Stress hydrique : les externalités cachées de la politique de l’eau

Sous le double effet du dérèglement climatique et d’un modèle agricole gourmand en eau, les ressources hydriques frôlent un seuil critique qui interroge la viabilité du modèle productif. À Benguérir, des chercheurs de l’Université Mohammed VI Polytechnique plaident pour une approche systémique, fondée sur la compréhension des interactions entre usages, climat et gouvernance.
Le constat d’échec établi par la communauté scientifique est sans appel. Les politiques de l’eau menées depuis le virage du Plan Maroc Vert ont aggravé la pression exercée sur les ressources hydriques, à tel point que la pénurie ne se mesure plus à la baisse des retenues de barrages, ni à l’épuisement progressif des nappes phréatiques. La menace franchit désormais un nouveau palier.
La libéralisation progressive de l’agriculture, pensée pour faire du Royaume un pays à vocation agricole par excellence, a encouragé une exploitation intensive des ressources, un modèle qui atteint aujourd’hui ses limites. À la diminution spectaculaire des débits observés dans de nombreuses régions, vient s’ajouter l’altération des nappes, fragilisées par l’usage excessif d’engrais azotés.
C’est ce que révèle, en tout cas, une étude publiée dans la revue «Environmental Challenges» qui souligne que «plusieurs nappes présentent des teneurs supérieures à 100 mg/l en nitrate», un seuil qui traduit une dégradation avancée de la ressource et un risque réel pour la santé publique. À en croire les auteurs du rapport, les contaminations observées découlent directement des excès d’intrants et de l’expansion des cultures irriguées. Les auteurs alertent sur une dérive inquiétante.
Dans un pays où la disponibilité en eau par habitant a été divisée par dix depuis les années 1960, l’exploitation des nappes s’est imposée comme un amortisseur de crise, au prix d’une contamination diffuse et d’une chute continue des niveaux piézométriques.
«L’usage des eaux souterraines, longtemps perçu comme une solution, devient une vulnérabilité», souligne le rapport, qui appelle à reconsidérer les politiques centrées sur l’offre.
Dynamique des systèmes
Cette lecture trouve écho à Benguérir, à l’Université Mohammed VI Polytechnique où de nombreux chercheurs s’attachent à repenser la gouvernance de l’eau. «La gestion de l’eau au Maroc ne peut plus se contenter d’une accumulation de projets techniques isolés. Elle doit s’inscrire dans une stratégie systémique qui conjugue sobriété de la demande, diversification des sources et anticipation des effets climatiques», souligne Ayoub Guemouria.
Le chercheur défend l’usage de la «dynamique des systèmes», une approche qui permet de comprendre les interactions entre les usages agricoles, la croissance démographique et les impacts climatiques. La méthode met en lumière les dérives de certaines politiques présentées comme vertueuses. Par exemple, l’amélioration de l’irrigation, souvent vantée pour sa sobriété, conduit parfois à l’inverse, à savoir l’extension des surfaces cultivées et une pression accrue sur les nappes.
De la même manière, la multiplication des forages destinés à pallier la sécheresse renforce à terme l’épuisement des aquifères et accentue les déséquilibres régionaux. Testée dans le bassin du Souss-Massa, cette approche explore plusieurs trajectoires possibles pour le pays. Elle met en perspective les scénarios du statu quo, les limites des politiques de régulation, l’usage des eaux non conventionnelles ou encore les transferts interrégionaux.
Les premiers résultats sont sans équivoque. Les solutions techniques isolées — qu’il s’agisse du dessalement ou du forage intensif — déplacent le problème sans le résoudre. Seule une approche équilibrée, fondée sur la sobriété des usages, la réutilisation encadrée et une gouvernance partagée, semble à même d’éviter la rupture.
Les chercheurs de l’Université Mohammed VI Polytechnique plaident désormais pour un couplage de la dynamique des systèmes avec les outils géospatiaux et l’intelligence artificielle, afin d’anticiper les tensions et de cibler les zones les plus vulnérables. L’approche a le mérite de rappeler que la crise ne tient pas tellement au manque d’eau, mais à la manière dont cette ressource rare est gouvernée.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO