Dialogue des âmes et renaissances artistiques : les incontournables du Festival de Fès

Émotion et spiritualité ont marqué la 28e édition du Festival de Fès des musiques sacrées. Sous le thème «Renaissances», des créations artistiques et musicales exceptionnelles ont transporté le public. Chaque performance constituait une exploration du sacré, offrant des moments de grâce inoubliables au cœur de la Cité spirituelle.
La 28e édition du Festival de Fès des musiques sacrées du monde, sous le thème des «Renaissances», a de nouveau consacré la cité impériale en tant que creuset vibrant de spiritualité, de créativité et d’échanges. Depuis le 16 mai, Fès a vibré aux sons et aux mouvements d’artistes venus partager leurs expressions sacrées. Certaines créations ont particulièrement illuminé cette édition, offrant des tableaux vivants d’une rare intensité.
L’Âme Jumelle d’Antípodas : dialogue chorégraphique au cœur de la dualité
Le spectacle «Antípodas» a saisi le public par une symphonie corporelle et rythmique d’une précision millimétrée. Le martèlement des talons ainsi que le claquement des doigts et des mains en écho ont introduit une performance explorant avec finesse le thème du double et de l’identité. Portée par les jumelles chiliennes, Florencia Oz et Isidora O’Ryan, cette création a laissé une empreinte mémorable auprès du public. Isidora O’Ryan nous confie que la pièce prend comme point de départ le mythe du double, qui parle essentiellement du thème de l’être confronté à la dualité de sa propre identité.
Ce dédoublement inhérent à l’expérience humaine est transposé sur scène avec une esthétique minimaliste et contemporaine. Le spectacle narre le voyage de deux êtres, de leur fusion initiale à l’affirmation de leur individualité, interrogeant la frontière entre l’une et l’autre. Florencia Oz, bailaora et chorégraphe, incarne cette quête par une danse viscérale et épurée. Son flamenco contemporain, rigoureux et chargé d’émotion, devient le langage de cette introspection. Face à elle, sa sœur Isidora O’Ryan, violoncelliste, chanteuse et compositrice, tisse la trame sonore.
«C’est un spectacle où nous sommes toutes les deux sur scène. Florencia avec la danse, moi avec le violoncelle et la voix», précise-t-elle.
Sa musique, puisant dans le classique ainsi que le folklore chilien et espagnol, est enrichie de pistes enregistrées et de samples électroniques discrets, mêlant tradition et modernité. La magie d’Antípodas réside dans la symbiose parfaite des deux artistes. La danse et les percussions corporelles de Florencia conditionnent la voix et l’instrument d’Isidora, et vice-versa. Leur synchronisation, parfois en miroir, parfois en contrepoint, symbolise avec une justesse bouleversante l’esprit des jumeaux. Cette méditation poétique sur la coexistence et l’individuation a confirmé le talent exceptionnel des sœurs Oz et O’Ryan.
«4 Femmes» : la polyphonie de l’espoir d’Ariana Vafadari
Pour sa quatrième participation au festival, l’artiste franco-iranienne Ariana Vafadari a présenté «4 Femmes», une création qui résonne avec son engagement artistique.
«Quand on m’a proposé de faire cette création, j’étais particulièrement heureuse car cela correspond au message que je porte, celui de comment réunir des femmes musiciennes de cultures, d’inspirations et de langues différentes, pour trouver, dans un moment de transcendance par la musique, cette communion d’émotions», confie-t-elle aux Inspirations Éco.
Sa démarche artistique est une fusion. Chanteuse lyrique, elle a ressenti le besoin d’exprimer sa part iranienne, l’amenant à composer sa propre musique, explorant les gammes d’Iran, du Maroc et les rythmes indiens. «4 Femmes» amplifie cette exploration en réunissant une chanteuse hindoue, une turque, une camerounaise, et elle-même (représentant l’Iran). Le défi est de faire cohabiter ces langages musicaux divers, y compris la musique écrite et les traditions orales. La genèse du projet est ancrée dans des réalités poignantes.
«J’ai écrit ‘’4 Femmes’’ car, au moment de la pandémie de Covid, j’étais en lien avec des femmes de l’Asian university for women», explique-t-elle.
Le sort de ces jeunes femmes, souvent mariées de force ou empêchées de poursuivre leurs études, l’a profondément marquée, se demandant «comment lutter contre ces peurs à un moment où tout semble reculer ?». C’est dans ce contexte que «4 Femmes» a vu le jour. «Le festival est une occasion d’exprimer nos effondrements, nos douleurs, notre histoire, mais aussi et surtout nos espérances». L’œuvre est un cri de résilience, une affirmation de la force créatrice et de l’indéfectible espoir féminin.
Bachir Attar et les master musicians of Jajouka : l’écho millénaire du Rif
La musique de Jajouka, portée par Bachir Attar, est un héritage ancestral, une part de l’âme marocaine. «La musique de Jajouka est considérée comme l’une des plus anciennes musiques marocaines», nous affirme Attar, évoquant même une visite d’Ibn Khaldoun au village.
Profondément ancrée dans l’histoire, «c’était la musique du Sultan», jouée au palais royal depuis l’époque des sultans Alaouites. Pour Attar, cette musique, «la première musique du Maroc», possède des vertus thérapeutiques puisqu’elle est même conseillée pour soigner les maladies mentales.
Sa renommée est internationale, marquée par des participations à des festivals majeurs comme Woodstock. Les rencontres avec des figures comme les Rolling Stones (l’enregistrement de «Continental drift» avec Mick Jagger visitant Jajouka) ou le jazzman Ornette Coleman, témoignent de son influence.
«Notre musique a vraiment accompli des choses significatives pour le Maroc», souligne Attar, soulignant que la présence des Master musicians of Jajouka à Fès est toujours une immersion dans une tradition musicale puissante et envoûtante.
Les derviches tourneurs d’Istanbul : spirale de grâce et contemplation
L’Ensemble des cérémonies soufies d’Istanbul a offert une immersion spirituelle d’une rare intensité, transportant le public au cœur de la tradition de Mevlana Jalāl ad-Dīn Rūmī. À Bab Makina, la cérémonie du Sema s’est déployée comme une prière en mouvement, une méditation cosmique.
Au centre, les derviches tourneurs, vêtus de leurs longues robes blanches et coiffés de bonnets coniques, ont captivé par leur danse giratoire. Leur rotation, d’abord lente puis s’accélérant, est une métaphore de l’ordre cosmique, l’âme gravitant autour de son centre divin.
La cérémonie est une architecture symbolique complexe, chaque phase portant une signification profonde. La posture des mains, notamment, est éloquente. La droite tournée vers le ciel reçoit la grâce, la gauche vers la terre la transmet, le derviche devient un canal entre Ciel et Terre.
L’atmosphère sacrée était intensifiée par la musique et les chants. Les mélodies du ney, les rythmes des percussions et les voix psalmodiant des versets coraniques et des poèmes de Rūmī ont créé une trame sonore émouvante, essentielle pour élever l’esprit vers l’extase mystique. Ces tableaux vivants incarnent la philosophie de Rūmī (tolérance, fraternité, et transcendance des différences) pour atteindre l’amour divin.
Le public a été touché par la profondeur d’une tradition qui, en phase avec l’esprit de «renaissance» du festival, offre des clés d’épanouissement spirituel. Le Festival de Fès des musiques sacrées du monde continue de tisser des liens, prouvant que la musique, dans ses expressions les plus spirituelles, est un langage universel. Chaque note, chaque danse, chaque silence a contribué à faire de cette 28e édition une célébration mémorable de la beauté et de la profondeur du sacré, une véritable renaissance des esprits et des cœurs.
Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO