabrication de composants électroniques dédiés aux énergies renouvelables ou aux objets connectés.
L’écosystème s’enrichit aussi de startups locales qui développent des solutions de microcontrôleurs, de connectivité industrielle ou de dispositifs embarqués à bas coût. Mais pour transformer cette dynamique en filière d’excellence, le pays doit renforcer ses capacités en R&D, en design électronique, et en formation spécialisée. Des actions soutenues par l’Université Mohammed VI polytechnique visent à combler ce chaînon manquant entre assemblage et conception. Le développement de projets de semi-conducteurs ou de composants pour batteries intelligentes pourrait jouer un rôle structurant dans la décennie à venir.
Un enjeu commun, créer plus de valeur au Maroc
Derrière les trajectoires propres à chaque filière, une même logique s’impose. Le Maroc cherche à capter plus de valeur sur son sol, à réduire sa dépendance aux importations technologiques et à bâtir des capacités industrielles endogènes.
Cette stratégie repose sur la mise en réseau des acteurs, l’émergence de champions nationaux capables de répondre aux standards internationaux, et la création de passerelles solides entre industrie et recherche. Le renforcement du tissu de PME locales, capables d’intégrer les chaînes de valeur complexes, est au cœur de cette ambition.
Des programmes de soutien à l’investissement, à la mise à niveau technologique ou à la certification internationale sont en place pour accompagner cette montée en gamme. Le rôle des grands donneurs d’ordres est également primordial. En confiant davantage de responsabilités techniques aux sites marocains, ils participent à l’émergence de nouvelles compétences et à la transformation en profondeur des capacités productives.
Vers des écosystèmes industriels ancrés et ouverts
Les succès enregistrés ces dernières années montrent que le Maroc a dépassé le stade des plateformes d’assemblage. Les filières automobile, aéronautique et électronique montrent qu’un autre modèle est possible. Un modèle où l’ancrage territorial, l’innovation locale et la connectivité internationale se combinent pour construire des écosystèmes industriels solides, attractifs et durables.
Cette transition n’est pas achevée. Elle suppose des investissements constants, une politique industrielle lisible, et une mobilisation renforcée des acteurs de la formation et de la recherche. Mais elle trace un cap clair. Celui d’un Maroc industriel capable de concevoir, produire et exporter des technologies à haute valeur ajoutée, dans un environnement régional en recomposition rapide.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO