Métavers : quelle plus-value pour la médecine ?

Par Dr. Ghanimi Rajae
Médecin spécialiste en médecine du travail. Chercheuse (PHd) en In- telligence artificielle (IA) appliquée à la médecine.

Le métavers est le monde virtuel augmenté qui peut être décrit comme la convergence des mondes virtuels et physiques. En termes simples, le métavers est l’Internet en 3D. C’est un espace où les utilisateurs peuvent interagir au sein d’expériences qui simulent le monde réel ou imaginer de nouveaux mondes.  Si nous supposons que le métavers pourrait refléter tout ou partie des aspects de notre «vie au futur», il est pertinent de se demander si le métavers pourrait apporter des solutions à nos systèmes de santé, notamment la pénurie en professionnels de santé, et les déserts médicaux.

Selon un rapport d’Accenture, plus de huit dirigeants de la santé sur 10 s’attendent à ce que le métavers ait un impact positif sur l’industrie de la santé, et le rapport a même décrit le métavers comme «le prochain horizon» dans les soins de santé et déclare que d’ici 2030 le marché du métavers dans la santé pourrait valoir 5,37 milliards de dollars. Dans le domaine médical, l’utilisation de technologies émergentes telles que la réalité virtuelle, la réalité augmentée et l’intelligence artificielle est actuellement omniprésente.  L’amélioration de l’accès aux soins de qualité est l’objectif de l’utilisation de toutes ces technologies, qui ont facilité la télémédecine et la réalisation d’interventions chirurgicales peu invasives. Ces technologies émergentes sont utilisées dans les universités et autres établissements d’enseignement des métiers de santé, pour fournir aux étudiants des représentations 3D du corps des patients et les aider à bien assimiler l’anatomie humaine et bien se préparer aux interventions chirurgicales.

Une formation médicale plus pratique et plus accessible
Le métavers peut être utile pour perfectionner la formation par simulation, en s’entraînant sur des situations réelles «virtuelles» sans compromettre la sécurité des patients. Au-delà des possibilités offertes par la réalité virtuelle et la réalité augmentée, tout établissement de santé utilisant le métavers peut rassembler des spécialistes de la santé venant de tous les coins du monde pour une planification, un enseignement et une formation simultanés. Étant donné que cette plate-forme de soins de santé utilise le cloud et la technologie de communication en temps réel, les médecins ont de nombreuses opportunités de mettre en pratique leurs compétences afin d’atteindre le niveau de précision maximal, notamment dans les gestes de premiers secours. Le métavers peut garantir que même les professionnels de santé dans les régions les plus reculées reçoivent une excellente éducation et formation en éliminant les restrictions des frontières physiques.

Métavers et santé mentale
Faire progresser les soins de santé mentale, c’est-à-dire améliorer l’accès aux services nécessaires et améliorer l’efficacité de ces services. La pandémie mondiale de Covid a contribué à une augmentation des troubles mentaux, notamment la toxicomanie, l’anxiété et la dépression.

De plus, l’isolement forcé des patients pendant la pandémie a exacerbé des conditions telles que le trouble bipolaire et la schizophrénie. Le concept de métavers fait référence à une réalité en plein essor où les utilisateurs vivent dans l’Internet via des technologies de réalité étendues.

Dans le métavers, ce qui se passe dans le monde numérique a un impact plus tangible sur les expériences dans le monde physique, et l’activité dans le monde physique peut être reproduite dans le monde numérique. Des recherches ont démontré que ces technologies peuvent jouer un rôle dans le diagnostic et la prise en charge de pathologies psychiatriques telles que les phobies spécifiques, le trouble de stress post-traumatique, les troubles du déficit de l’attention, les troubles de l’alimentation, l’autisme, le dysfonctionnement sexuel, les hallucinations schizophrènes, la toxicomanie, les troubles paniques, la douleur, et certains troubles de la personnalité.

Le métavers a une capacité unique pour faciliter la thérapie d’exposition (par exemple, projeter des animaux en hologrammes dans les contextes de réalité augmentée à des personnes atteintes de zoophobie) ; améliorer l’apprentissage social (créer des possibilités pour les enfants autistes de pratiquer des interactions sociales dans les mondes virtuels). Il s’est avéré également efficace dans le traitement de la douleur et la distraction des personnes souffrant d’anxiété pendant les procédures médicales à l’aide de la réalité virtuelle, entre autres.

Métavers et télémédecine
Bien que la télémédecine ait connu un essor remarquable pendant la pandémie de Covid, le métavers offre la possibilité d’améliorer ses capacités. Au sein du métavers, une séance de télémédecine pourrait être plus approfondie et intelligente, car il serait possible pour les patients d’attendre dans une salle d’attente virtuelle et de voir leur médecin dans un cadre 3D. Un autre avantage du métavers pour la télémédecine est que cette nouvelle technologie a la capacité d’améliorer la collaboration entre les professionnels de la santé (téléexpertise, régulation médicale…). La possibilité de partager immédiatement des informations entre professionnels de santé, de créer une collaboration pour établir le diagnostic rapidement et efficacement. Le métavers offrira de nouvelles opportunités aux étudiants et aux stagiaires, qui pourront examiner le corps humain dans un environnement éducatif sûr et virtuel. Il permettra, aussi, un télé-mentoring, c’est-à-dire une grande interactivité entre le mentor et son mentoré dans un espace commun et virtuel.

La chirurgie dans le métavers
Étant donné que la réalité augmentée est utilisée depuis plusieurs années pour former les étudiants en médecine à des interventions chirurgicales telles que l’ablation du caillot sanguin ou pour effectuer des opérations de chirurgie minimale, le métavers n’ouvre que de nouvelles frontières dans ce domaine. En utilisant ces technologies immersives, les chirurgiens pourront avoir une vue complète à 360 degrés du corps d’un patient, afin qu’ils puissent mieux réaliser des procédures complexes.

L’Université de l’Alabama, avec l’Université Emory, a piloté le remplacement de l’épaule orthopédique à l’aide de lunettes de réalité augmentée, et l’Université de Stanford a développé son propre dispositif. Le métavers permet aussi aux médecins et chirurgiens d’échanger des connaissances sur des opérations complexes. Des spécialistes pourraient assister d’autres chirurgiens à distance. Les procédures chirurgicales utilisent déjà des robots et la technologie de réalité augmentée. Par exemple, les neurochirurgiens du Johns Hopkins Neurosurgical Spine Center ont récemment retiré une tumeur maligne de la colonne vertébrale d’un patient en utilisant la réalité augmentée.

Le métavers comme méthode de distraction en milieu pédiatrique
Les hôpitaux, les cliniques et établissements de soins en général sont des endroits anxiogènes pour les enfants. Surtout ceux atteints de maladies chroniques, qui subissent des procédures et des interventions fréquentes. La distraction au cours de ces interventions permet un processus plus fluide et une réduction du seuil de perception de la douleur. Les progrès de la technologie ont permis à la réalité virtuelle d’être utilisée dans les environnements médicaux pédiatriques avant, pendant et après les procédures pour distraire les enfants avec des environnements sensoriels complètement immersifs et relaxants , ainsi que des jeux interactifs qui ont un impact significatif sur l’anxiété et la douleur qu’ils ressentent habituellement.

Le jumeau numérique
Grâce au métavers, les patients, les chercheurs, les médecins, les scientifiques et même les laboratoires pharmaceutiques pourraient utiliser les jumeaux numériques comme technologie de test factice du futur. Cela implique que, dans le métavers, les jumeaux numériques pourraient être utiles pour comprendre et prédire comment un patient se remettrait d’une intervention chirurgicale, gérerait certaines maladies ou répondrait à son traitement.

À mesure que le domaine de la génétique personnelle se développe, cette technologie pourrait faciliter la cartographie et la compréhension du génome. Compte tenu des problèmes de confidentialité et de sécurité qui résultent de l’utilisation du concept de métavers et de la probabilité qu’ils puissent être amplifiés, les professionnels de la santé doivent être prêts à utiliser les percées technologiques pour fournir de meilleurs soins aux patients. Mais, à l’instar de toutes les technologies, le métavers offre à la fois des possibilités et des défis. D’abord, les défis de protection des données à caractère personnel, en plus des données du dossier médical. Il faut également se soucier des données personnelles biologiques (empreintes de l’iris, empreintes digitales).

Aussi, les défis technologiques de cette innovation sont élevés, surtout que tout le monde ne dispose pas des appareils nécessaires pour en profiter. Il y a aussi le défi du financement, c’est une technologie qui coûte cher, un casque 3D coûteux et une connexion Internet fiable sont indispensables pour participer à une expérience immersive dans un métavers, ce qui pose un problème d’accessibilité. Sans oublier le défi de l’ergonomie et de la sécurité sanitaire, une étude a révélé que les casques peuvent provoquer du stress, de l’anxiété, des nausées et une fatigue oculaire surtout chez les enfants. La même étude a révélé que les casques virtuels créent également de la fatigue et réduisent la productivité. Et enfin, le défi de la validité scientifique des dispositifs de simulation et de formation, ainsi que des contenus immersifs et jeux utilisés pour la distraction des enfants en milieux pédiatriques. Les enjeux de cybersécurité, de développement durable, d’éthique et de réponse aux nouvelles attentes des patients sont et seront toujours présents, pour nous rappeler la nécessité d’encadrer éthiquement et juridiquement ces différentes vagues technologiques.