Opinions

Sans flexibilité, le Maroc sera un géant de l’énergie renouvelable aux pieds d’argile

Tarik Sfendla
Africa Market Development Manager,Wärtsilä Energy

Jouissant de ressources éoliennes et solaires exceptionnelles ainsi que d’une position géostratégique avantageuse entre l’Europe et l’Afrique, le Maroc est dans une situation idéale pour faire de l’énergie renouvelable un puissant moteur économique du pays. Cependant, l’accroissement massif de la part d’énergie verte intermittente dans son mix énergétique national fait aussi émerger un besoin considérable d’électricité flexible provenant de moteurs à gaz, seuls à même de garantir la fiabilité et la stabilité de son réseau.

Depuis 2009, le Maroc a placé le changement climatique au sommet de son agenda. Dépourvu des ressources pétrolières et gazières de ses voisins et dépendant des importations d’énergie, le Maroc poursuit ainsi une transition énergétique audacieuse pour tirer parti de ses gigantesques ressources éoliennes et solaires. Fin 2019, la capacité installée d’énergies renouvelables atteignait 3 685 MW, dont 48% d’hydraulique, 33% d’éolien et 19% de solaire. Bien que ce chiffre soit inférieur aux objectifs intermédiaires fixés, le pays a toutes les chances de rattraper son retard et de tenir son objectif 2030, c’est-à-dire intégrer dans son mix énergétique 52% de capacité de production à partir de sources renouvelables. Lorsqu’il s’agit de tirer avantage de la transition énergétique mondiale, le Maroc ne manque pas d’atout.

Tout d’abord, étant donné sa position géostratégique unique, le Maroc est un partenaire clé pour l’Europe. Il est d’ailleurs le seul pays d’Afrique interconnecté au réseau électrique européen. C’est un avantage majeur, qui peut à terme faire du  Maroc le plus important exportateur d’énergie renouvelable d’une Europe engagée dans une course effrénée vers la neutralité carbone. Son accès au réseau européen va d’ailleurs encore se renforcer dans les années à venir, sachant que la construction de nouvelles lignes d’interconnexion avec l’Espagne et le Portugal sont prévues à l’horizon 2026. Grace à ces interconnexions, le Maroc va pouvoir tirer profit de sa production excédentaire d’énergie renouvelable en l’exportant vers l’Europe, mais aussi importer de l’électricité supplémentaire en cas de besoin.

Enfin, l’interconnexion apporte une réponse partielle mais importante à ses besoins d’équilibrage du réseau. Le plan de développement de l’hydrogène vert européen offre au Maroc une opportunité supplémentaire de monétiser son vaste potentiel renouvelable. L’UE s’est en effet récemment fixée comme objectif de multiplier par six la production d’hydrogène propre d’ici 2030 afin de remplacer les énergies fossiles dans les industries les plus polluantes. C’est un marché potentiellement énorme qui émerge ainsi pour le pays. Pour soutenir ses objectifs, le Maroc a créé un cluster «GreenH2» qui vise à construire un écosystème de production d’hydrogène vert compétitif et innovant. La filière peut également compter sur les travaux de recherche de base sur l’hydrogène vert menés par l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (Iresen) et l’Université polytechnique Mohammed VI.

La flexibilité comme condition sine-qua-non d’une transition énergétique réussie
On le voit, le développement des énergies renouvelables représente un enjeu économique considérable pour le pays. Comme le souligne le récent rapport gouvernemental «_Nouveau Modèle de Développement»_, cela permettrait d’élargir l’accessibilité de l’offre exportable marocaine aux marchés porteurs et d’attirer sur le territoire national des investisseurs étrangers en quête d’opportunités dans les secteurs de l’économie verte. Mais s’il veut réussir sa transition énergétique, le Maroc doit aussi impérativement assurer la stabilité de son réseau en y intégrant une part significative de production électrique flexible à base de moteurs à gaz.

Un afflux d’énergies renouvelables sur un réseau dépourvu d’une flexibilité suffisante pourrait causer de graves problèmes : coupure d’électricité dans certaines zones pour tenter de ramener la demande au niveau de l’offre, déconnexion de grandes centrales électriques du réseau pour éviter qu’elles ne soient surchargées. Pour fonctionner efficacement, le réseau électrique a besoin d’une forte part de flexibilité, c’est-à-dire des capacités de production d’électricité pilotable à base de gaz ayant la particularité de pouvoir faire face aux variations subites de l’offre et de la demande d’électricité.

Le rôle important du gaz naturel dans le mix énergétique a d’ailleurs été souligné au mois de mars dernier lorsque le ministère marocain de l’Énergie, des Mines et de l’Environnement (MEME), a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour le développement d’un projet d’unité flottante de stockage et de regazéification (FSRU). Le projet prévoit 1,1 BCM de capacité de gaz d’ici 2025, passant à 3,3 BCM d’ici 2040, dont 1,4 BCM sera destiné à la production d’électricité. Cela correspond à environ 2,4 GW de nouvelles capacités alimentées au gaz, dont une partie importante devrait être utilisée pour augmenter les capacités de production électriques flexibles à base de gaz.

Il est urgent de saisir le problème de flexibilité à bras le corps sachant que les besoins d’équilibrage augmenteront considérablement d’ici 2030 à mesure que la demande globale d’électricité, ainsi que la capacité renouvelable installée, augmenteront. Or pour ce faire, le Maroc ne peut ni compter sur son hydroélectricité, dont la fonction primaire est l’irrigation, ni sur les centrales à charbon ou les turbines à gaz dont les temps de réponse trop lents ne permettent pas de répondre aux variations rapides de la demande d’électricité. En revanche, les centrales électriques flexibles à base de moteurs sont constituées de plusieurs unités de production qui peuvent être mises en marche instantanément sans perte d’efficacité.

Capables de monter ou de descendre en puissance en quelques secondes, les centrales à gaz flexibles deviennent l’allié parfait des énergies renouvelables, permettant au système électrique de s’adapter efficacement aux excès ou déficits soudains du productible renouvelable. Lorsqu’on considère le réseau électrique dans son intégralité, on voit que les centrales électriques flexibles à gaz peuvent non seulement libérer le plein potentiel des actifs d’énergie renouvelable, mais qu’elles offrent également les coûts de production les plus bas et les émissions de CO2 les plus faibles.

Le Maroc pourrait-il fonctionner en construisant uniquement de l’énergie solaire, éolienne et des batteries ?
Oui, mais cela nécessiterait plus de capacité que le système flexible, ce qui entraînerait des coûts système de 12% plus élevés. Le système fonctionnant uniquement à l’énergie solaire, éolienne et sur batteries doit en effet développer une capacité excédentaire pour traverser des périodes de mauvaises conditions météorologiques, tandis que le système flexible peut utiliser pendant ces périodes du gaz ou un carburant synthétique neutre en carbone. L’intégration de l’ensemble de ces solutions énergétiques permettra à terme un accès à l’électricité au plus grand nombre, tout en réduisant les coûts de production du KWh et en améliorant la fiabilité du système énergétique marocain.



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