Microfinance : ce que changera le nouveau décret pour les limites du crédit et de l’épargne

L’ère du microcrédit artisanal est-elle révolue ? Découvrez comment le nouveau cadre réglementaire positionne les IMF-SA en pivots incontournables du financement des PME émergentes, avec des enveloppes multipliées par six. Détails.
Un projet de décret fixant les montants maximums des micro-crédits et des fonds reçus par les institutions de microfinance (IMF) est sur la table du ministre de l’Économie et des Finances. Celui-ci marque une étape significative dans l’évolution du secteur de la microfinance au Maroc.
Ce texte, préparé en application de la loi n°50-20 sur la microfinance, introduit des plafonds différenciés qui auront des répercussions directes sur plusieurs acteurs du secteur, des IMF aux micro-entrepreneurs en passant par les épargnants. Analysons les implications concrètes.
Une structuration accrue des plafonds de crédit
Le projet de décret opère une distinction fondamentale entre les institutions de microfinance (IMF) selon leur statut juridique et leur agrément, répondant ainsi à la diversité croissante du paysage de la microfinance.
Pour les IMF associatives ciblant les personnes à revenus faibles, trois paliers de micro-crédit sont établis :
50.000 DH pour financer la création ou le développement d’activités de production ou de services visant l’insertion économique de base ; 100.000 DH destinés à l’acquisition, la construction ou l’amélioration du logement, ainsi qu’aux assurances et installations électriques ou d’eau potable, reconnaissant explicitement les besoins non-productifs des populations vulnérables ; et 150.000 DH pour soutenir les activités économiques des bénéficiaires engagés dans une démarche de formalisation ou relevant du secteur agricole, comme l’attestent leur inscription au registre de commerce, leur statut d’autoentrepreneur, leur assujettissement à la taxe professionnelle, leur appartenance à une coopérative ou leur qualité de petit agriculteur.
Ainsi, ce seuil plus élevé pour les activités structurées ou agricoles constitue une incitation forte à la formalisation et vise à soutenir la croissance des très petites entreprises déjà identifiées.
En parallèle, pour les IMF structurées en sociétés anonymes et agréées comme établissements de crédit, un plafond unique de 1,2 million de dirhams est fixé. Un montant, bien plus substantiel que ceux accordés par les associations, qui positionne clairement ces IMF-SA comme des acteurs capables de financer des PME émergentes, comblant ainsi un vide entre la microfinance traditionnelle et la banque classique, marquant une évolution stratégique vers le financement des petites et moyennes entreprises.
Du nouveau dans le plafonnement des fonds reçus
L’article 2 du projet de décret introduit une nouveauté majeure en définissant des montants maximums pour les fonds que les IMF-SA peuvent recevoir de leurs clients, une dimension absente du précédent décret n°2.19.575. Une mesure qui vise à gérer les risques liés à la collecte de l’épargne et à la concentration des dépôts.
Le plafond est fixé à 2 millions de dirhams pour les personnes à revenu faible et les activités génératrices de revenus non formalisées, permettant de capter des liquidités significatives au sein de l’économie informelle tout en sécurisant les transactions.
Pour les activités formelles, les autoentrepreneurs et les coopératives, le seuil s’élève à 10 millions de dirhams, offrant à ces entités structurées une capacité de dépôt substantielle auprès d’IMF spécialisées. Un plafond relativement élevé qui est un signal fort adressé aux petites entreprises structurées et aux coopératives, leur offrant la possibilité de déposer des fonds importants auprès d’institutions potentiellement plus accessibles et adaptées à leurs besoins opérationnels que les banques traditionnelles.
Enfin, un plafond spécifique de 400.000 DH est appliqué aux comptes d’épargne individuels, mesure dont l’analyse des risques des IMF relève qu’elle est cruciale pour la protection des déposants et la gestion du risque de liquidité des institutions, tout en restant à un niveau significatif pour encourager l’épargne formelle des populations cibles. L’enjeu étant d’assurer un équilibre entre sécurité financière et incitation à l’épargne.
Ce qui change pour les acteurs économiques : impacts concrets
Disons que le projet de décret modifie substantiellement les perspectives des différents acteurs de l’écosystème financier marocain. Pour les IMF Associatives, les capacités de prêt sont non seulement rehaussées – avec un plafond porté à 150.000 DH contre 120.000 DH auparavant pour les activités structurées ou agricoles – mais surtout mieux segmentées selon le profil des bénéficiaires et la finalité du crédit. Une différenciation qui leur permet d’affiner leur offre et de répondre aux besoins évolutifs de leur clientèle, particulièrement ceux engagés dans la formalisation ou le secteur agricole, tandis que la reconnaissance explicite du financement non-productif via un plafond dédié de 100.000 DH pour le logement et les équipements essentiels comble une lacune historique.
Pour les IMF-SA, le changement relève d’un véritable saut stratégique. Le plafond de crédit est multiplié par six (1,2 million de dirhams contre environ 200.000 DH antérieurement), ouvrant radicalement l’accès des petites et très petites entreprises (TPE/PME) à des financements structurants pour leur développement ou équipement.
Comme l’analyse un acteur du secteur, «ce saut transforme ces institutions en leviers incontournables du financement intermédiaire entre la microfinance traditionnelle et la banque classique».
Parallèlement, les nouveaux plafonds sur les fonds reçus imposent une discipline renforcée de gestion des risques et de segmentation clientèle, tout en leur offrant un cadre légal pour collecter des dépôts substantiels auprès des entreprises formelles (jusqu’à 10 millions de dirhams). Pour les micro-entrepreneurs et personnes à revenus faibles, les implications sont différenciées selon le canal emprunté.
Auprès des associations, l’accès à des crédits plus conséquents (150.000 DH pour les activités structurées, 100.000 DH pour le logement) est facilité, érigeant la formalisation (statut d’autoentrepreneur, inscription au registre de commerce) ou l’activité agricole en véritable «passeport» vers des financements adaptés. Auprès des IMF-SA, les entrepreneurs formels, autoentrepreneurs et coopératives bénéficient d’un double avantage : des crédits allant jusqu’à 1,2 million de dirhams et la possibilité de déposer jusqu’à 10 millions de dirhams, renforçant ainsi leur inclusion financière et leur maîtrise de la trésorerie.
Comme le souligne notre contact, «cette dualité crédit-dépôt accroît considérablement leur autonomie opérationnelle dans des institutions souvent plus proches de leurs réalités que les grandes banques».
Les épargnants individuels voient leur sécurité renforcée par un plafond de 400.000 DH sur les comptes d’épargne dans les IMF-SA, même si cela limite les dépôts très élevés. Enfin, les activités informelles, bien qu’exclues des crédits élevés des IMF-SA réservés aux entités formalisées, accèdent désormais à des services sécurisés de dépôt (plafonnés à 2 millions de dirhams), réduisant leur dépendance à l’économie non-bancarisée.
Flexibilité future et abrogation
Le projet prévoit une possibilité de révision des seuils par décret ultérieur (Article 3), offrant une nécessaire flexibilité pour s’adapter aux évolutions économiques et sectorielles. Il abroge explicitement le décret n°2.19.575 du 7 août 2019 (Article 4), entérinant ainsi une mise à jour complète du cadre réglementaire des plafonds.
C’est le lieu de souligner que le rôle du ministère de l’Économie et des Finances est d’abord juridique et validateur par le contreseing, rendant possible la signature du décret par le Chef du gouvernement. Son rôle est ensuite opérationnel et exécutif. Il est chargé de garantir que les nouvelles règles sont effectivement appliquées sur le terrain par les institutions concernées après la publication du décret. Il est le «pilote» ministériel de la mise en œuvre.
Vers une microfinance plus structurante
Comme l’on peut le constater, ce projet de décret va bien au-delà d’un simple ajustement technique. Il acte la maturité et la segmentation croissante du secteur de la microfinance marocain. En différenciant clairement les capacités d’intervention des IMF selon leur statut et en introduisant des plafonds sur les fonds reçus, il crée un cadre plus robuste et plus incitatif.
L’impact majeur réside dans la reconnaissance du rôle des IMF-SA comme véritable levier de financement des TPME formelles et des coopératives, grâce à des plafonds de crédit relevés de manière très significative et à la possibilité de gérer des dépôts d’entreprise importants.
Pour les populations vulnérables et les micro-activités informelles, les IMF associatives voient leur rôle de proximité renforcé avec des crédits mieux adaptés à des besoins spécifiques comme le logement ou la formalisation. Espérons que ce texte, une fois publié, dynamise significativement l’inclusion financière et le financement des très petites entités productives, formelles et informelles, au cœur du développement économique marocain.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO