Opinions

Secteur informel : comprendre les dynamiques pour mieux accompagner la formalisation

Par Abderrazak Mourchid
Économiste, spécialiste en développement du secteur privé

Au cœur de l’économie marocaine se trouve un acteur à la fois présent et influent, mais paradoxal : le secteur informel. Loin d’être un épiphénomène, il s’affirme comme une réalité structurelle, un amortisseur social indispensable, mais aussi un frein à la transformation économique du Royaume. Raconter son histoire, c’est comprendre les ressorts profonds d’une économie en quête d’un nouvel élan.

Le portrait du secteur informel, esquissé par les données de l’enquête du HCP 2023 sur le secteur informel (ENSI), révèle qu’il demeure un univers de micro-unités (85,5%), un phénomène éminemment urbain (77%), où le commerce (47%) règne en maître. Plus de la moitié de ces entités sont dépourvues de local fixe, l’accès au crédit bancaire relève de l’exception (2,1%), et son visage reste massivement masculin (91,4%). Pourtant, cette apparente fragilité dissimule parfois une résilience.

Au fil des crises et des mutations, ce secteur a démontré une capacité d’adaptation jouant le rôle de filet de sécurité pour des pans entiers de la population. Preuve de cette endurance, 58% des unités de production informelles (UPI) affichent plus d’une décennie d’existence. Elles ne sont donc pas de simples structures de survie éphémères, mais des entités qui ont trouvé les clés de leur pérennité, soulevant une question fondamentale sur les déterminants de cette longévité hors des cadres institutionnels.

Au-delà des résultats de l’enquête de 2023, le présent article essaye d’analyser l’évolution du secteur informel sur les vingt-cinq dernières années à la lumière des différentes enquêtes menées par le HCP sur ce sujet.

Croissance apparente et poids du secteur informel : une analyse critique
La vitalité du secteur informel se mesure d’abord à sa croissance brute. Entre 1999 et 2023, le nombre d’UPI a connu une progression constante, passant de 1,23 million à 2,03 millions, avec une accélération marquée de 26% sur la dernière décennie.

Cependant, cette expansion numérique masque une réalité plus nuancée : le rythme de la création d’emplois dans le secteur informel s’essouffle. Alors que la période 1999-2007 a connu la création de 315 000 emplois informels nets, ce chiffre a été divisé par deux sur les périodes suivantes, pour s’établir à 157 000 entre 2013 et 2023. Cette décélération traduit une perte d’attractivité structurelle.

Le ratio d’emplois par UPI, véritable baromètre de sa capacité d’entraînement, passe de 1,55 en 1999 à 1,25 en 2023. Le secteur informel continue de croître, mais ses unités sont de plus en plus petites, atomisées, et leur capacité à absorber la main-d’œuvre se réduit.

Défi de la productivité et sentiers de la formalisation
La contribution du secteur informel à la richesse nationale demeure modeste, plafonnant à 13,6% de la valeur ajoutée non agricole. Cette part limitée est le symptôme d’une pathologie plus profonde : un déficit en termes de productivité. C’est ici que se trouve le nœud gordien du problème, celui qui entrave la montée en gamme de l’économie marocaine. L’évolution de la productivité du travail sans le secteur informel raconte une histoire de progrès réel mais insuffisant. Après un bond significatif de 36% entre 2007 et 2013, la croissance a ralenti pour s’établir à 26% sur la dernière décennie. Ce ralentissement interpelle lorsqu’on le met en perspective avec le secteur formel. Sur la période 2013-2023, la productivité du secteur formel a grimpé de 40%. L’écart ne cesse de se creuser, dessinant les contours de deux secteurs qui avancent à des rythmes différents. Cet argument économique est sans doute un argument de taille pour justifier une stratégie volontariste de formalisation : le potentiel de création de valeur est bien plus grand dans le secteur formel.

Vers la formalisation : dynamiques à amplifier et recommandations de politique publique
Face à ce défi structurel, une convergence d’initiatives récentes pourrait changer la donne. Trois réformes majeures constituent les leviers d’une possible transformation : le socle de l’INDH. Vingt ans d’action sur le terrain ont permis de bâtir un capital de confiance et d’accompagner des milliers d’initiatives locales vers des dispositifs plus structurés.

La révolution de la protection sociale : la généralisation de l’accès aux droits sociaux (santé, retraite) crée, pour la première fois, une incitation positive et tangible à l’enregistrement. L’accélérateur de la digitalisation fiscale : la mise en place de la facturation électronique promet de renforcer la transparence et d’intégrer les petites unités dans les flux économiques formels.

Ces trois leviers ouvrent une fenêtre d’opportunité historique pour réinventer la relation entre l’État et les UPI. La formalisation ne saurait être un décret. Elle doit être une proposition de valeur. Pour que la transition réussisse, elle devra s’articuler autour d’une approche holistique, combinant trois piliers : – La simplification administrative, ce qui suppose d’offrir des statuts juridiques souples et un accès facilité à l’enregistrement via des plateformes numériques et des guichets de proximité.
– L’appui financier. Il s’agit ici de développer des instruments financiers innovants, comme le microcrédit adapté, la bancarisation digitale et la limitation de l’utilisation du cash, pour rompre le cercle vicieux de l’autofinancement.
-La montée en compétences. Généraliser des programmes de formation ciblés et accompagner la transition digitale pour permettre à ces unités de gérer, vendre et croître plus efficacement.

L’enjeu est de taille : il s’agit de transformer un secteur de subsistance en un écosystème d’entrepreneurs, et de faire en sorte que le secteur informel se formalise et puisse enfin se muer en un moteur de développement durable et d’emploi décent pour tous.



Informel : derrière les chiffres du HCP


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