Bancarisation : l’objectif des 75% se précise

Avec 58% de la population adulte disposant d’un compte bancaire en 2024, le Maroc confirme la dynamique engagée en matière d’inclusion financière. Une progression lente mais continue, portée par une stratégie nationale ambitieuse et des leviers ciblés. Mais derrière les chiffres, des défis persistent.
Il y a encore cinq ans, seul un Marocain adulte sur deux disposait d’un compte bancaire. En 2024, ils sont 58%. Ce chiffre, publié dans le tableau de bord annuel de Bank Al-Maghrib, traduit une progression de quatre points en un an.
«C’est l’une des évolutions les plus significatives enregistrées depuis le lancement de la Stratégie nationale d’inclusion financière (SNIF)», note un expert du secteur bancaire. À ce rythme, l’objectif de 75% à l’horizon 2030 semble atteignable, à condition de maintenir la dynamique.
Une dynamique soutenue par la jeunesse et les femmes
Le profil des nouveaux bancarisés illustre bien ce mouvement. En 2024, plus de 883.000 Marocains ont ouvert un compte bancaire pour la première fois. Ce chiffre dépasse les niveaux de 2023, et souligne l’attractivité croissante des services financiers, notamment chez les jeunes.
Selon Bank Al-Maghrib, 55% des nouveaux clients ont moins de 25 ans, et 45% sont des femmes. Ces données confirment l’efficacité des efforts de ciblage des segments historiquement sous-représentés. Le virage est d’autant plus notable qu’il intervient dans un contexte de révision démographique. Le dernier Recensement général de la population (RGPH 2024) a réduit la population adulte résidante de 28,2 à 26,8 millions, réévaluant mécaniquement les taux de pénétration.
«C’est un ajustement méthodologique important, mais au-delà du calcul, la réalité est que la bancarisation progresse, portée par les moins de 25 ans et les femmes actives», souligne un analyste.
Pour lui, la politique publique produit des effets mesurables sur les comportements, notamment grâce à l’entrée en scène des fintechs et au développement du mobile money.
Un écosystème qui s’étoffe, mais reste à équilibrer
En 2024, le Royaume comptait 38,2 millions de comptes ouverts, pour 19,1 millions de personnes détentrices d’au moins un compte bancaire. Parmi elles, 47% ne détiennent qu’un seul compte, et 11% en possèdent quatre ou plus. La majorité des comptes (64%) sont des comptes chèques, suivis des comptes sur carnet (30%), alors que les comptes à terme restent très minoritaires. Derrière ces chiffres, les spécialistes observent encore une bancarisation d’usage limité.
«L’ouverture d’un compte n’implique pas toujours un usage actif. Beaucoup de comptes sont dormants ou utilisés uniquement pour recevoir des aides sociales ou des virements ponctuels», confie un cadre bancaire.
Autre limite, les écarts structurels. Si 70% des hommes adultes disposent d’un compte bancaire, ce taux n’est que de 46% chez les femmes. Et si la tranche des 25–30 ans est la mieux bancarisée (82% pour les hommes), les jeunes et les ruraux restent en retrait, malgré les objectifs affichés par la SNIF de réduire les écarts à moins de 20 points d’ici 2030.
Une stratégie pilotée et ajustée
Pour accompagner cette progression, la SNIF s’appuie sur plusieurs leviers, à savoir le paiement mobile, la microfinance, l’éducation financière et la densification des points d’accès. L’objectif est d’atteindre 74.000 points d’accès financiers d’ici 2030, contre 43 300 visés en 2023 et 26 771 en 2021. L’introduction des portefeuilles mobiles (M-wallets) a été un jalon important, bien que l’usage reste timide.
«La pénétration est réelle, mais l’usage est encore marginal. Il manque une impulsion sur l’éducation financière et la simplicité des interfaces», estime un analyste.
La dématérialisation des aides publiques, à l’image du programme Tayssir, a démontré qu’un usage ciblé et encadré pouvait effectivement servir de levier à l’ouverture de comptes bancaires chez les publics jusque-là exclus. L’éducation financière joue ici un rôle central.
Selon un observateur, les actions de sensibilisation doivent s’adapter aux publics visés, «il ne suffit pas d’ouvrir un compte ou de télécharger une application. Il faut créer de la confiance, lever les freins culturels et pratiques» estime-t-il.
Une transition encore inachevée
Cette dynamique d’inclusion ne doit toutefois pas masquer une autre réalité, le nombre total de comptes bancaires nouvellement ouverts a enregistré une baisse de 6,1% en 2024, à 3,1 millions. Un repli qui peut paraître contre-intuitif, alors même que le nombre de nouveaux clients bancarisés, lui, a progressé.
En réalité, cette apparente contradiction s’explique par une évolution des comportements, les Marocains ouvrent moins de comptes multiples, souvent pour des raisons de rationalisation des frais ou de simplification de la gestion financière.
En parallèle, les banques semblent moins enclin à multiplier les ouvertures annexes chez leurs clients existants. Ce tassement ne remet donc pas en cause la progression de la bancarisation, mais souligne plutôt une phase de consolidation du portefeuille client et une maturité croissante de l’écosystème.
En tout cas, la généralisation de la facture électronique, prévue par la loi de finances 2024, et la digitalisation des services publics constituent les prochains catalyseurs identifiés. Mais leur succès dépendra de la capacité des banques, des établissements de paiement et des pouvoirs publics à co-construire des parcours utilisateurs simples, sûrs et à faible coût. Car l’objectif des 75% ne saurait être atteint par la seule dynamique d’ouverture de comptes. Il suppose une transformation de l’usage bancaire et une réduction des inégalités structurelles.
«C’est le vrai défi des prochaines années de passer de la bancarisation quantitative à une inclusion qualitative, avec des produits adaptés, des frais transparents et une vraie proximité, surtout dans les zones rurales», conclut un expert indépendant en finance inclusive.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO