Opinions

Impôts : la pratique du rescrit fiscal au Maroc

Par Khalil Mekouar
Expert-comptable/com- missaire aux comptes et ex-inspecteur division- naire des Impôts

La pratique du rescrit fiscal au Maroc offre aux contribuables une opportunité de clarifier leur situation fiscale et de bénéficier d’une certaine sécurité juridique. Cependant, malgré les avancées récentes, des limites subsistent quant à son champ d’application et son efficacité. Cet article examine les principales caractéristiques du rescrit fiscal au Maroc ainsi que les récentes modifications apportées par la loi de Finances 2023.

 1- Qu’est-ce qu’un rescrit fiscal ?
En raison de la complexité inhérente à la matière fiscale, qui découle de sa nature technique ainsi que de l’ambiguïté et parfois de l’incohérence de ses textes, le contribuable peut ressentir le besoin d’obtenir une interprétation doctrinale. Cela signifie qu’il recherche une position claire énoncée par l’administration fiscale concernant une problématique fiscale spécifique.

La consultation fiscale préalable, couramment désignée sous l’appellation de «rescrit fiscal», peut être définie comme une procédure permettant au contribuable de solliciter une interprétation formelle de l’administration fiscale concernant un texte de loi (un point de droit) ou une situation de fait (telle que l’évaluation d’un actif, par exemple).

Par conséquent, le rescrit offre au contribuable une certaine «sécurité fiscale» pour les opérations envisagées à l’avenir. Une fois que l’administration fiscale a approuvé le traitement fiscal dans le cadre de la procédure du rescrit, elle ne sera plus en mesure de remettre en question ledit traitement fiscal. Les questions/réponses classiques font-elles partie du rescrit fiscal ?

Ce qui permet réellement de protéger le contribuable contre un redressement de sa situation postérieurement à la réponse de l’administration, c’est la nature juridique de la procédure. Celle-ci doit être prévue par un texte de loi qui expose clairement les effets juridiques de la position prise par l’administration, les conditions de son opposabilité et les modalités d’application de la procédure. Nous pouvons conclure ainsi que les réponses formulées par l’administration depuis toujours ne constituent en aucun cas un rescrit tel que reconnu à l’échelle internationale, à partir du moment où le cadre juridique qui régit cette relation entre le contribuable et l’administration n’était pas encore en place.

2- Le rescrit fiscal selon le droit marocain
Au Maroc, l’introduction du rescrit fiscal a eu lieu pour la première fois en 2018, grâce à l’article 234 quater qui confère au contribuable le droit de solliciter de l’administration fiscale une décision sur le régime fiscal applicable à sa situation factuelle, conformément aux dispositions législatives énoncées par le Code Général des Impôts, ainsi que les dispositions réglementaires établies pour son application. Toutefois, le législateur marocain a limité le champ du rescrit aux situations suivantes :

•  Lorsque le contribuable envisage de réaliser un montage financier portant sur un projet d’investissement ;

•  Lorsque la question porte sur une opération de restructuration (fusion, scission, etc.) ;

•  Lorsque l’opération sera réalisée entre des entreprises marocaines ayant des liens de dépendance directs ou indirects ;

•  Lorsque la question porte sur l’abus de droit fiscal.

La réponse de l’administration est à communiquer au contribuable dans un délai de trois mois après la réception de sa demande.

À signaler qu’en vertu de la Loi de finances 2021, le législateur a éliminé la possibilité de demander l’avis de l’administration fiscale lorsqu’il s’agit d’une opération réalisée avec une entreprise non résidente.

3- L’apport de la Loi de finances 2023
En vue d’améliorer la sécurité fiscale des contribuables-personne physique réalisant des opérations de cession portant sur des biens immeubles, il a été décidé de renforcer le rescrit fiscal marocain par un nouveau dispositif permettant à ceux-ci de consulter l’administration fiscale sur les éléments de détermination de leur profit foncier imposable (prix de vente, prix d’acquisition, frais d’achat ou de vente). La demande peut porter également sur les conditions d’exonération de la transaction immobilière. Le dispositif précité est applicable à partir du 1er juillet 2023.

Nous pouvons résumer les grandes lignes de ce dispositif dans les points suivants :

•  La demande du contribuable doit être formulée par voie électronique, 30 jours suivant le compromis de vente. Elle doit comporter les pièces justificatives relatives à la détermination de l’impôt ;

•  Contrairement aux autres types de rescrits, le délai de réponse de l’administration est de 60 jours au lieu de 3 mois ;

•  L’avis de l’administration reste valable pendant une durée de 6 mois. Au-delà de ce délai, l’avis n’engage plus l’administration fiscale ;

•  Deux cas de figure à envisager : o Le contribuable s’aligne sur la position de l’administration et procède au règlement de l’impôt sur la base des éléments proposés par celle-ci. Dans ce cas, il sera dispensé du contrôle fiscal ;

o Le contribuable n’accepte pas la position de l’administration ou ne demande même pas son avis préalablement à la cession. Dans ce cas, l’administration est en droit d’exercer son droit de contrôle tel que visé à l’article 224 du CGI.

Dans ce cas, le contribuable est amené à verser, en plus du montant de l’impôt, une avance à l’administration égale à 5 % du prix de cession diminuée du montant de l’impôt déclaré.

•  Le montant versé à titre provisoire par le contribuable est restitué d’office à l’issue de la procédure de rectification entamée par l’administration, bien sûr après déduction du complément d’impôt émis par celle-ci.

4- Les Insuffisances du dispositif marocain

En nous référant aux meilleures pratiques à l’échelle internationale, nous pouvons déjà formuler quelques critiques par rapport au modèle marocain :

a) Les effets juridiques d’un éventuel silence de l’administration : le législateur n’a pas précisé les conséquences fiscales dans le cas où l’administration ne formule pas une réponse à la demande du contribuable dans les délais de trois mois ou de deux mois (dans le cas de l’IR sur les profits immobiliers) ; s’agit-il d’une acceptation du traitement fiscal proposé par le contribuable ?

b) Le champ restreint des rescrits : l’une des critiques majeures que nous pouvons formuler à l’égard de ce dispositif est son champ limité. En effet, beaucoup de domaines qui suscitent de l’insécurité fiscale pour le contribuable ne peuvent pas faire l’objet d’une demande de consultation préalable ;

c) Les effets juridiques à l’égard des tiers : la loi n’a pas précisé si les autres contribuables peuvent se prévaloir des positions prises par l’administration fiscale ;

d) L’absence d’une obligation de publication : Contrairement à la France qui dispose d’un Bulletin officiel dédié à la doctrine de l’administration fiscale, le fisc marocain n’a aucune obligation de publier ses avis afin de les rendre accessibles à tout le monde.

5- Nos recommandations en vue d’améliorer le dispositif actuel

Nous considérons qu’il serait souhaitable de renforcer le mécanisme de la consultation fiscale préalable actuelle par la mise en œuvre des recommandations suivantes :

a) Introduire un rescrit fiscal général à l’instar de la pratique belge (rulling), permettant au contribuable de demander l’avis de l’administration sur tous les points en rapport avec la loi fiscale et qui suscitent une divergence d’interprétation ;

b) Prévoir d’une manière claire les effets juridiques des éventuels silences de l’administration ;

c) Prévoir l’obligation pour l’administration fiscale de publier ses positions dans une plateforme accessible à tous les contribuables ;

d) Introduire le dispositif de la garantie fiscale, à l’instar de la loi française, qui consiste à donner une assurance au contribuable que les points examinés durant une vérification de comptabilité et n’ayant pas fait l’objet d’un redressement ne pourront pas être redressés ultérieurement .

Il serait également judicieux de prévoir la possibilité d’ouvrir un débat entre l’administration et le contribuable avant d’émettre un avis définitif par rapport à sa demande. Une telle pratique permettra à l’administration de bien assimiler les éléments de fait caractérisant la situation fiscale du contribuable.


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