Gestion RH : une nouvelle donne ?

Par Meryem Harmaz
Enseignante chercheure à l’Institut Supérieur d’Ingénierie et des Affaires -FES / EDVANTIS Groupe Digital nomadisme.
Travailler à distance tout en voyageant fréquemment, souvent à l’étranger ou d’une métropole à l’autre, alliant travail et style de vie nomade : un rêve pour beaucoup, devenu réalité pour les digital nomades. Ce nouveau profil de professionnels silonne le monde tout en exerçant son activité à distance, grâce à une simple connexion internet et des outils numériques et sans être contraint de se trouver dans un lieu de travail fixe, en tirant parti des outils numériques.
Cependant, sous l’image idéalisée sur les réseaux sociaux se dissimule une réalité complexe qui soulève de nombreuses interrogations pour les ressources humaines. Afin d’en saisir les enjeux, plusieurs questions se posent : Le nomadisme numérique, une parenthèse tendance ou un nouveau modèle professionnel ? Quels dispositifs mettre en place pour manager un employé constamment en mouvement ? Quelles sont les répercussions pour la gestion, le droit du travail ? Le digital nomade : qui est-il vraiment ? Les digital nomades travaillent là où ils se sentent le mieux : depuis un espace de coworking, une bibliothèque, un aéroport, une auberge de jeunesse, voire depuis une plage. Leur bureau change au gré de leurs déplacements, mêlant souvent dépaysement, connectivité et confort minimal pour rester productifs partout dans le monde. En 2023 , selon le cabinet MBO Partners, on comptait plus de 35 millions d’individus à travers le globe qui se déclaraient nomades numériques.
En 2024, ce chiffre a grimpé pour s’établir à près de 40 millions, dont 18,1 millions aux États-Unis, équivalent à 11 % de la population active américaine. Cette évolution témoigne d’une adoption grandissante du télétravail et d’une demande croissante de flexibilité dans le milieu professionnel. Le nomadisme numérique s’affirme ainsi comme une nouvelle norme durable au sein du monde du travail.
Le Maroc, une destination prisée par les nomades digitaux
D’après une recherche récente, près de 30% des sociétés marocaines ont intégré le travail à distance de façon régulière ou sporadique, en particulier dans les domaines des centres d’appels, du numérique, bancaire et automobile.
Selon le Global Remote Work Index 2023, le Maroc se positionne en tête en Afrique et occupe la 48e place mondiale pour son attractivité en matière de télétravail. Ceci est dû à des éléments comme sa cybersécurité performante et un coût de la vie raisonnable. Le Maroc attire de plus en plus de travailleurs nomades internationaux, porté par son statut en tant que pivot mondial d’échange culturel, son climat favorable et un coût de vie compétitif.
Parmi les villes les plus accueillantes pour ce profil de professionnels, Essaouira se marque comme un lieu particulièrement adapté à leur installation. C’est dans cette optique qu’Essaouira s’est distinguée comme l’un des lieux les plus propices à accueillir le sommet « Digital Nomads Connect Morocco », rassemblant un large éventail de responsables gouvernementaux, d’investisseurs internationaux et de figures clés de l’économie numérique.
Du bureau fixe à la liberté géographique : les choix audacieux de certaines entreprises marocaines
Face à une demande en forte croissance, certaines entreprises au Maroc intègrent peu à peu le travail nomade dans leurs pratiques RH. Parmi ces entreprises figurent notamment Maroc Telecom, Attijariwafa Bank et OCP, qui ont amorcé cette transition en réponse aux nouveaux enjeux organisationnels.
Cette évolution a été largement favorisée par la pandémie, qui a contribué à faire du télétravail une norme professionnelle. Un exemple d’entreprise est NTT DATA Maroc, filiale de la multinationale japonaise, qui depuis son implantation à Tétouan en 2016, poursuit l’ambition de constituer une équipe de 1.000 professionnels d’ici fin 2025.
Environ 30% de ses collaborateurs opteront pour le travail nomade, un mode d’organisation en plein essor qui séduit de plus en plus de salariés. D’autres entreprises opérant au Maroc, des startups de la Tech, notamment à Casablanca, Rabat ou encore dans des écosystèmes comme le Technopark ou UM6P Startgate, adoptent des modèles hybrides de travail.
Ces startups, spécialisés dans les métiers du numérique, privilégient de plus en plus le travail nomade, offrant ainsi à leurs équipes une flexibilité accrue et la possibilité d’exercer leurs fonctions depuis n’importe quel endroit.
Les carrières qui tiennent dans un sac à dos
Les professions qui s’accordent le mieux au style de vie des nomades numériques sont celles qui combinent autonomie, expertise technique et forte demande sur le marché. Ces métiers pouvant être exercés entièrement à distance avec une connexion internet fonctionnelle sont les plus adaptés au mode de vie nomade numérique. Il s’agit notamment des professions du numérique telles que développeur web, designer UX/UI, rédacteur web, spécialiste en marketing digital ou encore data analyst.
Ce qui explique que ces emplois offrent une grande flexibilité géographique, une gestion du temps autonome et sont souvent proposés en freelance ou à distance. Vers une refonte du contrat de travail ? Le développement du travail en mode nomade pousse les services RH à sortir des sentiers battus. Plus question de tout gérer comme avant : pour accompagner cette mobilité, plusieurs solutions se dessinent.
Certains employeurs optent pour des contrats «Work from anywhere», incluant des clauses spécifiques sur les pays autorisés. Dans d’autres cas, des accords de télétravail à l’international sont négociés avec les partenaires sociaux.
Parallèlement, plusieurs pays comme le Portugal, l’Estonie et Dubaï mettent en place des «visas nomades», facilitant l’installation temporaire des travailleurs à distance.
Enfin, la fonction RH doit s’équiper d’outils adaptés, permettant notamment le suivi de la performance à distance, l’intégration des collaborateurs en ligne ou encore la gestion de la paie multi-pays. Dans ce contexte, le Maroc s’apprête à franchir une étape significative : le ministre de l’Inclusion économique, Younes Sekkouri, a annoncé le 8 mai 2025 que le télétravail fera l’objet d’un encadrement spécifique dans le Code du travail, avec une révision prévue pour septembre ou octobre prochains.