Culture

Kilito, le photographe des minorités invisibilisées

Photographe explorateur, M’hammed Kilito est toujours en quête du réel, de l’humain et de ses différences. Celui qui sait capter les différents visages de ses modèles fait partie des photographes marocains choisis pour inaugurer le nouveau Musée national de la photographie de Rabat. Rencontre avec l’auteur de «Portrait of a Generation» qui donne la parole à la jeunesse et aux minorités.

Ses photographies sont un moyen de donner la parole à l’autre, surtout aux jeunes Marocains qui s’expriment sur ce que c’est que d’être jeune, aujourd’hui, au Maroc. Un travail à la fois esthétique et documentaire, brillant et habité, qui «crie» haut et fort que la différence est une richesse.

«Ce projet est une réflexion sur le choix d’une identité personnelle chez la jeunesse marocaine, basée sur une sélection de portraits de jeunes qui prennent leur destin en main. Ces personnes ont le courage de choisir leurs propres réalités, repoussant souvent les limites de la société. Que ce soit par leurs activités créatives, leur apparence ou leur sexualité, ils véhiculent l’image d’un Maroc jeune, alerte, changeant, revendiquant le droit d’être différent et célébrant la diversité», confie le photographe qui fait le bonheur de la cour du nouveau Musée national de la photographie de Rabat, où son exposition est la première que l’on découvre en entrant dans le Fort Rottembourg. «C’est une reconnaissance de la photographie et des photographes marocains, d’avoir un lieu où exposer notre travail, où aller à la rencontre du public. Généralement, cela reste exclusif à des galeries, des festivals. C’est toujours, hélas pour une élite convertie ou que l’on essaye de convertir, alors que tout ce qu’on l’on fait, au final, c’est de pouvoir communiquer avec tout le monde, toucher un maximum de public».

L’image du réel
Pour le photographe marocain, la photographie est l’aboutissement d’une recherche documentaire, où l’artiste va puiser dans les histoires de l’autre. Après des échanges, des interviews, il peut mieux capter toute la sincérité et toute l’humanité de son modèle. «Si j’ai décidé de faire de la photographie, c’est pour utiliser ce médium afin de raconter quelque chose. Cela aurait pu être un autre médium. C’est un travail de recherche académique. La photographie illustre ces propos. L’idée est d’aller sur le terrain et de vérifier la véracité de ces concepts sur lesquels j’ai envie de travailler. L’esthétique est là pour attirer l’attention des yeux mais pour moi, le plus important, c’est la rencontre avec l’autre, le fond». Une recherche du réel qui le pousse à approfondir le sujet des jeunes et de la différence, lorsqu’il tombe sur un communiqué du Conseil économique, social et environnemental d’août 2018, qui portait sur la tranche d’âge 15-34 ans, qui a présenté des chiffres alarmants sur la jeunesse marocaine.

«Je me suis basé sur ce rapport pour travailler sur les jeunes qui, à travers leur orientation sexuelle, leur apparence, confrontent quelques normes traditionnelles et conservatrices. Ces gens ont besoin d’exprimer leur identité, d’être ce qu’ils sont aujourd’hui. Ils essaient d’engager la réflexion et le débat à travers qui ils sont», confie M’hammed Kilito, né en Ukraine, qui grandit au Maroc jusqu’à ses 18 ans avant de déménager au Canada où il étudie la photographie à l’École d’art d’Ottawa et le cinéma à l’Université de Montréal.

Il détient également un diplôme en génie logiciel et une maîtrise en science politique de l’Université d’Ottawa. Il a commencé à travailler en tant que photographe indépendant à partir de 2015; ses photos ont été publiées dans plusieurs magazines et exposées au Maroc et au Canada. En 2012, il est engagé par une agence de publicité à Montréal en tant que responsable du département vidéo et photo qu’il quitte, trois ans plus tard, pour s’installer au Maroc et se consacrer exclusivement à la photographie. Le travail sur la série Réflexions est motivé par l’esthétique derrière les jeux multiples des techniques de l’illusion et l’invalidation des repères habituels.

Depuis son retour au pays, sa recherche photographique vise à documenter les petits détails de la vie quotidienne qui peuvent renseigner sur la situation générale du Maroc d’aujourd’hui. Son travail combine à la fois un sens aigu de l’esthétique et un intérêt pour le commentaire sociopolitique.

Déjà, dans «Moroccan Diaries», le photographe s’est intéressé aux «microsociétés» marocaines afin de faire ressortir toute la diversité et les contrastes de la société autour de concepts comme l’identité et la condition humaine. L’origine des photos de Kilito, c’est son quotidien, le monde qui l’entoure, ses visions, ses idées qu’il met volontiers en image afin de leur donner une forme plastique adéquate. M’hammed Kilito fige des voix qui veulent exister comme elles sont et non comme elles sont «censées» être. Le photographe continue son travail dans le milieu rural. Son souhait? Faire un livre sur la question en plusieurs chapitres… Projet à suivre.



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