Gestion de patrimoine : l’Asfim explore des pistes pour dynamiser l’épargne nationale
Malgré une décennie de croissance, l’épargne financière peine à s’imposer comme un véritable levier de développement du Royaume, freinée par des défis structurels et des disparités régionales qui limitent son impact.
Au sortir d’une période de forte pression sur les prix, un bilan sur la gestion de patrimoine s’impose. Les défis économiques actuels rendent nécessaire une réévaluation des pratiques d’épargne et d’investissement pour mieux préparer l’avenir.
Cette problématique a été au centre de la conférence organisée par l’Association des sociétés de gestion et fonds d’investissement marocains (ASFIM), placée sous le thème : «Catalyser l’épargne nationale et stimuler la croissance».
Un thème révélateur des ambitions du secteur financier, mais qui expose également les faiblesses structurelles de l’épargne au Maroc, accentuées par la récente hausse du coût de la vie. Si l’épargne nationale a connu une progression notable, en particulier dans le domaine de l’épargne financière, elle reste insuffisante pour répondre aux besoins d’une économie en quête de financements pérennes.
Leviers de financement
Cette progression cache cependant des disparités dans la composition de l’épargne, où les différents types de placements ne contribuent pas de manière égale au développement économique. En cause, l’abondance de l’épargne financière, estimée à environ 700 milliards de dirhams, est constituée de comptes d’épargne et de dépôts à vue. Elle répond à une logique de disponibilité immédiate et de sécurité pour les ménages, en particulier, dans un contexte d’incertitude économique.
Selon Mounya Dinar, directrice du Pôle Marchés des capitaux, Finances et Contrôle de gestion au sein d’Al Barid Bank, cette épargne liquide, «bien qu’importante, est en appréciation du fait de l’augmentation de la circulation du cash, qui a progressé de 11% entre 2019 et 2022, contre un rythme de progression de l’ordre de 6% enregistré auparavant», une tendance qui freine la mobilisation de l’épargne pour des investissements productifs, d’autant que ce capital liquide alimente parfois l’économie informelle.
S’ajoute l’épargne investie, représentée par les placements dans les Organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), les actions et autres produits de marchés. Ce type de placement constitue un levier de financement pour l’économie (les OPCVM se positionnent en acteurs majeurs sur le marché obligataire, avec plus de 310 milliards de dirhams en titres émis ou garantis par l’État), mais elle reste minoritaire et cantonnée aux segments de la population les plus à l’aise financièrement et concentrée principalement dans les grandes agglomérations.
«Le rôle des OPCVM en matière de mobilisation de l’épargne est amené à se renforcer avec l’adoption prochaine d’un nouveau cadre législatif et réglementaire les régissant ainsi que leurs sociétés de gestion», fait savoir Nezha Hayat, présidente de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC).
Vient ensuite l’épargne retraite (PER) qui culmine à près de 210 milliards de dirhams et qui bien que bénéficiant d’avantages fiscaux n’est accessible qu’à une minorité de la population.
«L’épargne retraite demeure un produit de niche pour les catégories intermédiaires et aisées, excluant ainsi une grande partie des ménages marocains, en particulier en milieu rural», précise la directrice du Pôle Marchés des capitaux, Finances et Contrôle de gestion au sein d’Al Barid Bank.
Conjoncture inflationniste
Si de nombreux observateurs présents à la conférence soulignent que le taux d’épargne nationale, avoisinant les 12% du revenu disponible brut, reste bien en deçà des standards européens ou asiatiques, il faut dire que les perspectives s’annoncent encourageantes, malgré les aléas économiques auxquels elle a dû faire face ces dernières années.
La pandémie de Covid-19, les sécheresses récurrentes et, plus récemment, une inflation exacerbée depuis 2022, ont lourdement pesé sur la capacité d’épargne des ménages. La conjoncture inflationniste, en particulier, a comprimé les revenus, réduisant les possibilités d’épargne, surtout pour les classes moyennes et les ménages à faible revenu.
Disparités régionales
Mais en s’y penchant de plus près, les raisons de ce faible taux d’épargne sont multiples. À commencer par la faible capacité financière des ménages à assurer un niveau d’épargne stable. Dans un contexte de précarité de l’emploi, beaucoup peinent à constituer une épargne, n’ayant pas les moyens de contribuer régulièrement à des produits financiers de long terme. A quoi s’ajoute un maillage bancaire qui reste inégal au Maroc, notamment en zones rurales où l’accès aux services financiers est limité.
«Les ménages ruraux sont souvent exclus des produits d’épargne, faute de proximité avec le réseau bancaire», souligne Mounya Dinar.
À cette dimension structurelle s’ajoutent des disparités régionales notables. Les grandes métropoles, telles que Casablanca et Rabat, concentrent une grande part de l’épargne investie et de l’épargne retraite, tandis que les régions plus enclavées restent majoritairement centrées sur l’épargne liquide et parfois sur l’épargne informelle. Pourtant, l’expérience européenne offre des enseignements clés pour repenser l’épargne comme levier de croissance.
Dans les pays où l’investissement privé est relativement bien ancré, comme aux Pays-Bas ou en Suède, l’implication des ménages dans les marchés financiers se traduit par une meilleure allocation des ressources vers l’économie réelle. Ce contraste révèle le rôle central de l’éducation financière et des incitations fiscales ciblées, alors que les pays moins investis, tels que la Grèce ou le Portugal, souffrent d’un modèle d’épargne essentiellement bancaire et d’une forte dépendance aux pensions publiques.
Or, le vieillissement démographique et le «pension gap» croissant exigent des États membres une approche proactive pour inciter les particuliers à diversifier leur épargne.
«Le risque aujourd’hui est de ne pas prendre de risque et de se cantonner aux comptes bancaires», admet Tanguy Van De Werne, directeur général du fond européen EFAMA.
Investir, loin d’être réservé aux revenus modestes, doit s’imposer comme une pratique accessible, portée par des conseils financiers de proximité. S’inspirer de ces stratégies permettrait au Royaume de construire une culture d’épargne plus dynamique, à même de contribuer à rendre l’épargne plus résiliente, inclusive et orientée vers le développement économique du pays.
Mounya Dinar
Directrice du Pôle Marchés des capitaux, Finances et Contrôle de gestion au sein d’Al Barid Bank
«Les ménages ruraux sont souvent exclus des produits d’épargne, faute de proximité avec le réseau bancaire».
Près de 660 milliards de dirhams d’actifs en gestion
L’industrie marocaine de la gestion d’actifs franchit un cap historique avec près de 660 milliards de dirhams d’actifs sous gestion, soit une progression de plus de 130 milliards de dirhams au cours des 18 derniers mois. Ce montant, représentant près de 45% du PIB national, illustre la dynamique de l’épargne marocaine et l’engagement accru des investisseurs institutionnels, des entreprises et des ménages. Les institutionnels ont, en effet, augmenté leurs placements de 76 milliards de dirhams, les entreprises de 27 milliards, et les ménages de près de 10 milliards, affirmant le secteur comme un pilier stratégique pour diversifier les sources de financement de l’économie.
En 2024, cette liquidité s’est matérialisée par un volume d’opérations de près de 2.000 milliards de dirhams, un quart étant orienté vers des actifs monétaires avec un taux de rotation supérieur à 100%. Les Organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) se positionnent en acteurs majeurs sur le marché obligataire, détenant plus de 310 milliards de dirhams en titres émis ou garantis par l’État.
L’industrie consolide aussi sa présence dans le secteur privé avec 198 milliards de dirhams en dette privée. À la Bourse de Casablanca, elle pèse plus d’un tiers des volumes échangés et participe à 50% des levées de fonds. Cette performance confirme le rôle clé de la gestion d’actifs dans le financement de l’économie nationale, en phase avec les ambitions de croissance durable pour les années à venir.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO