Opinions

Quand ChatGPT pense à la place des étudiants : alerte sur une dérive silencieuse

Par Dr Fatine El Mouqtafi
Professeur chercheur à l’ISGA Casablanca

Depuis quelque temps, un phénomène discret mais préoccupant prend de l’ampleur dans nos établissements : l’utilisation massive – et souvent irréfléchie – de ChatGPT par les étudiants. À l’origine conçu comme un outil d’assistance à la réflexion, il tend de plus en plus à devenir un substitut à la pensée elle-même.

De l’outil à la béquille
ChatGPT, comme d’autres IA génératives, représente une avancée technologique remarquable. Il peut résumer, expliquer, proposer des idées, simuler des débats, traduire ou corriger un texte. Utilisé avec discernement, il offre un accompagnement précieux, notamment pour structurer une réflexion ou explorer rapidement un sujet. Mais dans les faits, l’observation quotidienne que nous faisons en tant qu’enseignants est bien plus alarmante :
les étudiants ne veulent plus chercher. Ils demandent à ChatGPT d’écrire leurs dissertations, de résoudre leurs exercices, voire de leur dicter ce qu’ils doivent penser sur un sujet. L’IA ne les assiste plus, elle les remplace.

Une nouvelle paresse intellectuelle ?
Autrefois, certains copiaient Wikipédia sans réfléchir ; aujourd’hui, ils copient ChatGPT, parfois mot pour mot. Le résultat ? Des travaux parfois cohérents sur la forme, mais vides de toute appropriation intellectuelle. Il devient difficile de savoir ce que l’étudiant pense réellement, s’il pense encore. L’apprentissage par l’effort, la recherche, le doute ou l’erreur disparaît peu à peu au profit d’une délégation automatique de la pensée.

Le risque d’une atrophie cognitive
Derrière cette dérive, c’est une véritable atrophie de la pensée critique qui menace. Pourquoi confronter des idées, interroger des sources, ou même douter, quand une IA vous propose une réponse lisse et instantanée ? Mais une telle passivité face au savoir empêche l’étudiant de développer les compétences essentielles : juger, interpréter, argumenter. Pire encore : cela crée une illusion de maîtrise. Car savoir répéter une réponse produite par une IA ne signifie pas la comprendre. L’étudiant croit avoir appris alors qu’il a seulement reproduit.

Une nouvelle forme de triche… invisible
Plus grave encore : l’usage détourné de ChatGPT lors des examens est devenu récurrent. Malgré les interdictions, malgré la surveillance, malgré les avertissements, des étudiants trouvent toujours des moyens d’utiliser l’IA pour tricher : via des montres connectées, des téléphones dissimulés, ou en réalisant des examens «à distance» assistés discrètement par la machine.

Cette fraude numérique est difficile à détecter. Les copies ne sont plus simplement «trop bonnes pour être vraies» ; elles sont crédibles, bien écrites, et pourtant vides d’âme. C’est une triche propre, presque indolore, mais profondément corrosive. Elle détruit la confiance dans le système d’évaluation, elle discrédite les diplômes, et, surtout, elle prive l’étudiant de la confrontation formatrice avec l’effort.

Vers un nouveau contrat pédagogique
Faut-il pour autant interdire l’usage de ChatGPT ? Certainement pas. Le refuser serait aussi absurde que d’avoir interdit la calculatrice ou Internet. Mais il est urgent de repenser notre manière d’enseigner, d’évaluer, et surtout d’éduquer à l’usage critique des outils numériques.

Cela implique :
• d’expliquer en cours ce qu’est une IA générative, comment elle fonctionne, et ses limites;
• de mettre l’accent sur les méthodes, le raisonnement, la créativité, l’analyse personnelle;
• d’instaurer des formes d’évaluation qui valorisent la pensée originale, le cheminement et la capacité d’argumenter plutôt que la simple réponse;
• d’inviter les étudiants à intégrer ChatGPT dans leur processus de travail, mais non à le substituer à leur pensée.

Une génération en perte de repères ?
Il ne s’agit pas d’accuser les étudiants, mais de comprendre le contexte. Beaucoup sont surchargés, en perte de motivation, inquiets de leur avenir. L’IA devient alors une échappatoire, une solution rapide à une pression constante. Mais cette solution est une illusion. Ce n’est pas seulement le contenu des réponses qui importe, c’est le chemin pour y arriver. C’est dans la recherche, le doute, l’analyse, l’échec parfois, que se construit la compétence réelle. Celle qui dure au-delà des notes, des diplômes et des outils.

Conclusion : penser avec, pas à la place
ChatGPT n’est pas le problème. Il est un miroir grossissant de nos pratiques pédagogiques, de nos exigences et des pressions auxquelles nos étudiants sont soumis. La véritable question est : que voulons-nous former ? Des individus capables de penser par eux-mêmes, ou de simples exécutants de consignes automatiques ? Il est temps de réaffirmer que penser, c’est aussi faire l’effort de chercher, de douter, d’explorer. Et qu’aucune IA, aussi puissante soit-elle, ne remplacera jamais cet acte fondamental de liberté qu’est la pensée.



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