Éco-Business

Gestion de trésorerie : la supply chain finance peine à s’imposer au Maroc

Malgré des délais de paiement toujours pesants, la Supply chain finance peine à s’imposer au Maroc. Ce levier, qui pourrait alléger la pression sur la trésorerie des entreprises, reste sous-exploité, freiné par des réticences psychologiques, une méconnaissance persistante et des processus internes rigides.

À chaque cycle économique, les entreprises les plus résilientes s’avèrent celles qui maîtrisent leurs flux financiers. Dans une économie où la trésorerie conditionne la compétitivité de nombreuses entreprises, la supply chain finance (SCF) pourrait constituer un levier stratégique. C’est tout l’enjeu d’une conférence consacrée au rôle des SCF dans l’optimisation des besoins en fonds de roulement. En l’état actuel, ce dispositif peine à s’imposer au Maroc, et ce, pour moult raisons.

«Il y a déjà une première appréhension, certains pensant que c’est réservé aux grands groupes», analyse Abdou Souleye Diop, managing partner chez Forvis Mazars.

L’illusion d’un outil taillé pour les mastodontes économiques perdure, écartant de fait les PME et les TPE qui en auraient pourtant le plus besoin. Ce biais est renforcé par un second écueil, à savoir un manque flagrant d’information.

«Beaucoup d’outils sont disponibles, mais restent méconnus, même des directeurs financiers eux-mêmes» précise le même expert.

La SCF repose, pourtant, sur un principe simple. Plutôt que de laisser une PME suffoquer sous des délais de paiement à rallonge, un intermédiaire financier avance les fonds, contre une légère décote, et se fait rembourser plus tard par l’acheteur. Une mécanique qui profite à tous. Au fournisseur qui sécurise sa trésorerie, à l’acheteur qui stabilise sa chaîne d’approvisionnement et à la banque, qui profite d’une nouvelle source de revenus. Mais entre le principe et l’application, un gouffre subsiste.

«Il y a aussi une question de complexité perçue et de coût supposé», souligne Taha Ferdaous, partner chez Forvis Mazars.

En réalité, les PME supportent déjà des charges financières bien plus lourdes, en se reposant sur le découvert bancaire ou des financements à court terme beaucoup plus onéreux. Le problème réside, par ailleurs, dans l’absence de données exploitables.

«Pour mettre en place une SCF efficace, il faut d’abord un système de gestion robuste, une traçabilité des flux et des processus clairs», insiste Adil Lahbichi, directeur Global transaction banking chez Bank of Africa.

Or, la majorité des entreprises continuent à gérer leur trésorerie sur Excel, exposées aux erreurs, aux approximations et aux retards évitables.

«Connaître ses circuits clients-fournisseurs, c’est gagner du temps, et donc de la trésorerie», appuie Abdou Souleye Diop.

Derrière la technique, une réalité plus structurelle s’impose. Au Maroc, le factoring et le reverse factoring ne représentent que 2,1% du PIB, contre 12,3% en Europe. Un retard qui tient autant à un cadre réglementaire perfectible qu’à une adoption encore timide.

«La digitalisation est un facteur clé», estime Youssef Boukhabrine, directeur chez SL Portnet, qui voit dans les technologies blockchain et les smart contracts un moyen de fluidifier ces dispositifs.

«Une fois que la douane ou les bureaux de contrôle attestent que la matière est conforme, on peut débloquer le paiement automatiquement».

L’internationalisation de la SCF est aussi en jeu. À l’heure où les entreprises locales s’intègrent à des chaînes d’approvisionnement mondiales, le financement de la supply chain ne peut plus se limiter aux frontières du Royaume.

«Si nous ne mettons pas rapidement en œuvre ces mécanismes, nous serons exposés à la concurrence des acteurs étrangers, qui viendront se servir sur notre marché», met en garde Mohamed Samir Hafiz, directeur du développement chez Kyriba.

Pour nombre d’experts, la question n’est pas tant de savoir si ces outils sont pertinents, mais pourquoi autant d’entreprises continuent à les ignorer. D’ailleurs, rares sont celles qui estiment le coût d’un retard de paiement sur leur trésorerie. Dans un pays où le besoin en financement culmine pourtant à près de 90 milliards de dirhams, l’enjeu est de structurer ce flux pour en faire un avantage concurrentiel.

Factoring et reverse factoring, un levier encore sous-exploité

Plutôt que de subir des délais de paiement longs et pénalisants, les entreprises peuvent mobiliser des dispositifs à l’efficacité largement éprouvée comme le factoring (cession de créances à un tiers financier) ou le reverse factoring (financement des fournisseurs par le donneur d’ordre via une banque).

Ces mécanismes permettent de sécuriser les paiements, de réduire les tensions de trésorerie et d’améliorer la liquidité sans alourdir le bilan des entreprises. Au Maroc, leur adoption reste limitée en raison d’une digitalisation insuffisante, de l’absence de standardisation des processus et d’une réticence au changement, autant de facteurs qui freinent leur essor.

Pourtant, des pays comme l’Inde, le Mexique ou l’Espagne ont su accélérer leur déploiement en misant sur des incitations réglementaires et une simplification des procédures. Tant que ces fondamentaux ne seront pas consolidés, la Supply chain finance restera un levier sous-exploité au Maroc.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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