Cinéma : le “Blitz” de Steve McQueen, un enfant sous les bombes
Le cinéaste oscarisé de «12 Years a Slave» revient cette semaine sur les écrans avec une fiction historique. En pleine Seconde Guerre mondiale, un petit garçon traverse Londres à la recherche de sa mère, sous les bombardements.
Il ne faut pas confondre le réalisateur britannique Steve McQueen avec son illustre homonyme et acteur américain des années 60 et 70. Ce Steve McQueen apparaît comme l’un des piliers de la nouvelle génération de cinéastes planétaires. Il a remporté un Oscar du meilleur film en 2014, pour son «12 Years a Slave», sur l’esclavage, et, avant cela, la Caméra d’or au Festival de Cannes de 2008, ainsi que le BAFTA du meilleur espoir britannique en 2009, pour «Hunger», sur le conflit en Irlande et la grève de la faim du prisonnier Bobby Sands. Il revient cette année avec «Blitz», dans une Angleterre sous les bombardements nazis, en 1940 et 41.
Restranscrire une expérience de la guerre d’Irak
L’envie de faire un tel film le tenait depuis 2003. Il avait été officiellement nommé «artiste de guerre», ce qui lui avait permis de se rendre en Irak avec l’armée britannique, mais comme observateur. Comprenant vite qu’il ne pourrait pas filmer ce qu’il voudrait, il préfère tourner cette année-là «Hunger», sur l’Irlande du Nord. C’est une photo d’archives, prise pendant la Seconde Guerre mondiale, qui sera le déclencheur de «Blitz».
L’image montre un enfant noir sur un quai de gare, au moment où le gouvernement évacuait les enfants de Londres. McQueen, qui travaille sérieusement, entame alors un travail de recherche documentaire dont la qualité est l’une des marques de fabrique pour chacun de ses films. Mais il tient son sujet, qui va lui permettre de dire enfin ce que son expérience vécue de la guerre d’Irak lui avait inspiré. Il va faire un récit de guerre, mais de la guerre au quotidien, chez les civils. Un récit où la caméra se tient à la hauteur des yeux d’un enfant de neuf ans.
La trame est simple à résumer : le petit George, remarquablement joué par le jeune Elliott Heffernan, va désobéir et s’échapper pendant son évacuation. Il va traverser Londres sous les bombes pour tenter de retrouver sa mère Rita, impeccable Saoirse Ronan, ouvrière dans une usine de munitions, ainsi que son grand-père, joué par Paul Weller. Ce dernier n’est pas un acteur professionnel, mais une figure phare de la scène punk puis de la pop britannique. La génération X se souviendra des groupes The Jam et The Style Council.
Ce rôle de retraité jouant sur le piano de sa petite maison de cité ouvrière pour réchauffer sa famille pourrait sembler le couronnement d’une carrière aussi réussie qu’intègre. Steve McQueen aime le grand écran. Mais il a confié au journal français «Télérama», du 27 novembre, qu’évoquer la vie d’une mère célibataire et son enfant métis pendant la dernière guerre mondiale n’intéressait pas les grands studios. Trop occupés avec les super-héros et les franchises à rallonges, peut-être. C’est pourquoi McQueen s’est tourné vers une plateforme de streaming, Apple TV+ en l’occurrence, qui a pris la peine de sortir le film dans certaines salles américaines et européennes malgré tout, avant de le mettre en ligne. Merci le streaming.
Récit d’apprentissage
La narration, fluide, traverse une série de tableaux, chacun porteur d’un thème particulier : la vie à l’usine, les abris du métro (évidemment récurrents), les affaires de cœur au pub, les pillards du petit jour (tout droit sortis d’un roman de Dickens)… Quelques critiques s’en plaignent, toutefois l’exercice peut être jugé réussi. Le racisme est évidemment présent, apparaissant comme par surprise, au détour d’une réplique ou d’un geste. Jamais laissé sans réponse, il y a toujours, ou presque, un autre personnage pour y réagir. Steve McQueen s’appuie sur les travaux de Joshua Levine, qui lui avait «expliqué à quel point Londres était déjà multiculturelle à l’époque. Les cinéastes ont longtemps choisi de ne pas le montrer, tout comme ils ont longtemps minoré le rôle des femmes durant la guerre».
Or, «elles étaient la colonne vertébrale du pays», insiste-t-il. L’épine dorsale de la résistance et de la résilience de la patrie de Churchill, donc. Parmi les pépites du film, il faut souligner la brève scène (McQueen ne fait pas un tire-larmes) où l’administration, qui a perdu l’enfant, en fait le reproche à sa mère, en bleu de travail dans son usine. La violence du mépris n’a d’égal que le courage de la mère révoltée. Il y a ainsi quelque chose des contes de Grimm qui avaient des côtés sombres, mais adaptés aux enfants.
Le réalisateur précise que c’était l’une de ses références pour travailler la lumière du film. Si les monstres ne relèvent nullement de l’imaginaire, hélas, c’est bien un récit d’apprentissages. L’apprentissage d’un enfant, mais aussi celui d’un pays tout entier. La scène d’ouverture du film, admirable, met en scène des pompiers dépassés, qui doivent dompter une lance d’incendie qui leur a échappé.
Au-delà du clin d’œil au gag de l’«arroseur arrosé», fondateur du cinématographe, McQueen annonce ainsi qu’il montre l’héroïsme — véridique — des Britanniques sous le Blitz, pris par un angle réaliste : «Il ne s’agit pas seulement de combattre l’ennemi, mais de gagner contre soi-même». Or, montre-t-il pour une fois à l’écran, la société britannique, comme toutes les sociétés en guerre, n’était pas unie comme une bande de personnages de Walt Disney. Les conflits de classes, de sexisme et de racisme(s) continuaient. La force de la victoire des Alliés, en 1945, aura sans doute été d’avoir pu les surmonter, dans leurs métropoles respectives. Aujourd’hui comme hier, malheureusement, quoi de plus universel que le récit de vie d’un enfant sous les bombes ?
Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO