Développement : l’Afrique a besoin d’un leadership développementaliste et transformationnel
Fatima Arib
Directrice de l’École nationale de commerce et de gestion(ENCG) Marrakech, Université Cadi Ayyad – Maroc, Experte en développement durable
Les attentes de l’Afrique en matière de développement sont considérables. Pour transformer l’Afrique socialement et économiquement, il faut reconsidérer le mode de gouvernance, réinventer le leadership, repenser la formation des nouveaux leaders du continent. Partout dans le monde aujourd’hui, la complexité des phénomènes imprévisibles complique l’activité humaine, amplifie le déséquilibre du pouvoir économique et accroît les inégalités. Plus que jamais, l’Afrique se trouve à la croisée des chemins. Que doit-elle faire ? Certes, elle dispose de très grandes richesses naturelles : minières, énergétiques, agricoles. Elle a aussi la population la plus jeune et la plus nombreuse au monde. Mais elle continue de souffrir d’une crise de leadership.
Celle-ci l’empêche d’exploiter et gérer efficacement ses abondantes ressources tout en les utilisant de façon efficiente pour améliorer la vie de millions de ses habitants et atteindre les objectifs de développement. Aujourd’hui, notre continent se trouve à un moment stratégique de son histoire. La crise sanitaire mondiale y a aggravé les défis qui étaient déjà multiples et d’envergure, notamment les menaces économiques et sociales. Le changement cause des catastrophes dont la fréquence augmente.
Préjudiciables à la paix et à la sécurité, les conflits armés ne diminuent pas. Il y a même une résurgence d’un mal qu’on croyait avoir disparu : le coup d’État. Pour relever tous ces défis, l’Afrique a besoin de développer son leadership. Celui-ci devra soutenir la bonne gouvernance, influencer son propre développement, débloquer son émergence économique et faciliter la réalisation d’une croissance économique inclusive et durable pour atteindre les objectifs des agendas 2030 et 2063.
De nouveaux leaders pour réaliser les objectifs de l’Agenda 2063
La vision de l’Agenda 2063 est d’avoir une “Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens, et qui représente une force dynamique sur la scène mondiale”. La mise en œuvre de cet agenda ainsi que de celui du développement durable (2030) implique des transformations sur de multiples plans, notamment la construction d’une vision, la définition des rôles, la réorganisation des structures, la constitution de réseaux, l’établissement de relations et, également, l’amélioration continue du capital humain.
Les dirigeants africains ont pris l’engagement d’accélérer la croissance, le développement et la prospérité du continent d’ici 2063. Ils ont adopté plusieurs initiatives pour soutenir la réalisation de cet agenda. Ces initiatives offrent l’occasion de s’interroger sur les fins et les modes de fonctionnement ainsi que sur les modèles de gouvernance des institutions. Elles demandent que soient inventées de nouvelles manières de faire et de penser. L’Afrique doit redéfinir ses priorités.
Le leadership est, de ce fait, une composante urgente et essentielle pour atteindre ces objectifs. Un nouveau leadership, basé sur une vision moderne du rôle des responsables, des professionnels, des citoyens et des partenaires ainsi que sur la finalité des organisations, s’impose pour accélérer et renforcer la transformation structurelle. Celle-ci passera par l’intégration régionale, la transformation productive, l’amélioration des compétences et la promotion de l’innovation et des technologies.
Un leadership développemental iste et transformationnel est recherché dans cette ère de changement pour garantir et maintenir un niveau fort d’engagement. Un effort de tous les secteurs est nécessaire, mais l’existence d’États et d’institutions compétents, participatifs, responsables et innovants est primordiale.
Quel nouveau leadership pour l’Afrique ?
Les questions de développement en Afrique sont trop complexes et confuses, et ne peuvent être traitées par le leadership traditionnel. La qualité des leaders constitue un des enjeux majeurs dans l’émergence économique des pays africains qui sont obligés, aujourd’hui, de réfléchir à une nouvelle génération de leaders, des hommes et des femmes capables de relever les véritables défis économiques, géopolitiques, sociaux et environnementaux, auxquels font face tous les pays africains.
Le continent a besoin d’un nouveau type de leadership au sommet des gouvernements, des institutions, des entreprises et de la société civile. Un nouveau leadership, doté d’abord de la légitimité, catalyseur du développement structurel, capable d’engager la transformation du continent dans tous les domaines : socio-économique, politique, environnemental, technologique. Un leadership qui relève les défis de la sécurité alimentaire, de la croissance démographique, du développement durable et des services sociaux que sont, avant tout, l’éducation, la santé, l’accès à l’eau et à l’assainissement.
L’Afrique a aussi besoin d’un nouveau leadership prêt à faire face aux exigences du monde contemporain et possédant le courage pour sortir l’Afrique de sa forte dépendance à l’égard des exportations de produits de base, possédant aussi les compétences nécessaires pour construire et réinventer le continent en ces temps de changement complexe, dynamique et imprévisible. Elle a besoin de leaders conscients que les leviers de la richesse se trouvent dans l’éducation et les institutions, que la véritable richesse dépasse les ressources minières et énergétiques, mais qu’elle passe par le travail qui, progressivement, génère du capital produit, résultant de la qualité du capital humain et des institutions.
Les Africains ont aussi besoin d’un leadership qui d’une part, fait davantage appel à des besoins intrinsèques de long terme et moins à une demande extrinsèque de court terme, et d’autre part, croit fondamentalement en l’intelligence collective, technique, mais aussi émotionnelle. Plus que tout, l’Afrique attend de son leadership qu’il montre fièrement son africanité, porteuse de valeurs et de sens, pour accélérer un développement économique pérenne, lequel impactera positivement toute la société.
La jeunesse africaine, moteur du développement et de la transformation
L’Afrique est riche par ses femmes et ses hommes, ses jeunes étant l’avenir du continent. Il est primordial d’investir massivement dans leur éducation scientifique et technologique. L’investissement dans l’éducation et la jeunesse est la meilleure voie pour changer le paradigme de développement dans le continent. Il y a des millions de possibilités inexploitées en Afrique pour le développement socio-économique et l’amélioration du bien-être de ses habitants. Il est donc important que l’Afrique ait des leaders capables de libérer cette jeunesse pour qu’elle ose déployer les ailes de son imagination créative.
Son formidable génie contribuera alors à la construction d’une Afrique meilleure, l’Afrique que nous voulons. À ses leaders de mobiliser la jeunesse en faveur de la promotion de modes de vie et d’un avenir durables. Ils devront aussi lui apprendre à conjuguer pensée et action, à s’ouvrir au mouvement, à l’innovation et à la rencontre du sens. Si les conditions le permettent, les jeunes Africaines et Africains joueront un rôle vital dans la création et la promotion de politiques influentes, de solutions innovantes et de modèles durables pour le développement inclusif. Il est, aujourd’hui, primordial de leur fournir les moyens nécessaires à la réalisation de leurs projets. Il faut leur faciliter les échanges au triple niveau communautaire, national et continental.
Offrir aux jeunes les voies, les ressources, et les modalités d’expression et d’action les mieux adaptées à un meilleur engagement, devrait être une priorité gouvernementale en Afrique. Pour être développementaliste et transformationnel, le leadership africain doit endosser une responsabilité sociétale, puiser dans la riche histoire du continent, redécouvrir les qualités enfouies dans la culture africaine, afin de repenser le concept de développement. Plaçant l’Africaine et l’Africain au centre de leur vision et de leur action, de tels leaders agiront avec compétence pour faire retrouver à l’Afrique la place qu’elle mérite dans la compétition qu’imposent les nouveaux paradigmes écosystémiques mondiaux.