Opinions

Contrat de management hôtelier : comment mitiger les risques juridiques?

Abdelatif Laamrani
Avocat aux barreaux de Paris, Casablanca et Montréal, fondateur du cabinet d’affaires internationales Laamrani Law Firm

Le contrat de management hôtelier est un sujet majeur dans les économies qui se basent sur le tourisme comme une de leurs principales sources de revenus. Il en est ainsi du Maroc, où le tourisme participe à hauteur de 7,3% au PIB. Le Royaume est l’un des pays les plus visités d’Afrique, et l’une des destinations les plus prisées, faisant partie du trio de tête avec l’Égypte et l’Afrique du Sud et se classant à la 31e place à l’échelle mondiale.

Le plus souvent, le contrat de management hôtelier lie un propriétaire de site et un opérateur hôtelier, généralement une chaîne hôtelière multinationale de luxe, disposant d’une marque internationale, et possédant des standards et des normes distinctives, spécifiques. Pour dire un mot sur les origines de ce contrat, il convient de signaler que sur le plan international, cette forme de contrats n’existait pas avant 1950, et tous les hôtels étaient gérés par leurs propriétaires.

En d’autres termes, la gestion n’était pas séparée de la propriété. Aux États Unis, l’une des principales sociétés pionnières en matière de gestion hôtelière a été Hilton Hotels Corporation, créée en 1946 par Conrad Hilton. Le premier contrat de gestion hôtelière fut celui du «Hilton de Hong Kong», en 1963. Ce contrat a constitué une étape majeure dans l’industrie de la gestion hôtelière internationale.

Cet hôtel appartenait entièrement à une société de Hong Kong, la famille Hutchison Whampoa, qui a conclu un véritable contrat de gestion hôtelière avec Hilton International. Bien qu’il apparaisse comme le premier contrat international de gestion hôtelière, tel que nous le connaissons aujourd’hui, bon nombre de ses clauses étaient basés sur un contrat de location, semblable au contrat Caribe Hilton, à San Juan (Porto Rico), car il devait y avoir un point de départ dans la création du nouveau document.

Aujourd’hui encore, de nombreux contrats de gestion «standards» utilisés par les chaînes hôtelières internationales contiennent des vestiges d’un contrat de location. Ironiquement, «le Hilton de Hong Kong a été démoli pour faire place à un immeuble de bureaux en 1995, alors qu’il avait rapporté plus d’un milliard de dollars au cours de ses 32 années d’exploitation».

Dans les années 1960-1970, après l’expansion vers les destinations internationales des chaînes hôtelières américaines que sont les pionniers «Hilton Hotels Corporation» et «InterContinental», d’autres sociétés hôtelières américaines décidèrent de pénétrer le marché international, en utilisant le modèle relativement nouveau des contrats de gestion : Sheraton, Marriott et Hyatt (toutes ces entreprises s’appuyaient principalement sur des contrats de gestion hôtelière pour leur expansion internationale).

Aujourd’hui, le contrat international de gestion hôtelière est bien plus complexe qu’il ne l’était auparavant. Pour des raisons fiscales et autres, le contrat de base est souvent divisé en six ou sept documents différents. De nouveaux concepts ont été introduits à mesure que les sociétés de gestion hôtelière et les propriétaires sont devenus plus «sophistiqués» et que le paysage du marché a subi des changements considérables, en raison d’une concurrence accrue, des progrès technologiques, d’une législation changeante, etc.

Toutefois, les contrats internationaux de gestion hôtelière d’aujourd’hui gardent le même esprit, voire le même cadre général que le contrat de gestion initial. La complexification de ces contrats est due également au fait que :
(i) Les parties, que ce soit les propriétaires ou les gestionnaires sont généralement de grandes institutions sophistiquées qui négocient intensément, et leurs prêteurs se joignent souvent à ces négociations pour protéger leurs propres intérêts ;
(ii) Sur la scène internationale, les propriétaires sont souvent des familles ou des individus nantis qui se concentrent principalement sur des questions purement commerciales et financières.

Généralement, le contrat de gestion hôtelière est un contrat déséquilibré. Cela est dû au fait que lorsque ses premières versions ont été rédigées, elles l’avaient été par des groupes hôteliers qui avaient un grand pouvoir de négociation. Un propriétaire/investisseur qui désirait accéder à une expertise en matière d’hôtellerie de luxe et à la force d’une chaîne (et d’une marque) pour faire du marketing n’avait que peu de choix. C’est pour cela que les premiers contrats internationaux de gestion prévoyaient des frais élevés et des durées longues (jusqu’à soixante ans !) et donnaient à la société de gestion (l’opérateur) un contrôle extraordinaire sur un actif détenu par une autre partie (le propriétaire).

Toutefois, avec la forte prolifération des sociétés de gestion, les propriétaires sont devenus beaucoup plus avisés et avec l’aide de leurs avocats, on a pu remarquer une inversion progressive de cette tendance. Par exemple, auparavant, une société de gestion internationale pouvait demander des honoraires équivalents à 5% du chiffre d’affaires brut et à 10% du bénéfice d’exploitation (bénéfice avant charges fixes).

Aujourd’hui, une formule plus courante serait «2 et 8», et le «8» est généralement calculé à l’aide d’une formule plus avantageuse pour le propriétaire que dans les années précédentes. Les durées d’exploitation sont plus courtes, les performances sont surveillées de plus près, les propriétaires ont plus de contrôle et plus (voire beaucoup) de risques sont attribués à la société de gestion.

Toutefois, même avec les conditions améliorées proposées aujourd’hui par les gestionnaires – à moins qu’ils ne fournissent un soutien financier substantiel (ce qui n’est plus exclu dans les nouveaux montages que proposent des opérateurs internationaux pour se distinguer de leurs concurrents) -, le propriétaire d’un hôtel géré supporte toujours la quasi-totalité du risque financier de l’entreprise. Le déséquilibre persiste en défaveur du propriétaire, puisque l’hôtel pourrait enregistrer une perte d’exploitation, tandis que la société de gestion percevrait toujours ses honoraires de base.

Cependant, même lorsque l’hôtel génère un bénéfice d’exploitation, le propriétaire doit quand même assurer le service de sa dette et payer des taxes foncières ainsi que d’autres frais de propriété, ce qui pourrait bien entraîner une perte nette importante pour lui. Dans ce qui suit, nous passerons en revue succinctement et successivement, les clauses les plus importantes dans un contrat de management hôtelier, avant de nous intéresser aux risques juridico-financiers qu’elles pourraient comporter.

Les clauses les plus importantes
Avant d’énumérer les clauses décisives dans un contrat de management hôtelier, il convient de s’intéresser à la nature juridique de ce contrat. Comme dit plus haut, ces contrats lient un propriétaire/investisseur disposant d’un site à un opérateur hôtelier (dit aussi gestionnaire ou exploitant) haut de gamme. En vertu de ce contrat, le premier met à la disposition du second ses locaux en vue de les exploiter sous sa marque.

Ce genre de contrat pouvait, selon les cas et les montages juridico-financiers proposés, être qualifié de contrat de franchise (les franchises de marques haut de gamme sont extrêmement rares. Le maintien des normes est essentiel pour ces opérateurs, et une gestion complète produit un flux de frais bien meilleur), contrat de location ou contrat de mandat.

Aujourd’hui, ce contrat prend la forme d’un contrat sui generis appelé «contrat de gestion/management hôtelier». Il peut être sous forme d’un support contractuel unique, régissant tous les aspects de la relation d’affaires entre le propriétaire et l’opérateur, ou bien formé d’un contrat principal et de plusieurs autres contrats accessoires régissant séparément chacun de ces aspects : contrat de conception et de design ; contrat d’exploitation ; contrat de licence de marque ; contrat de services techniques, etc.

Dans ce dernier cas, il a la qualification juridique de «groupe de contrats». Les principales clauses sont : le périmètre (le scope) des missions de l’opérateur, les droits et obligations de l’opérateur, le recrutement des responsables de l’hôtel ; les pouvoirs du directeur général de l’hôtel ; toutes les questions liées au budget (préparation, soumission et désaccord sur le budget) ; les couvertures d’assurance ; la rémunération de l’opérateur ; l’utilisation du nom et de la marque de l’opérateur ; la durée du contrat ; les modalités de résiliation du contrat et toutes les clauses de sortie à l’initiative du propriétaire et de l’opérateur ; la cession et transfert de l’hôtel ; la loi applicable et le règlement des différends en cas de survenance d’un conflit, les obligations de non concurrence, etc.

Les risques juridico-financiers
Comme mentionné plus haut dans le contrat de management hôtelier, les risques juridico-financiers les plus importants pèsent sur le propriétaire, notamment le risque de voir de gros investissements non récompensés par des revenus d’exploitation conséquents, ou celui de sous-performance patente de l’opérateur au vu des prévisions de l’exploitation de l’établissement hôtelier, ou encore celui d’une faille dans la gestion de la saisonnalité de l’établissement, ou du concept, etc.

Ces situations constituent autant de risques financiers de déficit dans les résultats d’exploitation que le propriétaire doit prévoir à l’avance dans le contrat de management hôtelier, en prenant le soin d’y intégrer des legal remedies susceptibles non seulement d’équilibrer la relation avec l’opérateur, mais de lui éviter de subir tout seul les pertes, notamment la clause de suivi et d’opposition au budget, la clause de règlement de la situation de sous-performance, la clause régissant les forcasts (prévisions) et qui prévoient un benchmark dit «ensemble d’hôtels compétitifs», les clauses de résiliation aux torts de l’opérateur en cas de sous-performance «non remédiée», la clause des deux tests de «GOP» et de «RevPar» et enfin, une clause claire et fonctionnelle de droit applicable et de règlement des différends.

Bien entendu, la technicité et la complexité du contrat de management hôtelier recommande au propriétaire de se faire toujours accompagner par des conseils capables d’attirer son attention sur les risques qu’il pourrait encourir suite à la signature de contrats souvent rédigés en anglais et comportant des formulations juridiques alambiquées, ne permettant pas de détecter à première vue leur caractère problématique, voire abusif.



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