Opinions

Nudge marketing : cette douce influence qui pose question

Par Rais Fatimazahra
Professeure-chercheure en Marketing- ISGA Fès Edvantis Higher Education Group

Dans un monde saturé de messages publicitaires, une nouvelle forme d’influence avance en silence : le nudge marketing. Cette stratégie, fondée sur les sciences comportementales, prétend aider les individus à faire «de meilleurs choix», sans contrainte ni obligation. Mais à mesure qu’elle s’infiltre dans les politiques publiques comme dans le commerce, une question dérangeante se pose : s’agit-il vraiment d’un coup de pouce… ou d’une instrumentalisation qui ne dit pas son nom ? Popularisé en 2008 par l’économiste Richard Thaler et le juriste Cass Sunstein, le nudge repose sur une idée simple : nous ne prenons pas toujours des décisions rationnelles. En modifiant subtilement l’environnement dans lequel ces décisions sont prises, ce que l’on appelle «l’architecture des choix», on peut influencer les comportements humains sans contrainte ni interdiction.

Dans une cantine scolaire, par exemple, placer des fruits à hauteur des yeux suffit à en augmenter la consommation. Sur un site de e-commerce, un simple message «plus que 3 articles en stock» déclenche un achat rapide. Le geste est léger, mais l’effet est bien réel. Ce type d’influence séduit car il est perçu comme moins intrusif, plus respectueux de la liberté individuelle. Il s’impose rapidement dans les politiques publiques, notamment dans les domaines de la santé, de l’environnement ou de la sécurité routière.

L’intention est alors claire : aider les citoyens à faire des choix plus favorables pour eux-mêmes ou pour la collectivité. Cependant, cette intention devient moins transparente lorsqu’elle est récupérée par le marketing commercial. Car ici, l’objectif n’est plus de favoriser le bien-être, mais d’orienter les décisions dans l’intérêt des marques.

Le consommateur reste libre… du moins en apparence. Il croit décider rationnellement, alors que son comportement est souvent dicté par des stimuli émotionnels ou des automatismes cognitifs soigneusement exploités. L’urgence d’une offre, la mise en avant d’un produit, la formulation d’un message, tout est pensé pour orienter l’action. Cette influence devient d’autant plus problématique qu’elle est difficile à détecter. Invisible, silencieuse, elle agit sur des failles que nous ne maîtrisons pas.

Au Maroc, même si le terme «nudge» n’est pas encore entré dans le langage courant, ses mécanismes sont déjà largement utilisés. Les campagnes de sensibilisation publiques recourent à des slogans simples et efficaces, les rayons de supermarchés sont conçus pour guider les achats, et les plateformes numériques exploitent nos réactions impulsives pour générer de l’engagement.

Pourtant, peu de débats existent sur ces pratiques. Le consommateur marocain est encore peu sensibilisé aux enjeux du marketing comportemental, ce qui le rend plus vulnérable à ces formes d’influence. L’efficacité du nudge n’est pas en cause. Il fonctionne, parfois même très bien. Il permet de dépasser des blocages, d’encourager des choix plus sains ou plus responsables. Mais c’est aussi cette efficacité qui interroge.

À partir de quand cesse-t-on d’aider à décider pour commencer à décider à la place de l’autre ? Lorsqu’une action est le fruit d’un conditionnement discret, peut-on encore parler de liberté de choix ? Et surtout, lorsque ces techniques sont utilisées pour faire consommer davantage, au détriment parfois de l’intérêt personnel, que reste-t-il du prétendu bien-être visé ? Plutôt que de rejeter en bloc cette méthode, certains experts appellent à la réguler. Une charte éthique pourrait définir des critères clairs : transparence des intentions, possibilité d’alternative, alignement avec l’intérêt du public.

Ce type d’encadrement permettrait d’éviter les dérives commerciales et de restaurer la confiance dans l’usage de ces techniques. Il pourrait aussi être adapté au contexte marocain, où l’enjeu éducatif est crucial. Former les professionnels du marketing, sensibiliser les citoyens aux biais cognitifs et instaurer des normes de transparence sont des étapes essentielles. Le nudge marketing n’est pas intrinsèquement nocif. Il n’est qu’un outil. Mais comme tout outil puissant, il peut servir ou desservir selon l’usage qu’on en fait. Dès lors, la vraie question n’est pas seulement de savoir s’il fonctionne, mais de comprendre à qui il profite-t-il vraiment !



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