Fraude en entreprise : le visage méconnu du criminel en col blanc

Une enquête mondiale menée par KPMG dresse le profil-type du fraudeur en entreprise. Loin de l’image du délinquant marginal, il s’agit souvent d’un homme expérimenté, respecté et bien intégré au sein de l’organisation. Le rapport met en lumière les failles systémiques qui rendent ces délits possibles, et propose des pistes pour mieux les prévenir.
Il ne porte pas de cagoule, ne force pas les serrures et n’opère pas dans l’ombre de la nuit. Le fraudeur en entreprise agit de l’intérieur, parfois depuis les plus hautes sphères décisionnelles, usant de sa position, de la confiance dont il jouit et des failles de l’organisation pour commettre ses actes. C’est ce que révèle l’édition 2025 du rapport «Global Profiles of the Fraudster», publié par KPMG, sur la base de 256 affaires de fraude analysées dans le monde entier. L’étude dresse un constat clair : la menace est interne, souvent insoupçonnée, et s’inscrit dans une dynamique où les lacunes du contrôle interne jouent un rôle central.
Dans plus de 80% des cas étudiés, le fraudeur est un homme âgé de 36 à 55 ans, en poste depuis plus de six ans dans l’organisation. Il occupe souvent un poste de responsabilité : direction, management ou encore cadre exécutif. Rien, a priori, ne le distingue : il est décrit comme «respecté», «sociable», voire «charismatique», sans grief manifeste envers l’entreprise. Ce qui le distingue en revanche, c’est une certaine propension au sentiment de supériorité.
Contrairement à une idée reçue, ces individus ne sont pas toujours motivés par une détresse personnelle. Le mobile le plus fréquent reste le gain financier personnel, suivi de l’opportunisme. Certains cherchent à dissimuler des pertes ou à atteindre des objectifs pour conserver leur poste ou toucher un bonus. Mais dans près d’un quart des cas, ils ont tout simplement agi parce qu’ils le pouvaient.
Des failles de contrôle persistantes
Le détournement d’actifs représente plus de la moitié des cas recensés. Il prend la forme d’un enrichissement personnel via l’accès à des ressources ou des circuits de paiement internes. L’émission de fausses factures, la collusion avec des fournisseurs, ou encore les surfacturations figurent parmi les pratiques les plus fréquentes.
Dans 50% des cas, ces détournements prennent la forme d’un délit d’appropriation – typiquement de l’emploi de fonds de l’entreprise à des fins personnelles. Le secteur des achats est particulièrement exposé à la fraude, tout comme les départements finance, opérations et même direction générale. Dans près de 13% des affaires, les fraudes dépassaient 5 millions de dollars. Celles impliquant plusieurs pays sont plus rares (13%), mais souvent associées à des montants plus importants. Les lacunes dans les systèmes de contrôle interne apparaissent comme l’un des premiers catalyseurs. Dans trois cas sur quatre, les fraudeurs ont exploité l’absence ou la faiblesse de mécanismes de supervision.
Dans 51% des entreprises concernées, aucune mesure de lutte contre la fraude n’était en place au moment des faits. L’autorité illimitée figure parmi les facteurs aggravants : elle est présente dans près de la moitié des fraudes supérieures à un million de dollars. L’absence de séparation des pouvoirs, la faible culture du contrôle ou la tolérance implicite à certaines pratiques permettent à ces délits de se perpétuer. Pourtant, la plupart des fraudes sont découvertes grâce à des lanceurs d’alerte — formels ou informels — bien avant qu’un audit ne les révèle.
L’ombre du numérique, encore marginale
Si le fraudeur solitaire est une figure bien identifiée, le rapport montre que 55% des cas impliquent une collaboration entre plusieurs individus. Dans la majorité de ces situations, le groupe comprend entre deux et cinq personnes. Les collusions sont souvent internes : collègues, subordonnés ou partenaires de longue date.
Dans ces réseaux de fraude, la figure centrale reste généralement un employé de l’organisation, rarement un tiers. Et si les principaux instigateurs sont majoritairement des hommes, les femmes sont impliquées dans un peu plus de la moitié des cas collectifs.
Malgré les craintes liées à l’intelligence artificielle, aux cryptoactifs ou au télétravail, le rapport nuance leur rôle actuel dans la fraude. Seuls 5% des cas sont considérés comme relevant de la cyberfraude (phishing, piratage, ransomwares). La plupart des fraudes sont encore commises via des méthodes traditionnelles, sans recours majeur aux outils numériques.
Toutefois, les experts de KPMG notent une évolution : les technologies pourraient à l’avenir favoriser l’action de fraudeurs isolés, en rendant leurs actes plus difficiles à tracer. L’usage des deepfakes, notamment pour usurper des identités, pourrait devenir une menace plus concrète dans les années à venir.
Des recommandations pour une culture de prévention
Les auteurs du rapport insistent sur la nécessité de renforcer les contrôles internes, d’instaurer une culture éthique claire, et de former les collaborateurs aux risques de fraude. KPMG recommande également d’améliorer les outils de détection, d’adapter les dispositifs aux évolutions technologiques, et de mieux connaître ses partenaires pour limiter les risques liés aux tiers.
La fraude ne résulte pas seulement de défaillances individuelles : elle est aussi le symptôme d’un système organisationnel vulnérable, dans lequel les incitations, les tolérances implicites et les failles de supervision créent un terreau fertile pour les abus.
Sami Nemli avec agences / Les Inspirations ÉCO