Éco-Business

Sofia EL Mrabet : “Le digital est un catalyseur d’inclusion financière”

Sofia EL Mrabet
Spécialiste Fintech et membre de l’incubateur «Je m’engage pour l’Afrique»

Pour Sofia El Mrabet, spécialiste Fintech et membre de l’incubateur «Je m’engage pour l’Afrique», le digital est un catalyseur d’inclusion financière, mais l’aspect réglementaire doit suivre le rythme des innovations. La co-autrice de l’ouvrage «Alternatives», sur le thème de l’innovation et des Fintechs, liste également plusieurs outils à mettre en œuvre pour une meilleure pénétration des services financiers via le digital. Interview.

Comment le digital peut-il contribuer à une meilleure inclusion financière en Afrique ?
Le digital est un catalyseur d’inclusion financière, car il permet à des populations qui ne sont pas concernées par des offres bancaires, souvent trop chères ou peu adaptées, d’accéder à un éventail assez large de services financiers. Le paiement mobile en est bien la preuve. Cette révolution a permis à de nombreuses personnes d’accéder à des services bancaires et financiers de base à faible coût. Le paiement mobile ne se limite plus aujourd’hui au simple transfert d’argent. Les offres ont évolué et permettent de mieux appréhender les besoins des populations non bancarisées. On peut payer ses factures d’électricité, d’eau ou encore recevoir son salaire via le paiement mobile.

Mais la fracture numérique constitue-t-elle encore un obstacle majeur ?
Il est indéniable que le digital peut contribuer à cet objectif d’inclusion financière. Cependant, il ne faut pas oublier la fracture numérique encore trop importante sur le continent. Le taux de pénétration d’Internet y reste faible. Les politiques publiques d’inclusion financière ne peuvent se baser que sur le digital pour atteindre cet objectif. Il faut adapter les stratégies nationales aux réalités du terrain. L’utilisation des Codes USSD est un brillant exemple de l’adaptation du marché aux problématiques locales.

L’USSD (Unstructured supplementary service data) est un protocole simple qui permet de déclencher un service par envoi d’un message et donc de fournir des services digitaux sans utiliser Internet. Pour relever le défi de l’inclusion financière, il y a donc de nombreux enjeux structurels dont les États doivent se saisir.

C’est ainsi, dans ce contexte, que l’on propose avec «Alternatives», notre 4e ouvrage, des pistes de réflexion autour des obstacles et, surtout, des opportunités liées à l’avènement de ces nouvelles technologies dans le secteur financier, qui permettraient de relever le défi de l’inclusion financière en Afrique.

Quels outils et actions mettre en avant pour une meilleure pénétration des fintechs dans les économies africaines ?
Tout d’abord, il faut rappeler que l’aspect réglementaire a un impact important sur l’adoption des Fintechs. L’analyse du GSMA (Global system for mobile communications association, The mobile money regulatory index, février 2019) a montré que les pays qui ont connu de fréquentes réformes réglementaires (dans le cadre du paiement mobile ou Mobile money) tendent à connaître une meilleure adoption de ce dernier.

C’est donc la preuve que les régulateurs, et plus précisément les réglementations, peuvent être des accélérateurs d’inclusion financière. Il est nécessaire de mettre en place une réglementation qui a une approche globale et cohérente invitant toutes les parties prenantes à concourir à l’avènement d’un cadre légal adapté aux réalités du terrain et aux enjeux technologiques.

La technologie allant plus vite que les lois, la consultation des différents acteurs qui sont -il faut le rappeler- issus de différents secteurs, permettra d’identifier les aspects réglementaires pouvant freiner la promotion de ces Fintechs et, in fine, la stratégie d’inclusion financière. Cette politique ascendante peut passer par la multiplication de bacs à sable réglementaires (ou sandbox) encore trop peu utilisés par les régulateurs.

Ces bacs à sable permettront aux acteurs de tester leurs solutions sans devoir nécessairement respecter l’ensemble du cadre réglementaire qui s’appliquerait normalement, et ce, pour une durée déterminée.

Sur quoi les régulateurs peuvent capitaliser pour mieux suivre les tendances dans ce domaine, et être au diapason de son évolution ?


Les régulateurs pourront capitaliser sur les expériences des acteurs et étudier les évolutions du marché afin de comprendre comment mieux appréhender ces nouvelles technologies et pleinement assurer la mission qui leur incombe.

En effet, la constante évolution du secteur nécessite de mesurer en continu l’efficacité des réglementations et leur mise en œuvre. La mise en place de ces nouvelles règles doit être basée sur la neutralité technologique: les mêmes activités sont soumises à la même réglementation, quelle que soit la manière dont le service est fourni (indifféremment de la technologie utilisée).

Cependant, on ne saurait imposer aux nouveaux acteurs les mêmes règles que celles des institutions traditionnelles, déjà bien implantées. C’est pourquoi le cadre réglementaire, ainsi que les régulateurs, doivent adopter une certaine flexibilité au regard, notamment, de la taille, du risque ou encore de la complexité du service.

L’exercice n’est pas facile, il faut pouvoir créer un environnement propice tout en protégeant le consommateur et la stabilité du système financier.

Au-delà de l’aspect réglementaire, quels autres leviers faut-il activer pour renforcer la pénétration des ces fintechs ?
D’autres pistes nous amènent aussi à considérer la communication institutionnelle comme un vecteur d’adoption. Afin d’augmenter la confiance en ces innovations, des politiques publiques doivent être mises en place pour asseoir la crédibilité de ces dernières.

À l’instar du Maroc, avec la digitalisation du système de bourse «Tayssir» qui a permis de promouvoir l’utilisation du paiement mobile. Des solutions à des problèmes d’infrastructures permettraient également une meilleure adoption, comme une meilleure pénétration d’Internet ou encore l’interopérabilité.

Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO



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