Fuite des cerveaux : une stratégie marocaine pour le retour s’impose

Chaque année, des dizaines de milliers de jeunes Marocains quittent le pays pour poursuivre leurs études à l’étranger. Une mobilité en forte croissance qui constitue à la fois une opportunité et un risque. Une étude récente met en lumière les limites des dispositifs d’orientation actuels, encore trop centrés sur le départ et déconnectés des besoins du marché marocain.
Près de 60 000 étudiants marocains quittent chaque année le Royaume pour poursuivre leurs études dans des universités étrangères Derrière ces trajectoires individuelles se joue un enjeu stratégique, celui de transformer cette mobilité en véritable levier de développement plutôt qu’en perte sèche pour l’économie nationale.
Une étude menée par les chercheurs Aomar Ibourk et Tayeb Ghazi apporte un éclairage inédit. Elle démontre que les dispositifs actuels, centrés sur la facilitation du départ, laissent trop souvent les étudiants se fondre dans l’écosystème des pays d’accueil, au risque de creuser le phénomène de fuite des cerveaux. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Selon l’UNESCO, le nombre d’étudiants marocains à l’étranger a bondi de 73% en dix ans, passant de 40 285 en 2011 à près de 70 000 en 2021. La France demeure la première destination, concentrant à elle seule 47% des effectifs, soit près de 33 000 jeunes. Le Canada, l’Espagne et l’Allemagne attirent également une part croissante des étudiants. Pourtant, face à ce flux massif, les moyens institutionnels restent modestes.
Comme le rappellent les auteurs, « face à un flux annuel de près de 60 000 étudiants marocains partant à l’étranger, les programmes de bourses gérés directement par le ministère ne représentent qu’une fraction infime de ce volume».
Une orientation dictée par les pays d’accueil
L’analyse de 204 programmes promus par le ministère de l’Enseignement supérieur met en évidence un déséquilibre structurel. L’étude souligne que « le ciblage des étudiants marocains n’est pas le fruit d’une stratégie proactive d’orientation émanant du Maroc, mais qu’il est au contraire largement passif et déterminé par les paramètres d’admission imposés par les pays et institutions d’accueil ».
Autrement dit, le Maroc forme ses meilleurs profils pour répondre aux besoins des marchés étrangers, plutôt qu’aux siens. Les filières prioritaires pour le Royaume, comme les énergies renouvelables, l’industrie 4.0 ou la santé, ne représentent qu’une infime minorité dans l’offre de mobilité publique.
Le maillon manquant du suivi et du retour
C’est après le départ que les lacunes deviennent les plus criantes. Selon les chercheurs, « une fois l’étudiant à l’étranger, le suivi de sa progression académique est entièrement délégué aux établissements d’accueil ». Le lien institutionnel est rompu, laissant les étudiants sans information sur les perspectives de carrière au Maroc.
Cette absence d’accompagnement ouvre la voie à une intégration définitive dans les pays d’accueil, qui déploient au contraire des politiques attractives de visas post-études et de mise en emploi. L’étude dénonce « un impensé stratégique », soulignant que le Maroc « ne propose aucun dispositif clair et institutionnellement soutenu pour attirer et réintégrer ses propres diplômés sur son marché du travail ».
Les auteurs insistent sur la nécessité de repenser le dispositif. Ils appellent à « passer d’un portail passif à une plateforme d’orientation active », à « créer des programmes de bourses d’excellence spécifiquement fléchés vers les compétences critiques pour les grands chantiers du Maroc », et surtout à « construire un pont pour le retour ».
Il s’agirait, concrètement, de développer un accompagnement durant les études, de renforcer les réseaux d’anciens élèves et d’offrir aux diplômés des perspectives claires de carrière au Maroc. L’enjeu est d’autant plus stratégique qu’il s’aligne sur les orientations royales du 20 août 2022, qui appelaient à une refonte de la politique en direction de la diaspora marocaine.
Quand d’autres pays transforment la mobilité en atout
L’étude invite le Maroc à s’inspirer de modèles internationaux performants. La France, via Campus France, a mis en place un guichet unique qui structure l’ensemble du parcours étudiant, de la candidature à l’obtention du visa.
L’Allemagne, à travers le DAAD, déploie une stratégie proactive de communication, multiplie les bourses ciblées et entretient un lien constant avec ses étudiants à l’étranger. Ces dispositifs se distinguent par leur capacité à créer des « pipelines » clairs, à maintenir un lien institutionnel fort et à valoriser le retour.
Le Maroc, de son côté, dispose d’atouts, une direction dédiée, un portail centralisé, des partenariats solides, mais doit franchir un cap pour que ses étudiants ne soient plus perçus comme des talents perdus, mais comme des acteurs de sa compétitivité future.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO