Coût de l’argent : la détente monétaire peine à rebooster l’économie

La baisse progressive du coût de l’argent depuis 2024 tarde à se répercuter sur l’économie réelle. A en croire le paysage bancaire, ce décalage serait simplement lié aux délais naturels de transmission de la politique monétaire, tandis que les économistes pointent plutôt l’affaiblissement de la demande sous l’effet de l’incertitude persistante que continuent d’entretenir les tensions inflationnistes.
Depuis 2024, Bank Al-Maghrib a progressivement abaissé son taux directeur, le faisant passer de 3% à 2,25%, dans l’espoir de redonner du souffle à une économie nationale fragilisée par le ralentissement de la demande. Pourtant, cette détente monétaire peine à irriguer l’économie réelle.
À en croire les données officielles, le taux débiteur global n’a fléchi que de 13 points de base, passant de 5,21% au troisième trimestre 2024 à 5,08% au dernier trimestre. Mais ce léger repli du coût de l’argent ne suffit plus à expliquer l’inertie ambiante. En réalité, la transmission de la politique monétaire reste entravée par la structure même du financement bancaire.
Comme le confie un cadre du secteur sous couvert d’anonymat, «la transmission à l’économie réelle prend du temps».
Selon lui, les banques répercutent la baisse du taux directeur d’abord sur le coût de leur passif, en ajustant progressivement les taux offerts sur les dépôts à terme, avant de pouvoir répercuter la détente sur les crédits accordés. Ce décalage temporel est inévitable.
«Le temps que les banques imputent la baisse sur leur coût de financement, elles commencent ensuite à ajuster les taux débiteurs de façon graduelle», précise-t-il.
S’ajoute à cela la nature même des contrats existants, souvent à taux fixes ou renégociés à échéance, qui ralentit mécaniquement l’effet de la politique monétaire sur le stock de crédits en cours. Dans ces conditions, malgré l’accélération des injections de liquidités par Bank Al-Maghrib, la courbe du crédit peine à s’infléchir de manière significative, alimentant une forme de déconnexion entre l’intention monétaire et la dynamique effective du financement de l’économie.
Climat d’incertitude
Loin des seuls ajustements techniques, c’est l’incertitude sur les perspectives économiques qui semble freiner la reprise.
Pour Omar Kettani, économiste et professeur universitaire, «l’effet psychologique de l’inflation reste plus fort que le mouvement des taux» .
Même si la Banque centrale multiplie les signaux d’assouplissement, la défiance installée par l’épisode inflationniste récent continue d’entraver la reprise de la demande de crédit. En clair, la baisse des taux, aussi mesurée soit-elle, n’efface pas les séquelles hérité du contexte inflationniste des deux dernières années.
«L’élasticité des prix est plus sensible à la hausse qu’à la baisse», soutient Kettani, soulignant que, malgré un reflux de l’inflation, les prix à la consommation, notamment dans les circuits modernes, demeurent élevés.
Cette asymétrie alimente une forme de méfiance généralisée, où les ménages, comme les entreprises, hésitent à s’endetter, redoutant de fausses relances ou des chocs futurs. Dans un tel contexte, la détente monétaire agit davantage comme un signal d’apaisement que comme un déclencheur immédiat d’investissement ou de consommation.
La stagnation des taux débiteurs illustre à la fois l’inertie du cycle bancaire et celle d’une économie réelle encore freinée par un manque de visibilité sur les perspectives de croissance. Car si le cadre macroéconomique semble se stabiliser, le tissu économique reste fragilisé par l’érosion du pouvoir d’achat et par une productivité insuffisante, notamment dans le secteur public, deux handicaps majeurs pour envisager une reprise durable.
Tensions inflationnistes
La question de l’inflation reste d’ailleurs au cœur de l’équation monétaire. Selon Bank Al-Maghrib, l’inflation moyenne s’est établie à 2,3% au cours des deux premiers mois de 2025, traduisant un ralentissement sensible par rapport à l’année précédente. Mais le ralentissement de l’inflation demeure fragile.
Les données les plus récentes du Haut-Commissariat au Plan confirment cette évolution. En mars, l’indice des prix à la consommation a reculé de 0,3% par rapport au mois précédent, porté par une baisse de 0,7% des produits alimentaires et une stagnation des produits non alimentaires.
Dans le détail, des replis notables ont été observés sur les viandes, les produits laitiers et les huiles, tandis que les prix des légumes et des fruits continuaient, eux, de progresser. Sur un an, l’inflation ressort néanmoins en hausse de 1,6%, soulignant que la désinflation, bien qu’amorcée, peine encore à se diffuser uniformément à l’ensemble des composantes du panier de consommation.
Dans cet environnement, marqué par une prudente accalmie des prix mais une demande encore en retrait, la politique monétaire devra composer avec un paradoxe latent, celui de stimuler sans alimenter de nouvelles tensions inflationnistes. Un exercice délicat dont l’efficacité dépendra moins des taux affichés que de la capacité à restaurer durablement la confiance.
L’élasticité freine la baisse des prix
La baisse des taux directeurs n’a pas suffi à raviver pleinement l’investissement ni à alléger le coût de la vie. Cette inertie est, en partie, expliquée par l’élasticité asymétrique des prix, un phénomène économique bien connu.
«L’élasticité des prix est plus sensible à la hausse qu’à la baisse», rappelle l’économiste Omar Kettani.
Lorsque l’inflation s’installe, les prix augmentent rapidement. Mais à mesure que les tensions se dissipent, la baisse n’est pas systématique et les prix se maintiennent à des niveaux élevés.
Cette inertie freine l’effet attendu des politiques monétaires puisque, malgré la baisse du coût du crédit, les prix de détail demeurent élevés, notamment dans les grandes surfaces, au moment où les marchés populaires enregistrent des ajustements plus visibles. L’élasticité agit ainsi comme un frein invisible, prolongeant l’effet psychologique de l’inflation.
Dans un tel contexte, restaurer la confiance des ménages et des entreprises devient alors un préalable indispensable pour espérer relancer durablement la dynamique de la demande.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO