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AMRC. Otmane Serraj : comment réussir le télétravail

Otmane Serraj.
Président de l’Association marocaine de la relation client (AMRC).

Les membres de l’AMRC ont élaboré une déclaration d’intention synthétisant douze bonnes pratiques pour la mise en œuvre du télétravail dans les meilleures conditions. Explications avec Otmane Serraj, président de l’association.

L’AMRC affiche sa détermination à instaurer le télétravail pour tout le secteur de la relation client. Pourquoi ?
La crise sanitaire a bousculé les choses. Les entreprises du secteur de la relation client ont dû s’adapter et faire basculer, en l’espace de quelques semaines, un nombre important de leurs collaborateurs vers le télétravail, en vue d’assurer leur sécurité sanitaire et une certaine continuité du service. En raison des mesures décrétées par le gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, ce sont plus de 40.000 personnes qui ont été concernées par ce changement de mode de travail, sur les quelque 80.000 qu’emploie le secteur. Les membres de l’AMRC sont convaincus que le télétravail apportera une contribution positive au pays et à l’ensemble de ses régions: il permettra de consolider la compétitivité du secteur, de renforcer sa place dans l’économie du pays et de développer l’emploi dans tout le territoire. C’est pourquoi nous souhaitons instaurer le télétravail comme modalité innovante, de manière pérenne, lorsque celui-ci est possible, et contribuer à son développement et à l’utilisation de méthodes pour le promouvoir et lui donner toute son efficacité.

Comment l’AMRC compose-t-elle avec l’absence de cadre juridique spécifique réglementant le télétravail au Maroc?
Quand il a été question de faire basculer, en urgence, nos collaborateurs vers le télétravail, les acteurs de la relation client n’ont pas été freinés par l’absence de cadre juridique clair pour le télétravail: la priorité était donnée à la prévention sanitaire et à la continuité des emplois. Des avenants aux contrats de travail ont ainsi été signés avec l’ensemble des collaborateurs qui ont pu basculer vers le télétravail, en parfaite conformité avec le Code du travail. Dans l’attente de la mise en place d’un cadre légal adapté aux exigences du télétravail tel que pratiqué dans nos métiers, les membres de l’AMRC ont planché sur une déclaration d’intention regroupant douze bonnes pratiques que nous recommandons pour sa mise en œuvre dans les meilleures conditions, aussi bien pour l’aspect pratique que pour notre responsabilité sociale et citoyenne, dans l’intérêt de l’employé comme de l’employeur.

Qu’en est-il de l’accord de la CNDP pour la protection des données personnelles, mais aussi de vos clients étrangers?
Dès les premiers jours de la crise sanitaire, et au regard de l’importance que revêt la protection des données personnelles dans les métiers de la relation client, l’AMRC et la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) ont étroitement collaboré pour traiter rapidement et efficacement toutes les problématiques que nous avons rencontrées. Nous avons notamment pu obtenir de la CNDP une dérogation relative au télétravail dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Nous continuons à collaborer dans ce sens afin de nous conformer aux exigences requises, tout en veillant à la protection des données personnelles de nos clients, marocains comme étrangers. Nous n’avons pas attendu la crise sanitaire pour assurer la conformité maximale de nos activités aux exigences de nos clients étrangers, notamment européens avec le RGPD. Bien entendu, il a également fallu signer des avenants à nos contrats commerciaux afin de couvrir les modalités spécifiques des opérations en mode télétravail.

Qu’en est-il des partenaires sociaux? Avez-vous entamé des discussions pour une meilleure concertation?
Les instances de représentation du personnel ont été des partenaires de premier rang durant cette crise et ont fait montre d’une mobilisation sans faille afin d’accompagner les employeurs dans la mise en œuvre des mesures visant à préserver la sécurité sanitaire et financière de nos collaborateurs.
Comme nous le précisons dans notre déclaration d’intention sur le télétravail, le respect du principe de liberté du collaborateur d’accepter ou de refuser le télétravail est une condition que l’AMRC recommande d’ériger en prérequis. La proposition de transfert à temps plein ou à temps partiel en mode télétravail peut aussi bien émaner de l’employeur que du collaborateur. Le télétravail est décidé d’un commun accord entre les deux parties sur la base des conditions d’éligibilité établies par l’employeur. Par ailleurs, l’AMRC a pris part aux travaux de la Commission sociale de la CGEM relatifs à la mise en place d’un cadre légal plus adapté au télétravail. La CGEM a engagé des discussions avec les partenaires sociaux au nom de tous les secteurs de l’économie qu’elle représente car ce sujet n’est, bien entendu, pas spécifique à la relation client.

Ne pensez-vous pas qu’il est primordial de repenser et réformer le Code du travail? Quelles sont vos propositions dans ce sens?
Il y a plusieurs façons de définir un cadre légal plus approprié au télétravail. Une des options est effectivement d’amender le Code du travail en engageant toutes les parties dans une réforme de fond qui peut effectivement s’avérer nécessaire au vu de la nouvelle donne post-Covid. C’est ce à quoi nous contribuons, en tant qu’association professionnelle, au sein du groupe de travail mis en place par la Commission sociale de la CGEM. Mais nous voulons aussi explorer d’autres pistes qui pourraient conduire à des dispositions légales spécifiques au secteur ou simplement à un modèle d’engagement contractuel que pourraient mettre en œuvre les membres de l’AMRC avec leurs employés en télétravail, qui renforcerait les avenants actuellement en place. Nous voyons en effet plusieurs domaines dans lesquels l’ensemble du secteur gagnerait à clarifier le cadre légal du télétravail: transposition du règlement intérieur, horaires de travail, assurances, accidents du travail & maladie, mise en œuvre des règles d’hygiène et de sécurité…

Avez-vous réalisé des études ou sondages qui montrent que les collaborateurs sont disposés à adopter le télétravail?
Avant tout, cela fait maintenant 4 mois que certains collaborateurs sont en télétravail, et nous n’avons noté que peu d’impacts négatifs en termes de qualité de travail ou de productivité, grâce notamment aux moyens efficaces et outils performants de travail à distance qui ont été mis en œuvre. Si nous avons dû «rapatrier sur site» des activités à fortes contraintes techniques ou sécuritaires, nous avons également certains clients qui nous demandent de pérenniser les opérations en mode «télétravail» car ils sont très satisfaits des résultats. Certains membres de l’AMRC ont réalisé des enquêtes de satisfaction auprès de leurs collaborateurs en télétravail et nous obtenons des chiffres allant jusqu’à 70% de taux de satisfaction, essentiellement du fait d’un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle qui se trouve facilité dans ce mode de travail (absence de transport, meilleure gestion des pauses dans la journée…).

Comment allez-vous instaurer les conditions nécessaires à la mise en place du télétravail dans le secteur?
En tant qu’association professionnelle, il était important pour nous d’édicter ces 12 intentions afin de recommander à nos membres un cadre de bonnes pratiques qui, selon nous, devrait permettre d’assurer les conditions adéquates pour la mise en place du télétravail. Mais il s’agit simplement de recommandations: chaque membre de l’AMRC a sa propre stratégie et politique en matière de télétravail. Je peux cependant vous assurer que chaque membre a assuré la transition vers le télétravail d’une grande partie de ses effectifs, malgré la situation inédite que nous avons vécue, en veillant à instaurer les meilleures conditions possibles en un temps record. Chaque membre continue à déployer tous les efforts afin de garantir des conditions optimales et assurer la continuité d’activité avec la meilleure qualité de service. Nous sommes en effet tenus par de forts engagements de service, que nos collaborateurs travaillent sur site ou depuis leur domicile.

Comment jugez-vous la situation du secteur de la relation client?
Le secteur de la relation client fait preuve d’une grande résilience et ce, sans qu’aucun dispositif spécifique d’appui n’ait encore été mis en œuvre pour lui, malgré de multiples propositions faites via la CGEM ou directement auprès de notre ministère de tutelle. Nous comprenons que la priorité ait été donnée à des secteurs bien plus sinistrés que le nôtre, mais nous sommes convaincus que le rebond de l’économie passera surtout par la relance de ceux qui ont su démontrer une vraie résilience tout au long de cette crise. C’est le cas de la relation client. Après des baisses d’activité de 20 à 30% sur le deuxième trimestre 2020, nous notons actuellement une bonne reprise, liée notamment au redémarrage des activités post-déconfinement et à la levée progressive des mesures d’urgence sanitaire. Ceci nous donne l’espoir de retrouver des volumes d’activité normaux fin 2020.

Justement, quels sont les axes de la stratégie de l’AMRC?
La carte mondiale des destinations outsourcing a été redessinée par cette crise sanitaire avec des destinations majeures d’offshoring comme l’Inde et les Philippines qui ont malheureusement été très durement touchées par la pandémie et ont montré une moins bonne agilité dans le basculement vers le télétravail. Cela n’a pas été le cas du Maroc qui a su préserver la continuité du service en assurant des conditions sanitaires sur les sites des acteurs de la relation client, respectant à la lettre les contraintes et directives édictées par les autorités en la matière. L’AMRC a d’ailleurs lancé dans ce sens une charte de conformité sanitaire – en partenariat avec l’organisme spécialisé AFNOR – qui permet aux membres d’auditer leurs sites et même de les labelliser dans un futur proche. Au niveau de l’association, nous sommes convaincus que les donneurs d’ordre internationaux suivent de près l’action des États visant à sauvegarder leurs secteurs industriels stratégiques, notamment l’offshoring. Nous collaborons donc fortement avec notre ministère de tutelle pour mettre en place des plans ambitieux et efficaces de relance sectorielle qui permettront à l’offshoring de reprendre son rythme de croisière, notamment en termes de créations d’emplois et de CA à l’export, avec la conviction sincère que nous pouvons devenir le premier secteur industriel créateur d’emplois au Maroc dans les mois à venir.


Les chantiers prioritaires de l’AMRC

Le secteur dispose de mesures incitatives dans le cadre du Plan d’accélération industrielle puisque l’offshoring en est un des secteurs clés. La première proposition de l’AMRC consiste à réorienter ces mesures et à les réadapter à l’accompagnement des acteurs durant la sortie de crise, notamment à travers la mise en place d’une prime de croissance prenant comme référence le chiffre d’affaires du mois d’avril 2020, l’extension du dispositif d’aide à la formation aux frais de formation à distance (e-learning) et les aides aux loyers au sein des parcs offshore. Le secteur de la relation client attend, comme tous les secteurs, une démarche volontariste en matière d’exonération des charges sociales, notamment la part patronale des charges CNSS. Les sites des opérateurs étant à moitié vides, ils mobilisent moins les ressources télécoms dont ils disposent et ont besoin de soutien dans le lissage ou la réduction de ces charges. Enfin, les opérateurs de la relation client ont engagé d’importants frais pour faire basculer leurs effectifs vers le télétravail et comptent donc sur un appui financier, sous forme de subvention télétravail, pour aider à financer l’équipement informatique et la connexion.

Sanae Raqui
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