Karim Bouamrane : “Ici je suis respecté”

Karim Bouamrane
maire de Saint-Ouen-sur-Seine (France)
En marge des concerts envoûtants, la 12e édition du Forum des droits humains du Festival Gnaoua a réuni intellectuels et artistes autour des mobilités et des identités en mouvement. Deux jours pour penser la migration autrement, entre création, mémoire et citoyenneté.
Quel rôle le festival Gnaoua peut-il jouer dans la promotion d’un soft power culturel qui rayonne au-delà des frontières africaines ?
Quand je vais à Rio ou quand je suis à Los Angeles ou quand je me promène en Europe, encore une fois j’insiste, rares sont les fois où je vois et je ressens ce que j’ai vu hier et ce que je vois aujourd’hui. C’est-à-dire qu’il y a toute une génération de responsables politiques, économiques, culturels, français, dont les parents sont issus de l’immigration, qui étouffe.
Raoul Peck l’évoquait dans son livre «J’étouffe», ils étouffent ! Et soit nous considérons que cette génération-là peut apporter une bouffée d’air, d’oxygène, pour faire en sorte que la France, qui est un grand pays, continue à être un grand pays, ou soit nous nous enfermons et nous nous renfermons. Et la culture joue un rôle extrêmement important.
Vous dites avoir vécu un moment particulièrement marquant durant la cérémonie d’ouverture du festival. Qu’est-ce qui vous a le plus touché ?
Hier, c’était un exemple de panafricanisme. Que ce soit les origines des artistes, que ce soit le profil des spectateurs et des spectatrices, des hommes, des femmes, des blancs, des noirs, des notables, des pauvres, nous avons tout vu avec une énergie et un projet, un projet partagé qui était «Nous sommes heureux d’être ensemble », «Nous sommes heureux de partager ça». Bon, ce n’est pas ça la culture ? Ce n’est pas ça le rôle des politiques ? Améliorer la vie des gens, contribuer à sauver la vie des gens, contribuer au travers des émotions, donner de l’espoir aux jeunes ? Nous avons parlé des visas, car oui, ils en ont marre de demander des visas. Ils demandent le respect. C’est ce que j’ai dit. Tintin au Congo, c’est fini. Et c’est pour ça que j’étais particulièrement ému et touché, vraiment dans ma chair.
Lors du débat, vous avez évoqué le fait que vous étiez perçu différemment ici qu’en France. Qu’avez-vous voulu dire par là ?
Ici, je suis respecté. En France, je suis respecté, mais les opposants ne s’opposent pas, souvent ils manquent de respect. Ils manquent de respect parce qu’ils nous assignent à des résidences intellectuelles où ils nous essentialisent. Ici, nous ne sommes pas essentialisés, nous sommes considérés comme un responsable politique français, marocain en plus, et donc la discussion, elle est politique. Vos questions, elles sont politiques. C’est pour ça que je vous respecte.
Parce que vous nous respectez, vous me respectez. Je n’ai pas répondu à une seule question essentialisante sur mes origines sociales, votre père ouvrier, nous ne parlons pas de ça ici.
Quel est votre rapport personnel au Maroc, en tant que Franco-Marocain ?
Je suis français, je suis français marocain. Mais mon pays où j’ai grandi, ma ville, c’est Saint-Ouen, c’est là où je suis maire. Je n’ai pas le mythe du retour, j’ai la chance d’être biculturel. Moi le Maroc je le connais, c’est Casablanca pour moi, c’est le Raja, c’est les quartiers populaires de Casablanca.
Parce que chaque été j’allais là-bas et j’ai mes amis, mais ma ville, mon pays où je suis né, c’est Saint-Ouen, c’est la France. Donc c’est pour ça que moi je ne suis pas un MRE, ce sont mes parents qui le sont. Moi je suis un Français et je suis un Marocain. Nous sommes une nouvelle génération et j’assume ma double culture. Je suis 100 % français, 100 % marocain.
Et comment percevez-vous cette tendance de jeunes Franco-Marocains qui choisissent aujourd’hui de s’installer au Maroc ?
Ceux qui veulent venir, la troisième génération, ce n’est pas un retour. Ce n’est pas le même phénomène que l’Alya (immigration des Juifs en Palestine, particulièrement durant la période du mandat britannique et après la création de l’État d’Israël, NDLR) que nous pouvons voir avec la communauté juive, où c’est un retour entre guillemets spirituel.
Non, c’est tout simplement, ils se disent qu’ils se sentent bien au Maroc. Moi, mes enfants connaissent le Maroc uniquement au travers des vacances. Mais ils me disent, ma fille a passé un an ici, mon fils veut venir étudier en troisième cycle à Rabat. Mais parce qu’ils me disent, «papa c’est ici que ça se passe», tout simplement.
Et nous avons la chance de pouvoir bénéficier de la nationalité marocaine. Mais c’est une puissance, c’est une richesse. C’est ça surtout. C’est là que ça se passe. Nous sommes heureux d’être là.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO