Trump relance le protectionnisme : quels enjeux pour le Maroc dans la nouvelle donne commerciale mondiale ?

Par Dr. Zakaria Abbass
Enseignant-chercheur en stratégie d’entreprise et commerce international Euromed Business School (EBS) – Université Euro- Méditerranéenne de Fès
L’annonce par Donald Trump d’une hausse généralisée des droits de douane marque une nouvelle étape dans sa stratégie économique offensive. En visant à la fois la Chine, l’Union européenne, l’Inde, le Japon, mais aussi des pays comme le Maroc, l’ex-président américain, désormais revenu à la Maison Blanche, relance une vision datée du commerce mondial, fondée sur le repli stratégique, la confrontation tarifaire et l’idée d’une autosuffisance nationale… dans une économie pourtant globalisée.
Une déclaration de guerre commerciale globale
«Déclaration d’indépendance économique», «pillage commercial» des États-Unis par leurs partenaires, et promesse d’un nouvel «âge d’or» américain : les termes employés par Donald Trump lors de sa déclaration laissent peu de doute sur la nature du projet. Ce n’est pas une simple mesure conjoncturelle, mais un tournant stratégique.
Dès le 1er avril 2025, toutes les importations aux États-Unis seront soumises à un droit de douane plancher de 10%, avec des surtaxes pouvant aller jusqu’à 34% selon les pays. Le Maroc figure dans cette liste noire commerciale, avec des produits désormais taxés à 10%, au même titre que le Canada ou la Corée du Sud.
Les justifications avancées évoquent des barrières non tarifaires existantes, telles que des normes sanitaires ou environnementales jugées trop restrictives à l’encontre des produits américains. Un raisonnement qui ignore les logiques de souveraineté réglementaire, et qui menace directement l’équilibre du commerce international multilatéral.
Un impact direct pour les exportateurs marocains
Pour le Maroc, cette décision n’est pas sans conséquences. Depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange Maroc-USA en 2006, les exportations marocaines vers les États-Unis ont connu une croissance significative, particulièrement dans des secteurs comme le textile-habillement, l’agroalimentaire ou encore les composants automobiles.
L’instauration de ces nouvelles barrières tarifaires va directement affecter la compétitivité des produits marocains sur le marché américain. Les entreprises exportatrices devront réviser leurs marges, réévaluer leurs stratégies de pénétration, voire rediriger leurs flux commerciaux.
De plus, certaines filières industrielles marocaines intégrées dans les chaînes de valeur mondiales risquent d’être touchées indirectement, à travers une hausse du coût des intrants ou une baisse de la demande en aval. La taxe de 25% sur les pièces détachées automobiles importées annoncée par Washington pourrait par exemple fragiliser des écosystèmes installés au Maroc et orientés vers l’export.
Le retour du protectionnisme ou le mirage d’une Amérique autosuffisante
Trump s’inscrit dans une longue tradition américaine de protectionnisme économique, héritée de la fin du XIXe siècle. Mais cette stratégie, présentée comme salvatrice pour l’industrie américaine, ignore les réalités de l’économie contemporaine, marquée par l’hyper-interdépendance des chaînes de production, la spécialisation et les échanges croisés. Comme le souligne Dan Ives du cabinet Wedbush Securities, «l’idée d’un constructeur automobile américain utilisant uniquement des pièces américaines est une fiction».
À l’ère du cloud computing, des pièces détachées venues d’Asie et des plateformes logistiques globales, penser une relocalisation totale est économiquement irréaliste et stratégiquement risquée. D’ailleurs, les premières conséquences anticipées de cette politique sont connues : inflation sur les prix à la consommation, tensions diplomatiques, incertitudes pour les entreprises, et fragilisation du commerce mondial.
Un monde à rééquilibrer: quelles options pour le Maroc ?
Plutôt que de subir cette décision, le Maroc peut en faire un levier stratégique. D’abord, en renforçant sa résilience économique par la diversification de ses débouchés à l’export. L’Union européenne reste le premier partenaire commercial du Royaume, mais l’accélération des relations économiques avec l’Afrique – via la ZLECAf – et avec l’Asie du Sud-Est est aujourd’hui plus que jamais indispensable.
Ensuite, cette crise souligne l’importance d’un positionnement marocain clair dans la défense d’un commerce équitable, durable et prévisible. Le «Made in Morocco» doit désormais reposer sur une montée en gamme, sur l’innovation, sur la conformité aux standards internationaux, et sur une stratégie de marque portée par une diplomatie économique ambitieuse.
Enfin, sur le plan institutionnel, l’État marocain est invité à renforcer les mécanismes d’accompagnement des exportateurs, à promouvoir des accords bilatéraux équilibrés et à développer des outils d’intelligence économique permettant d’anticiper ce type de ruptures.
Conclusion : agir dans l’incertitude
La décision de Donald Trump marque sans doute une étape de rupture dans l’ordre économique mondial. Le multilatéralisme, déjà fragilisé, voit sa légitimité de nouveau remise en cause. Face à cette instabilité, les nations qui sauront faire preuve de flexibilité, d’anticipation et de cohérence stratégique auront une longueur d’avance.
Le Maroc a su bâtir, au fil des ans, une réputation de fiabilité et de stabilité dans ses relations commerciales. Cette crise doit servir de déclencheur pour approfondir ses engagements en matière de souveraineté industrielle, de diversification commerciale et de résilience économique. Car dans un monde en recomposition, le vrai défi n’est pas d’éviter la tempête, mais de savoir y naviguer avec lucidité.