Opinions

Inégalités salariales au Maroc : trois mois de travail “gratuit” pour les femmes

Par Abdessamad Rhalimi
Enseignant-chercheur en sciences de gestion Directeur de l’Euromed business school – Université Euromed de Fès.

Des avancées législatives insuffisantes et des initiatives pour dénoncer les inégalités salariales
L’accès équitable aux opportunités économiques et professionnelles constitue un fondement des droits des femmes, dont l’égalité salariale est une condition fondamentale. Or, malgré les avancées législatives garantissant l’égalité de rémunération, des écarts persistent, mettant en lumière des discriminations systémiques et des freins à la progression des femmes sur le marché du travail.

Face à cette réalité, plusieurs initiatives ont émergé pour dénoncer ces inégalités. Le 18 septembre a ainsi été désigné par les Nations Unies comme la Journée internationale de l’égalité de rémunération, un rappel annuel de la nécessité de garantir un salaire égal pour un travail de valeur égale.

Dans le même sillage, une autre initiative, baptisée Equal pay day, a vu le jour aux États-Unis en 1996. Cette date marque symboliquement le jour de l’année à partir duquel, en raison des écarts de salaire avec leurs homologues masculins, les femmes occupant un poste équivalent et ayant des qualifications égales, commencent théoriquement à travailler sans rémunération jusqu’à la fin de l’année.

L’écart salarial au Maroc : trois mois de travail «gratuit» pour les femmes
Au Maroc, bien que des efforts aient été entrepris pour promouvoir l’égalité professionnelle, les inégalités de rémunération restent significatives. Elles s’expliqueraient par des caractéristiques individuelles telles que l’âge, le niveau d’éducation, la catégorie socioprofessionnelle, et l’expérience, mais aussi par des facteurs structurels, particulièrement la ségrégation sectorielle, le poids des responsabilités domestiques et le faible accès des femmes aux postes de direction.

Selon un rapport du Haut-commissariat au plan, publié en 2024, l’écart salarial entre les hommes et les femmes atteint 23%. Cela signifie qu’en 2024, les Marocaines ont travaillé symboliquement «gratuitement» à partir du 8 octobre, et ce, jusqu’à la fin de l’année. Ce constat met en évidence l’urgence d’actions concrètes pour réduire ces inégalités et garantir une réelle équité salariale. Cela représente près de trois mois de travail non rémunéré comparé aux hommes, une inégalité alarmante qui demeure largement ignorée dans le débat public.

Cette disparité salariale est particulièrement marquée dans le secteur privé où l’écart atteint 42,8%, tandis que le secteur public affiche une différence bien moindre, soit 2,4%. Les inégalités moins importants dans les catégories professionnelles les plus élevées, notamment chez les responsables hiérarchiques et cadres supérieurs, où l’écart n’est que de 38,1%.

Symboliquement, cela signifie que les femmes travaillent «gratuitement» dès le 28 juin dans le secteur privé et à partir du 14 juillet pour les postes de haute responsabilité.

Concentrant 79% des écarts salariaux entre hommes et femmes diplômés de l’enseignement supérieur, le secteur privé s’impose ainsi comme le principal moteur des inégalités salariales. Les différences de rémunération sont particulièrement prononcées dans les secteurs de la finance, de l’administration et de l’enseignement.

Des mécanismes systémiques qui perpétuent les inégalités salariales
En plus des inégalités de rémunération, les femmes sont confrontées à d’autres formes de discriminations qui contribuent également à creuser cet écart salarial. Leur sous-représentation dans les postes de responsabilité et les secteurs stratégiques freine non seulement leur progression professionnelle, mais aussi le potentiel économique du pays.

Cette situation s’explique par plusieurs barrières structurelles et subjectives bien identifiées, mais dont les mécanismes sous-jacents restent opaques, rendant leur déconstruction d’autant plus complexe. Ces obstacles ne relèvent pas uniquement de facteurs individuels ou conjoncturels, mais s’inscrivent dans des dynamiques holistiques systémiques qui façonnent durablement l’accès des femmes aux opportunités professionnelles et économiques.

Parmi ces obstacles, trois formes de cloisonnement majeures cristallisent ces inégalités et limitent l’ascension des femmes dans le monde du travail : le plafond de verre, les parois de verre et le plancher collant. Le plafond de verre, qui limite l’accès des femmes aux plus hautes fonctions malgré leurs compétences, résulte principalement de stéréotypes de genre, des difficultés liées à l’articulation des temps sociaux et d’un réseau professionnel moins accessible.

À cela s’ajoutent les parois de verre, qui cantonnent les femmes à des secteurs historiquement féminisés, souvent moins rémunérateurs et avec des perspectives d’évolution limitées. Elles restent majoritaires dans l’enseignement, la santé et l’administration, mais sont largement minoritaires dans des domaines plus rémunérateurs comme la finance, la technologie et l’ingénierie.

Enfin, le plancher collant maintient de nombreuses femmes dans des postes précaires ou faiblement rémunérés, freinées par un accès limité à la formation continue et une répartition inégale des responsabilités domestiques.

Un enjeu économique majeur pour le Maroc
Ces mécanismes systémiques ne constituent pas seulement un frein à l’évolution professionnelle des femmes, mais contribuent également à pérenniser les inégalités salariales. Ils renforcent ainsi un cercle vicieux d’inégalités économiques et limitent l’accès des femmes à une indépendance financière durable. Ils sont également contre-productifs pour l’économie nationale. La sous-utilisation des compétences féminines entraîne un manque à gagner considérable pour le pays.

De nombreuses études ont montré que l’augmentation de la participation économique des femmes peut considérablement accroître la croissance du PIB. En effet, un marché du travail plus inclusif permettrait, d’une part, d’élargir le vivier de talents et d’accroître la diversité dans la prise de décision, favorisant l’innovation et la compétitivité des entreprises. Les entreprises affichant les meilleures performances sont celles qui présentent un taux de mixité élevé.

D’autre part, il favoriserait une augmentation des revenus des ménages, dynamisant ainsi la consommation et la demande intérieure. Réduire ces inégalités ne renforcerait pas seulement l’économie nationale, mais favoriserait aussi une plus grande inclusion et une meilleure égalité des chances, conditions sine qua non pour un développement durable et harmonieux.

Plus que jamais, il devient urgent de mettre en place des politiques garantissant la transparence salariale tout en favorisant l’accès des femmes aux secteurs stratégiques et la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Ce n’est qu’en brisant ces barrières systémiques que le Maroc pourra pleinement exploiter son potentiel humain et économique et bâtir une société prospère et plus équitable.



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