Paiements électroniques : le CMI appelé à reconsidérer sa position dominante
S’approche-t-on de la fin du quasi-monopole du Centre monétique interbancaire sur le marché (CMI) ? Le Conseil de la concurrence a pris une décision importante en acceptant les engagements proposés par le CMI et ses banques actionnaires. Ces engagements visent à redynamiser le marché des paiements électroniques, jusqu’ici dominé par le CMI, en ouvrant la voie à une concurrence plus saine et à une réduction des coûts pour les commerçants.
Le marché des paiements électroniques, historiquement dominé par le CMI, est en plein bouleversements suite à une série d’engagements soumis par le Centre et ses neuf banques actionnaires au Conseil de la concurrence.
Ces derniers visent à répondre aux préoccupations de concurrence identifiées par le Conseil et à améliorer le fonctionnement concurrentiel du marché des paiements par carte, qu’il s’agisse de paiements via terminal (TPE) ou en ligne (PEL).
Contexte de la saisine
Pour rappel, le 16 mai 2023, la société NAPS a saisi le Conseil de la concurrence, alléguant des pratiques anticoncurrentielles sur le marché des terminaux de paiement électronique et des paiements en ligne par carte bancaire, dirigées par le CMI.
Selon la saisine, le CMI exerçait une position dominante qui nuisait à la concurrence sur ce marché. Le 22 juin 2023, le Conseil a déclaré la saisine recevable, entamant ainsi une enquête approfondie. Au cours de cette dernière, divers intervenants du marché de l’acquisition et de l’émission de paiements ont été auditionnés, et des réunions de coordination avec Bank Al-Maghrib ont été organisées pour affiner l’analyse du marché. Créé en 2001 par neuf banques marocaines, le CMI avait pour mission initiale d’assurer l’interconnexion des banques en vue de garantir l’interopérabilité des retraits et des paiements et de lutter contre la fraude. Jusqu’en 2015, il opérait en tant que seul acteur dans l’acquisition et le switching des paiements électroniques.
«Le CMI a été, de 2004 à 2015, le seul opérateur actif dans l’acquisition et le switching», précise le communiqué du Conseil de la concurrence.
Cependant, malgré l’ouverture du marché à la concurrence en 2015, le CMI a conservé une position monopolistique avec plus de 97% de parts de marché dans l’acquisition. Ce quasi-monopole a limité le développement du secteur des paiements électroniques, qui ne représente aujourd’hui que 1% des transactions.
Cette faible part de marché est en décalage avec les objectifs nationaux de digitalisation et d’inclusion financière. Le rapport d’évaluation préliminaire du Conseil de la concurrence souligne d’ailleurs «l’existence de plusieurs préoccupations de concurrence dans ce marché qui limitent son développement», exacerbant la situation actuelle.
Les engagements proposés par le CMI
En réponse aux préoccupations soulevées par le Conseil de la Concurrence, le CMI et ses banques actionnaires ont soumis une série d’engagements destinés à renforcer la concurrence sur le marché des paiements par carte. Ces engagements incluent la cession de l’ensemble des contrats d’adhésion des commerçants liés aux terminaux de paiement électronique (TPE) et au paiement en ligne (PEL) à des établissements de paiement ou filiales bancaires dédiées, facilitant ainsi l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché et stimulant la concurrence.
Par ailleurs, le CMI continuera à fonctionner en tant que plateforme technique, garantissant des services d’interopérabilité dans des conditions équitables et transparentes, tout en maintenant la gestion de la plateforme Fatourati pour le paiement des factures.
Enfin, le CMI s’engage à plafonner les commissions d’interchange conformément aux règlements de Bank Al-Maghrib, ce qui devrait permettre une réduction des frais pour les commerçants et encourager une adoption plus large des paiements électroniques.
«Cette révision de l’interchange va permettre aux acquéreurs d’opérer des baisses significatives dans les tarifications de leurs clients commerçants, ce qui favorisera le développement du paiement électronique par carte», indique le communiqué du Conseil de la Concurrence.
Suivi de la mise en œuvre des engagements
Pour garantir la mise en œuvre effective de ces engagements, le Conseil de la concurrence (CC) et Bank Al-Maghrib superviseront un mécanisme de suivi sur une période de deux ans. Durant cette période, le CMI et ses banques actionnaires devront soumettre des rapports semestriels détaillant les progrès réalisés dans la mise en place des engagements structurels et comportementaux. Une période de transition de 12 mois a également été prévue pour permettre la cession progressive des contrats commerçants et assurer une transition en douceur vers un marché plus concurrentiel. Un comité de suivi conjoint entre le CC et Bank Al-Maghrib sera mis en place pour superviser ce processus. En publiant ces engagements, le CC donne la possibilité aux parties intéressées de présenter leurs observations avant le 30 octobre 2024.
À l’issue de cette période de consultation, le Conseil examinera les observations soumises et prendra une décision finale quant à la mise en œuvre de ces engagements, marquant ainsi la clôture de la procédure. Si ces engagements sont pleinement mis en œuvre, le marché des paiements électroniques au Maroc devrait voir apparaître une plus grande diversité d’acteurs, favorisant ainsi la concurrence, l’innovation et l’adoption plus large des paiements numériques dans le pays.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO