Réserves de change : l’effet Trump sur le Maroc

La salve d’augmentations de droits de douane sur les principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis pousse le cours du billet vert à la baisse. Au Maroc, le cours de référence Bank al-Maghrib du dollar est passé de 10,40 à 9,724 dirhams en un mois. Les salles des marchés de grandes banques internationales parient sur la poursuite de la dépréciation de la devise américaine. Cela signifie une baisse de la facture énergétique (produits pétroliers et charbon), et du coût des importations céréalières. Pour le Budget de l’Etat, ce sont des économies sur les subventions du gaz butane.
Un ancien secrétaire américain au Trésor affirmait que «le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème». Comme pour le reste du monde, le dollar est aussi un «problème» pour le Maroc, mais au vu de l’évolution actuelle du billet vert sur le marché des changes, il pourrait s’avérer clairement un formidable allié pour ses échanges extérieurs, sa compétitivité-prix et ses réserves de change.
La veille du week-end (ndlr : le 7 mars), le cours de référence du dollar chez Bank Al-Maghrib était à 9,724 dirhams. Il y a un mois (fin février), un dollar s’échangeait contre 10,40 DH. La tendance est claire, c’est tout le contraire que souhaitait Donald Trump. Ses décisions d’imposer des droits de douane au reste du monde (dignes des mercantilistes du XIXe siècle), poussent à la baisse le dollar. Pour l’économie marocaine, un dollar «modéré» est le bienvenu.
En effet, la pondération de la devise américaine dans le panier de cotation du dirham étant fixée à 40%, toute fluctuation à la baisse du dollar impacte non seulement la balance des paiements du Royaume, mais aussi le budget de l’Etat par le canal des subventions de la farine de blé et du gaz butane.
Selon les projections officielles, une baisse de 1 dollar du cours du baril de pétrole impacte la facture énergétique du Maroc de 1 milliard de dirhams. Ce sont autant d’économies bienvenues sur les réserves de change.
Par ailleurs, dans le contexte des récoltes céréalières très moyennes comme cela est prévisible, un dollar moins fort signifie également un allègement de la facture des importations de céréales, notamment du blé tendre. Nos importateurs céréaliers et pétroliers vont devoir affiner leur politique de couverture contre le risque de change afin de bénéficier du maximum de ces économies potentielles.
Sur le plan individuel, la dépréciation du dollar est une excellente nouvelle pour les entreprises qui importent massivement des intrants en billet vert. Avec une parité dollar/MAD favorable, elles s’approvisionneraient dans de bien meilleures conditions, et peuvent espérer améliorer leur compétitivité-prix.
35 à 40% des exportations libellées en dollar
Mais il y aura aussi quelques perdants potentiels à la dépréciation de la devise américaine. En effet, 35% à 40% des exportations marocaines sont libellées en dollar. Le plus exposé est le groupe OCP, numéro un mondial du phosphate et dérivés. Plus le dollar baisse, plus ses recettes s’en trouveront affectées, mais ses traders dans sa salle des marchés ont sans doute déjà anticipé le coup de froid sur le dollar.
Selon l’Office des changes, 50,6% de l’import-export du Maroc sont libellés en euro et 46,1% en dollar. Malgré la montée en puissance des transactions commerciales avec la zone dollar en Asie, depuis la moitié des années 2000, cette cartographie n’a pas structurellement évoluée.
On retrouve la même structure dans la politique de financement extérieur du pays. La dette publique extérieure est libellée à 63,1% en euro, et à 36,1% en dollar et devises adossées. Le Maroc remboursera cette année 18,5 milliards au titre de la dette extérieure et 17 milliards en 2026.
Pour faire tourner son industrie et son parc automobile, le Maroc importe non seulement des produits pétroliers finis en milliards de dirhams, mais aussi du fuel, beaucoup de charbon pour les centrales de l’ONEE, du gaz et des intrants réglés en dollar. Aux ministères du Budget, et de l’Economie et des Finances, les décideurs scrutent la courbe d’évolution du dollar. La moindre petite baisse du cours du billet vert signifie moins d’argent à affecter à la subvention du gaz butane domestique, le plus gros poste du Budget de la compensation.
Sur chaque bonbonne de 12 kg vendue 50 dirhams chez l’épicier (85% de la consommation nationale), le Trésor supporte près de 70 dirhams de subvention.
Dans les salles des marchés de grandes banques internationales, les cambistes et les professionnels prédisent la poursuite de l’affaiblissement du dollar en 2025, à moins que la Maison Blanche ne change de braquet.
Indéboulonnable dollar
Au niveau mondial, le dollar garde toujours le lead, malgré les assauts de la Chine et de la Russie. Environ 60% des réserves de change des banques centrales sont libellées en dollars, 20% en euros, 6% en yens, 5% en livres sterling et moins de 3% en renminbis (la devise chinoise).
Par ailleurs, la suprématie du dollar en termes de monnaie d’émission à l’international pour les obligations, de monnaie de paiement, de facturation sur les marchés des matières premières ou pour les flux commerciaux reste écrasante. Il existe des synergies entre les utilisations du dollar dans ces diverses fonctions. Un pays dont les flux commerciaux sont en dollars trouvera utile de stabiliser son taux de change vis-à-vis du dollar pour limiter le risque et les coûts de transactions.
Sa banque centrale aura donc intérêt à avoir des réserves en dollars pour intervenir en support de sa monnaie, les marchés des changes seront liquides pour les transactions entre la monnaie locale et le dollar, ce qui induira les acteurs privés à investir leurs fonds et à émettre en dollars. Ces complémentarités rendent coûteuse toute velléité de s’écarter de la norme dollar en tant que monnaie internationale.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO