Endettement du Trésor : plus de dette, moins de croissance
Pour compenser une croissance atone et un déficit chronique, l’endettement s’est imposé au fil des années comme un moteur discret de l’économie, au prix d’une fragilité budgétaire croissante.
Ce n’est ni l’élan d’une croissance économique atone, ni une dynamique budgétaire fragile qui soutiennent les finances publiques. Dans un contexte où les déficits s’accumulent et les ressources fiscales peinent à suivre, le recours à l’endettement est devenu une constante. Un constat corroboré par le recours permanent à l’endettement comme levier essentiel de financement pour l’État.
Avec une croissance plafonnant à 2,4% en 2023 et des besoins de financement représentant 11% du PIB, le Maroc poursuit une stratégie qui, bien que nécessaire pour répondre aux impératifs immédiats, soulève des interrogations croissantes sur la soutenabilité des finances publiques à moyen et long terme.
En effet, la dette publique s’est élevée à 1.020 milliards de dirhams en 2023, soit 73,4% du PIB, selon les données de Bank Al-Maghrib. Cette progression de 7,2% par rapport à l’année précédente reflète un déséquilibre structurel entre recettes et dépenses. La prédominance de la dette domestique (75% de l’encours total) réduit certes les risques liés aux fluctuations des marchés internationaux, mais elle exerce une pression accrue sur les ressources internes, limitant ainsi l’accès au financement pour le secteur privé.
Cet effet «d’éviction» freine la dynamique de l’investissement, élément pourtant crucial pour relancer une économie sous-performante. La charge d’intérêts, qui mobilise désormais 12% des recettes fiscales, illustre le poids croissant de cette dépendance à l’endettement.
Selon les prévisions du Projet de loi de finances (PLF) 2025, sur un budget total de 608 milliards de dirhams, 44% seront consacrés aux dépenses de fonctionnement et 29% à la masse salariale, ne laissant que 16% à l’investissement.
Cette allocation budgétaire met en lumière un arbitrage difficile entre le maintien des services publics essentiels et les investissements indispensables pour stimuler une croissance à long terme. Les recettes fiscales, bien qu’en hausse attendue de 11,8% en 2025, reposent encore largement sur les taxes indirectes, qui représentent près de 60% des revenus de l’État. Ce mode de prélèvement, jugé régressif, pèse de manière disproportionnée sur les ménages à revenus modestes et limite la capacité de l’État à diversifier ses sources de financement.
La structure de la dette marocaine offre des points de résilience non négligeables. Avec environ 80% de son encours détenu sur le marché domestique, le pays limite son exposition aux risques de change et aux fluctuations de la confiance des investisseurs internationaux.
Cette configuration permet également au Trésor de sécuriser des conditions de financement stables auprès des banques locales, tout en garantissant la liquidité nécessaire pour couvrir les besoins budgétaires. Néanmoins, la part extérieure de la dette, représentant environ 20% du total, exige une vigilance accrue, notamment face au renchérissement du dollar américain et à la hausse des coûts d’emprunt sur les marchés internationaux.
Sur le plan international, la gestion de cette dette extérieure s’inscrit dans une approche prudente et différée. Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib, a récemment défendu l’idée d’un report des emprunts extérieurs, estimant que des conditions plus favorables pourraient se dessiner avec les baisses attendues des taux directeurs de la BCE et de la Fed. «Plus on attend, mieux c’est», a-t-il déclaré, insistant sur la nécessité d’optimiser les coûts d’endettement tout en renforçant la crédibilité du pays grâce à des outils comme la ligne de crédit modulable du FMI. Cela dit, cette approche différée ne règle pas les déséquilibres fondamentaux. Comme l’explique Oussama Ouassini, expert en analyse financière, «pour que la dette soit soutenable, il faut viser un taux de croissance d’au moins 8%.
Or, actuellement, la charge de la dette grignote près de 4% de la croissance économique, réduisant considérablement les marges de manœuvre». Cette observation met en lumière l’urgence d’une réforme économique pour éviter que l’endettement ne devienne un obstacle insurmontable à la souveraineté financière du pays. Bank Al-Maghrib, dans son dernier rapport, insiste sur la nécessité de recentrer les dépenses publiques sur des projets à forte valeur ajoutée, tout en rationalisant les charges courantes.
Par ailleurs, la nouvelle Charte de l’investissement, qui encourage une répartition équilibrée entre les contributions publiques et privées, pourrait représenter une solution pour mobiliser les ressources nécessaires sans alourdir le fardeau de la dette.
À ce stade, la soutenabilité de la dette repose sur un équilibre fragile. Si sa dimension domestique offre une certaine résilience, les économistes s’accordent à dire que seules une réforme fiscale, une gestion rigoureuse des dépenses et une implication accrue du secteur privé permettront de préserver cet équilibre, au risque de sombrer dans un engrenage de la dette.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO