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Audit légal : l’autorégulation sur la sellette

Le schéma de contrôle des commissaires aux comptes, exercé par l’Ordre des experts-comptables du Maroc, pourrait ne pas résister à la réforme en cours dans l’Union européenne. Une des exigences portées par cette réforme est de confier la supervision des auditeurs à une autorité indépendante de la profession. Bruxelles prévient que seules les signatures des auditeurs exerçant dans les pays disposant d’un schéma identique au sien seront reconnues.

Au détour d’un échange avec ses pairs à la Chambre française de commerce et d’industrie du Maroc (CFCIM), René Ricol, qui présidait alors aux destinées de la Fédération internationale des auditeurs et des experts-comptables (IFAC), conseillait aux praticiens marocains «de trouver un compromis» sous peine de s’exposer à de graves conséquences (ndlr : entre autres, se voir fermer la porte de l’IFAC). Il leur suggérait en effet d’intégrer les comptables agréés au sein de l’Ordre des experts-comptables, quitte à leur créer un tableau à part.

Ce conseil de René Ricol tombait au moment où la confrontation entre les experts-comptables et les comptables agréés était à son paroxysme. Il n’a pas été suivi, car quinze ans plus tard, les comptables agréés se sont vu aménager leur propre Ordre professionnel par le législateur. Les conséquences auxquelles faisait allusion le président de l’Ifac étaient la non-reconnaissance internationale de la signature des commissaires aux comptes marocains.

Si rien de tel ne s’est produit, la menace pourrait venir cette fois-ci de la Commission européenne qui vient de durcir les conditions de reconnaissance de la profession d’audit et donc, des signatures des praticiens chargés de l’audit légal des entreprises et des entités dites d’intérêt public (EIP). Au cœur de cette réforme, une lecture très stricte de la notion d’indépendance du commissaire aux comptes.

En effet, Bruxelles veut pousser les États membres de l’Union et indirectement, les pays tiers liés à l’UE par des accords d’association, à sortir du schéma de l’auto-régulation de la profession d’audit (cas du Maroc) et d’adopter le modèle d’une autorité indépendante chargée de s’assurer de la stricte observation des incompatibilités liées à l’audit légal des comptes.

Pour Bruxelles, le schéma d’une autorité indépendante, même imparfaite, garantit davantage une certaine salubrité des règles d’incompatibilité. La plupart des pays de l’UE avaient déjà adapté ce schéma de régulation au lendemain de la crise financière de 2008.

Au Maroc, c’est le modèle d’autorégulation par l’Ordre des experts-comptables qui assure le respect des normes professionnelles et des règles d’incompatibilité par les auditeurs. Si, demain, il aligne son dispositif de régulation des commissaires des comptes sur celui que s’apprête à généraliser l’Europe, le Maroc créerait un régulateur indépendant détaché de la profession.

L’objectif de la réforme en préparation à Bruxelles est de conférer le maximum d’indépendance aux praticiens chargés du contrôle légal des comptes des entreprises. Il s’agit d’aller vers la notion très complexe d’apparence d’indépendance. L’approche de l’indépendance retenue par la norme édictée par l’instance de régulation au Maroc (Ordre des experts-comptables) est basée sur la définition de grands principes.

Les principes fondamentaux retenus par cette norme s’énoncent comme suit : le cumul dans la société vérifiée du contrôle légal ou contractuel des comptes avec d’autres activités, présente, s’il est totalement libre, des risques sur l’indépendance du contrôleur légal ou contractuel.

Indépendant dans les faits et en apparence
Dans l’exercice de son activité, le contrôleur des comptes doit être indépendant de son client dans les faits comme dans les apparences. Un contrôleur ne doit pas réaliser un contrôle donné s’il existe une relation financière, d’affaires, d’emploi ou autre entre lui-même et son client (y compris certains services extérieurs à la mission d’audit fournis au client) dont un tiers raisonnable et informé jugerait qu’elle compromet son indépendance.

Des mesures de sauvegarde sont de ce fait nécessaires pour éviter que l’expert-comptable (commissaire aux comptes ou auditeur contractuel) ne se retrouve dans des situations où il est juge et partie ou que les honoraires perçus à ce titre n’engendrent des liens financiers importants avec la société vérifiée, pouvant constituer une menace à l’expression d’une opinion indépendante.

La mesure de sauvegarde ultime est l’interdiction. Les entités d’un même réseau ou d’un groupe de cabinets sont généralement conduites à une solidarité réciproque qui les entraîne à favoriser l’intervention des autres entités dans les sociétés où elles interviennent.

Cette solidarité pourrait constituer une menace à l’expression d’une opinion indépendante. La notion de réseau ou de groupe de cabinets, telle qu’elle est communément admise aujourd’hui, s’entend comme «des personnes physiques ou morales qui entretiennent entre elles, directement ou indirectement, des relations établissant une communauté d’intérêt économique significative et durable. Quelle que soit l’indépendance juridique des sociétés appartenant à un même réseau ou à un groupe de cabinets, il est inévitable que le réseau ou le groupe de cabinets se présente vis à vis des tiers, et même vis à vis des sociétés vérifiées, comme un ensemble.

En conséquence, les services et conseils qui mettraient les commissaires aux comptes ou les auditeurs contractuels dans la position d’avoir à vérifier des situations que l’action de la société de conseil membre du même réseau ou du même groupe de cabinets aurait contribué à créer, constituent une menace à leur indépendance.

L’exigence d’indépendance s’applique au commissaire aux comptes et à l’auditeur contractuel ainsi qu’à ceux qui sont en mesure d’influencer les résultats du contrôle. Ces derniers regroupent des personnes directement impliquées dans le contrôle légal ou contractuel.

Il s’agit notamment des associés responsables du travail d’audit, de l’équipe chargée de la mission ou des professionnels d’autres disciplines impliqués dans la mission (fiscalistes, spécialistes des technologies de l’information…) et, d’une manière générale, de toutes les personnes qui font partie de la «chaîne des responsabilités» relative au contrôle des comptes au sein du cabinet d’audit ou des entités du réseau/groupe de cabinets auquel il appartient.

Appel d’offres obligatoire pour désigner l’auditeur
Dans le règlement européen, l’appel d’offres est obligatoire pour la désignation du commissaire aux comptes. Au Maroc, seules quelques grandes entreprises procèdent à une consultation de cabinets d’audit pour nommer un commissaire aux comptes.

Cette mise en concurrence leur permet au passage d’obtenir une décote sur le montant des honoraires de commissaires. La procédure d’appel d’offres prévue par le règlement européen n’a rien à voir avec ce qui se pratique pour les marchés publics. Les candidats répondent sur invitation ou sollicitation de la société ou de l’entité d’intérêt public.

Pour permettre au commissaire aux comptes, désigné initialement à l’issue d’une procédure d’appel d’offres, de certifier les comptes au-delà de la durée maximale de la mission, la société doit lancer une nouvelle procédure d’appel à concurrence et faire valider son choix par le comité d’audit.

Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO



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